Les restructurations de la défense, rendues nécessaires par la nouvelle donne géostratégique des années 1990, ont diversement impacté les territoires et les villes marqués par la présence de l’armée. En effet, avec la dilatation de l’espace national liée aux guerres et annexions successives, un espace de défense s’est structuré pour assurer la protection de ces nouveaux territoires, principalement les régions du Nord et de l’Est.
La permanence de la menace a provoqué une réactualisation constante des infrastructures militaires répondant aux progrès techniques, stratégiques et/ou tactiques. Avec la défaite française et l'annexion de l'Alsace-Moselle par l’Empire allemand en 1871, la structuration du territoire de défense est remise en cause notamment avec la perte du centre névralgique de Metz. La nouvelle politique veille à l’organisation et la protection du territoire face à un adversaire potentiellement supérieur : l'Allemagne. Plusieurs réformes traduisent une nouvelle conception de la défense avec le service militaire (1872) ou encore le découpage territorial en régions militaires et en corps d'armées (1873). Une réflexion est également engagée au sujet de la construction de fortifications le long de la nouvelle frontière du Nord-Est. Langres, Dijon et Besançon deviennent des camps retranchés sur la seconde ligne de défense du système fortifié du général Séré de Rivières.
Ainsi, selon le lieutenant-colonel Hennebert (1890), l’ensemble Langres, Dijon, Auxonne et Besançon devait former « en arrière de la trouée de Belfort, un cirque de défense, une vaste région fortifiée de nature à rendre toute agression par le Rhin fort dangereuse pour l’envahisseur ». La mise en œuvre d’un territoire de défense organise et structure des espaces et des paysages urbains, empilant les infrastructures de défense en confortant le rôle de Langres et d’Auxonne et en redonnant à Dijon une fonction militaire nouvelle.
Si, après les deux guerres mondiales, les fortifications deviennent obsolètes en tant qu’outils de défense, les fonctions militaires perdurent avec la conception de la ville de garnison liée au service militaire, bien que les structures héritées soient de moins en moins adaptées. Cependant avec l’évolution du contexte géostratégique mondial et les choix politiques qui en découlent telle la professionnalisation des armées en 1996, un redéploiement des forces est nécessaire. Pour certaines villes dont les bases identitaires et économiques reposaient pour partie sur ces fonctions militaires, la démilitarisation conduit à l’abandon de nombreuses infrastructures et induit un enfrichement, alors que se pose la question de la réappropriation civile par les collectivités territoriales avec le développement de nouveaux quartiers urbains. Terre de passage, la région de Langres et de Dijon connait une empreinte militaire multiséculaire dont les fortifications constituent un des témoignages les plus explicites et visibles. Les deux camps retranchés de Langres et Dijon construits dans ce système fortifié de la fin du XIXe siècle, illustrent l’importance stratégique de ces villes dans la défense du pays et dans le contrôle des routes d’invasion.
Pour autant, cette militarisation du territoire était déjà présente par un réseau de places fortes né de l’annexion de territoires et de la modification des frontières du Royaume de France à partir du XVe siècle. Les défenses de Dijon, capitale du Duché de Bourgogne, et d’Auxonne, devenues villes « frontière » en 1477 après leur rattachement au royaume de France par Louis XI, sont renforcées par la construction d’un château. L’enceinte urbaine primitive de Dijon datée de 1137, aujourd’hui disparue, est modifiée à plusieurs reprises jusqu’à la Guerre de Trente Ans (1618-1648). Les fortifications d’Auxonne, tête de pont sur la rive gauche de la Saône, sentinelle avancée du Duché de Bourgogne puis du Royaume de France, sont également aménagées avec une enceinte composée de 23 tours et 4 portes.
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Les annexions lors des guerres de Louis XIV marquent une nouvelle étape dans le rôle défensif des trois villes. Elles connaissent un premier déclassement avec l’intégration progressive de la Franche-Comté (1678), de l’Alsace (1697) qui déplace la frontière vers l’Est. Langres et Dijon ne sont pas intégrées dans le réseau défensif de Vauban devenu commissaire général des fortifications de Louis XIV. Par ailleurs, Dijon connait une période d’embellissement avec plusieurs opérations d’urbanisme, les remparts et bastions aménagés en promenades et jardins perdent leur fonction défensive. Au milieu du XVIIe siècle, Langres avait encore vu son front sud renforcé par un bastion central et deux demi-lunes. Mais lors de sa visite en 1678, Vauban fait dresser un plan de la ville avec un projet de camp retranché qui reste sans suite. Par contre, Auxonne conserve dans un premier temps un rôle dans la défense de la frontière (Figure 1). Son enceinte médiévale modernisée en 1636 est remplacée par une fortification bastionnée construite par le comte d’Aspremont (1673-1676). Vauban qui reprend la direction des travaux construit un arsenal (1687-1689), des corps de garde et une caserne à l’intérieur du château (1688).
Les guerres napoléoniennes avec les invasions de 1814 et 1815 montrent les faiblesses des places fortes. La défense de la frontière est repensée dans le cadre des Commissions de défense. Le général Haxo, inspecteur général des fortifications, est favorable à une ligne de défense fortifiée dans la vallée de la Marne avec les places de Langres, Chaumont, Joinville. Par contre, le général Maureilhan critique ce choix, pensant que la trouée de Belfort ne jouera pas un rôle majeur lors d’une invasion ennemie. Chaumont et Langres sont classées places de guerre de deuxième catégorie en 1821 mais les débats se poursuivent sur le choix d’une grande place de dépôt dans la défense de la frontière du Nord-Est. Finalement, les tensions internationales en 1840 accélèrent la modernisation des fortifications de Langres (Detailly H, 1989). La dernière citadelle française est ainsi construite de 1842 à 1858 sur un espace de 79 ha avec un périmètre fortifié de 3 000 mètres. Ville militaire autonome, pouvant accueillir en temps de paix quatre bataillons, elle permet de bloquer l’accès sud de l’éperon. Huit bastions et deux lunettes forment l’ossature principale de la citadelle qui est reliée à la ville entre 1850 et 1856 par deux courtines pour former un camp retranché. Ce dernier doit pouvoir accueillir en temps de guerre une garnison de 6000 hommes et servir de dépôt pour un corps d’armée de 13 000 hommes. Langres, comme Châlons et Laon, deviennent des villes destinées à concentrer et former les troupes, Metz restant la clé de voûte du dispositif opérationnel. La vieille enceinte urbaine est restaurée (1844-1856). En1869, les travaux des forts de la Bonnelle et de Peigney débutent amorçant la mise en œuvre du camp retranché. La vocation militaire est consolidée avec trois ensembles fortifiés, la vielle ville, le camp retranché et la citadelle.
De même, Auxonne, après le siège de 1815, modernise ses fortifications par le renforcement en 1826 de son front sud avec une courtine casematée reliant les bastions. Plus d’un millier de militaires participent à la vie de cette petite cité du Val de Saône. Selon le décret du 10 août 1853 qui définit les servitudes militaires défensives, Auxonne et la vielle ville de Langres sont classées en 2ème série alors que sa citadelle est classée en 1ère série. La nouvelle frontière née de la défaite française en 1870 entraine une dernière phase de modernisation des fortifications. Le général Séré de Rivières transforme Langres (Figures 2 et 3) et Dijon (Figures 4 et 5) en camps retranchés sur une seconde ligne de défense qui s’étend de La Fère-Laon à Dijon, en passant par les places de Reims et Langres, voire Besançon pour la protection de la frontière du Jura. Contrôlant les principales voies de communications et ayant un rôle de place de dépôt, elles peuvent soutenir les opérations sur le front de l’Est par l’envoi de troupes. Par contre, Auxonne reste en retrait dans ce nouveau dispositif tout en conservant sa vocation militaire. L’expérience du siège de Metz souligne que le temps des grandes places fermées et assiégées est révolu.
Les travaux de la place de langres se poursuivent en tenant compte de l’expérience de la guerre de 1870 et des progrès de l’artillerie. Elle doit, comme Toul, Verdun ou Epinal, pouvoir recueillir une armée en retraite venue s’appuyer sur ses forts. D’autre part, les opérations de la guerre de 1870-1871 ont démontré que Langres ne suffit pas à verrouiller la route vers l’axe séquano-rhodanien. Le général Werder, en forçant les Vosges, s’est glissé entre Besançon et Langres, a franchi l’Ognon à Cussey, s’ouvrant ainsi la vallée de la Saône et la route de Dijon. La question de la militarisation de Langres et de Dijon parait donc évidente et souligne l’importance de la nécessité de deux camps retranchés. Si les discussions ont concerné le choix de Chaumont par rapport à Langres, la décision a été prise de poursuivre les travaux sur le plateau de Langres, dont l’importance stratégique apparaît majeure. Il est vrai que pendant la précédente guerre, Chaumont a été occupée, ce qui n’a finalement pas menacé les forces établies à Langres. Aussi, dans la stratégie française définie après 1871 sa capacité à recueillir les forces armées en retraite a été démontrée pendant le conflit précédent. Lorsque les travaux s’arrêtent en 1893, la place compte une quarantaine d'ouvrages (8 forts détachés, 20 batteries et ouvrages d'infanterie, 9 magasins souterrains, 4 puits stratégiques) associés à 60 kilomètres de routes stratégiques (Warmoes, 2003). Le rayon de la zone couverte par la place est de 12 kilomètres à l’est pour seulement 3 kilomètres à l’ouest.
De même, Dijon, devient une place d’arrêt avec la construction entre 1875 et 1881 d’une ceinture de 8 forts et redoutes. Elle contrôle un important carrefour ferroviaire vers Paris et Lyon, mais également les routes permettant le passage vers les bassins de la Seine et de la Saône, tout en participant à la défense du Morvan (Chiffre, Sauvage, 2016). Ce périmètre d’environ 45 kilomètres s’appuie entre autres sur le réduit du Mont Afrique composé d’une redoute et de quatre batteries qui domine le plateau de la Côte d’Or. Par ailleurs, en cas de conflit, plusieurs ouvrages, batteries, retranchements, étaient prévus pour la mise en défense du territoire.
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La géographie militaire met en avant le rôle des places fortes mais aussi celui des villes de garnison. Le stationnement des troupes se traduit par une territorialisation dans l’espace urbain. Les casernes en sont l’illustration principale avec la sédentarisation des régiments. Ainsi, les 21e, 27e ou 10e régiments d’infanterie sont liés respectivement à Langres, Dijon et Auxonne. Désormais, l’organisation militaire du pays repose sur une assise territoriale, née de la loi du 24 juillet 1873 portant sur la création des nouvelles régions militaires et autant de corps d’armées. Avec la loi du 27 juillet 1872 qui crée un service militaire universel de 5 ans, le pays se dote d’une armée permanente et les casernements se multiplient dans les villes. Dijon et Auxonne, devenues chefs-lieux de subdivision sont rattachées au 8ème Corps d’armée de Bourges, alors que Langres, initialement intégrée au 6ème Corps de Châlons, rejoint le 21ème Corps d’Epinal lors de sa création en 1913. La militarisation de l’espace marque le paysage urbain avec la construction de casernes et d’autres établissements (magasins, arsenaux, champs de tir…). Mais Dijon par ses fonctions de commandement présente une organisation différente des deux autres petites villes « forteresses ».
Auxonne s’appuie sur un héritage plus ancien avec l’École Militaire d’Artillerie, créée en 1757, et installée dans l’arsenal qui fabrique des affûts de canons jusqu’en 1845. Elle est l’élément fort de cette tradition militaire avec, entre autres, le séjour de Bonaparte, jeune lieutenant en second du Régiment de la Fère, de 1788 à 1791. Des casernes sont construites entre 1759 et 1763, avec trois bâtiments, un grand corps central et deux pavillons. Devenu le quartier Bonaparte en 1931, la fonction militaire perdure jusqu’à aujourd’hui avec la présence du 511e Régiment du Train. Plusieurs casernes complètent l’ensemble, une plus ancienne construite par Vauban en 1688, installée dans le château Louis XI, mais aussi le quartier Marey-Monge au début du XIXe siècle. D’autres bâtiments, corps de garde, magasin à poudre, écuries, hangar à vivres s’inscrivent dans l’espace urbain délimité par l’enceinte bastionnée.
Langres présente au sud de la ville un pôle militaire autonome avec la citadelle qui regroupe tous les bâtiments occupés par l’armée (Figure 6). De part et d’autre de la route qui traverse actuellement la citadelle, autrefois fermée par deux portes, on trouve dans la partie ouest, le quartier Turenne avec quatre casernes encadrant une vaste place d’armes de 3,5 ha, alors que la partie est accueille l’hôpital, la manutention, l’arsenal et les magasins à vivres. Plusieurs poudrières ont été construites à l’écart dans les bastions. Elle forme un concentré de la ville et de la vie militaire, à l’écart de l’espace « civil ». Le 21e RI occupa la citadelle jusqu’en 1939, puis d’autres unités se succèdent, en particulier une compagnie de la gendarmerie mobile remplacée en 1976 par la 711e Compagnie mixte des Essences jusqu’à son transfert en 1996.
Dijon, engagée dans un processus d’industrialisation et d’urbanisation, offre une autre spatialisation de la fonction militaire à l’échelle d’une grande ville. Réactivée dans le système fortifié de Séré de Rivières à la fin du XIXe siècle, les casernes se multiplient dans une ville qui connaît une forte croissance démographique accompagnée de projets urbains. Elle se dote des établissements nécessaires à la vie de la place forte avec sept casernes, un arsenal, quatre poudrières, plusieurs parcs à fourrages, la manutention militaire et un hôpital militaire. Si l’extension de la ville reste sans plan d’ensemble avec la multiplication des lotissements, au nord le long de la route de Langres, un premier quartier « urbain » militaire prend forme avec la construction de plusieurs casernes. Un second quartier se structure à l’entrée sud de la ville avec le quartier de l’arsenal. Elles favorisent le développement du quartier du Drapeau. À proximité, les terrains de la Maladière servent de champ de manœuvres (Gauchat, 1940, 1947). Au sud de la ville, l’arsenal avec ses magasins et ses ateliers d’artillerie s’implante en 1878 en bordure de la route de Lyon dans un site facile à raccorder au chemin de fer, à la gare de triage de Perrigny et au canal de Bourgogne. Il est complété par une double poudrière en 1879. En 1881 sont construits les Magasi...
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