Depuis l'époque de Napoléon Ier, Bourges est reconnue comme un lieu stratégique pour la production d'armement.
Dès la chute du Premier Empire, l'éventualité d'installer un arsenal à Bourges est envisagée. Le Conseil général et surtout le conseil municipal, conscients de la prospérité que pourrait apporter à la ville un tel établissement, entament des négociations avec l'Etat pour réaliser le projet.
L'Etat consent néanmoins en 1833 à l'installation à Bourges d'un régiment d'artillerie, qui arrive en 1837 et loge dans la caserne Condé, dans les bâtiments de l'ancien Grand séminaire. Cependant, ce n'est qu'en 1845 que la ville accueille son premier dépôt d'artillerie. La création du premier polygone de tir date de 1853.
En novembre 1851, décision est prise d'établir également dans la ville une école et une direction d'artillerie. L'école d'artillerie s'installe dans l'enclos Sainte-Jeanne (aujourd'hui 6, avenue du 95e de ligne) en 1856 (4N22). Elle s'accompagne de la création d'un polygone d'artillerie, qui est établi sur le domaine dit de la Grange Françoise, le long de la route de Crosses, sur des terrains expropriés entre 1851 et 1853 (4N172-4N177).
Les établissements militaires à proprement parler naissent en avril 1860 d'une décision du Comité d'artillerie d'installer dans la ville de Bourges un arsenal et une fonderie et d'y transférer l'école de pyrotechnie de Metz.
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En avril 1860, Napoléon III prend la décision d'établir les « Établissements militaires » à Bourges, avec notamment la Fonderie impériale de canons, dont les premières pièces sortent en 1867 sous l'impulsion de l'ingénieur Henry Perrier de Lahitolle. Bourges présente en effet l'avantage d'être proche de Paris et éloigné des frontières où sont alors concentrés la plupart des établissements militaires français, ce qui les rend vulnérables à une éventuelle invasion. La loi du 12 juillet 1861 vient sanctionner cette décision.
Un vaste mouvement d'expropriations commence alors au sud-est de la ville, pour permettre la construction des nouveaux établissements militaires, et le long de la route de Crosses, pour agrandir le polygone d'artillerie (4N200-4N223). Les travaux de construction des établissements militaires, inclus dans un vaste quadrilatère enclos de murs, commencent en 1862. La fonderie de canons est achevée en 1866, puis viennent l'arsenal et le dépôt de matériel. La direction d'artillerie est également transférée dans le quadrilatère. L'école de pyrotechnie de Metz ne s'installe définitivement à Bourges qu'en 1870. En 1870, l'École centrale de pyrotechnie s'implante également à Bourges, renforçant ainsi la vocation militaire de la ville. En parallèle, des travaux pour relier les nouveaux établissements militaires au réseau ferré d'Orléans sont entrepris entre 1868 et 1871.
En 1871 s'installe à Avord un camp d'entraînement pour l'infanterie, la cavalerie et l'artillerie. Le camp accueille également à partir de 1875 une école de sous-officiers qui est transférée à Saint-Maixent (Deux-Sèvres) en 1881. Plusieurs fois menacé de fermeture, la camp d'Avord stagne jusqu'à l'établissement de l'école pratique d'aviation en 1910.
Les dossiers de la sous-série 4N concernant les établissements militaires éclairent essentiellement les différentes procédures d'expropriation ayant précédé leurs créations ou agrandissements.
L'expropriation se déroule suivant la loi du 7 juillet 1833 remaniée le 3 mai 1841 : une enquête pour utilité publique est ouverte, débouchant sur un décret pris par le chef de l'Etat qui déclare l'expropriation d'utilité publique. Une enquête parcellaire est ensuite ouverte par le préfet. Les propriétaires du bien à exproprier sont alors informés de la cessibilité de leur bien et ont la possibilité de le céder à l'amiable à l'Etat. L''expropriation des propriétaires refusant la cession amiable est prononcée par un jugement du tribunal de première instance, notifié individuellement aux propriétaires. L'administration notifie également aux propriétaires les offres d'indemnisation pour leur bien exproprié. En cas de refus des offres par les propriétaires, le montant de l'indemnité est fixé par le jury. L'Etat ne devient propriétaire du bien qu' à partir du moment où l'ancien propriétaire a été indemnisé.
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Ces dossiers permettent de retracer l'origine des propriétés à l'emplacement desquelles ont été construits les établissements militaires et contiennent souvent des plans, précieux pour connaître l'extension du polygone ou de l'école de pyrotechnie, entre autres, à tel ou tel moment. On ne retrouve néanmoins dans la sous-série 4N que très peu d'éléments sur les travaux proprement dits. Ceux-ci n'apparaissent qu'en creux, au travers des procédures judiciaires intentées contre l'Etat par des riverains ou des entrepreneurs.
Le 2 novembre 1907, un événement tragique marque l'histoire du polygone de tir. Un convoi transportant vingt obus à la mélinite, un explosif puissant censé percer les plaques d'acier et détruire les fortifications ennemies, traverse la route de Crosses, escorté par dix soldats. Ces obus, destinés à des essais, sont particulièrement sensibles.
Une explosion terrible retentit. Sept corps sont retrouvés déchiquetés, et trois survivants, dont l'un grièvement blessé, sont découverts sur les lieux. Un cheval, pris de panique, s'enfuit au galop. L'enquête révélera que les soldats, en désobéissant aux ordres, seraient montés sur le chariot, provoquant ainsi l'explosion.
Les victimes, identifiées par Roland Narboux, sont sept militaires et un ouvrier civil, âgés d'une vingtaine d'années. Les blessés sont également très jeunes. L'incident soulève des questions quant à l'amorçage des obus au départ de l'école de pyrotechnie, mais les autorités justifient cette pratique par des raisons techniques et attribuent la responsabilité de l'accident à l'imprudence des soldats. Le ministère de la Guerre publie un communiqué accusant le sous-officier commandant le convoi.
La presse relate abondamment la tragédie, soulignant son caractère particulièrement cruel par rapport aux autres explosions accidentelles survenues au Polygone en 1890, 1898 et 1899. Des obsèques grandioses sont organisées, rassemblant vingt mille Berruyers.
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L'histoire du polygone de tir est jalonnée d'autres accidents et événements tragiques :
La question des tirs à l'uranium appauvri durant la période récente reste un sujet sensible, entouré de silence de la part des autorités. Les effets à long terme sur le personnel sont inconnus, et les témoignages sont rares.
Pendant la première guerre mondiale, les établissements militaires de Bourges l'école de Pyrotechnie, l'Atelier de construction (qui réunit depuis 1912 les anciens arsenal et fonderie) et l'entrepôt de réserve générale fonctionnent à plein régime. Les nécessités de la production accrue imposent une extension importante : une grande vague d'expropriation est ainsi lancée en 1915 pour l'agrandissement de la Pyrotechnie et de l'Atelier de construction (respectivement 4N226-4N231 et 4N20-4N281). L'entrepôt de réserve générale quitte l'enclos Lahitolle pour la route de la Charité puis Port-Sec après 1920.
La guerre entraîne également la fusion des champs de tir du polygone et de la base d'Avord : les décrets du 20 juillet 1914 et du 14 septembre 1917 sanctionnent la création du nouveau champ de tir, qui traverse une dizaine de communes et s'étend sur plus de 30 km. Pendant la Première Guerre mondiale marque un tournant pour les Établissements militaires de Bourges, qui passent de 4500 à près de 25 000 employés entre 1914 et 1948. Ils produisent d'énormes quantités d'armes, de munitions et d'explosifs pour l'armée française. Deux ateliers de fabrication d'armes en voile de béton sont construits sur le site. Pour répondre aux besoins des ouvriers, des magasins, une école, un hôpital et une prison sont également construits.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le tribunal militaire allemand FK776 siège à Bourges et prononce des condamnations à mort suivies de fusillades à Montifaut, dans l'enceinte du Polygone. Entre 1942 et 1944, plusieurs dizaines de patriotes français sont exécutés. En octobre 1944, des soldats FFI de la Compagnie Robin érigent une plaque commémorative en leur honneur.
Après la Première Guerre mondiale, la reprise est difficile. En 1912, la fonderie prend le nom d'Atelier de Construction de Bourges (ABS) et s'étend sur l'ensemble du site Lahitolle. En 1967, l'ABS est regroupé avec l'École Centrale de Pyrotechnie au sein de l'Établissement de Fabrication d'Armement de Bourges (EFAB).
La ville de Bourges bénéficie grandement de la présence des Établissements militaires, qui transforment la ville sur le plan politique et économique. L'arrivée du chemin de fer en 1847 et la construction de grands boulevards entre 1880 et 1910 facilitent le développement de la ville et son intégration au complexe commercial canal de Berry/Halle au blé/Abattoir municipal, la gare et les Établissements militaires.
Outre la production d'armement terrestre, Bourges a également joué un rôle dans l'aéronautique. Dès 1910, un terrain d'aviation est aménagé, et pendant la Première Guerre mondiale, le site d'Avord est visité par des personnalités importantes comme Joffre, en vue d'y implanter une école d'aviation.
Après la guerre, la Société Nationale de Construction Aéronautique du Centre (S.N.C.A.C.) s'installe à Bourges, mais rencontre des difficultés. Elle est finalement remplacée par la S.N.C.A.N. (Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord). Des projets de construction d'avions sont étudiés, mais l'activité aéronautique à Bourges ne parvient pas à se maintenir durablement.
Dans les années 1960, des discussions ont lieu concernant l'implantation d'une usine de missiles à Bourges, en collaboration avec des firmes allemandes.
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