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La "Panthéonisation" des Acteurs Coloniaux

La “panthéonisation” - terme entendu ici au sens large de célébration publique, et non au sens strict d’inhumation au Panthéon - des acteurs coloniaux qui débute en 1894, pour s’achever dans les années 1920 présente une pratique sociale témoignant d’une autre modalité de la réception du fait colonial.

En tant que pratique sociale, elle engage des acteurs dont la composition renseigne sur la place de la colonisation dans la société.

Compte tenu de l’espace de référence, le choix de l’approche régionale ne peut cependant faire l’économie d’un changement d’échelle car les moments privilégiés s’insèrent dans une histoire nationale, mais ils doivent être aussi replacés dans le contexte régional, ce changement d’échelle permettant ainsi de saisir une « modalité particulière de l’histoire globale » qui réintroduit la « pluralité des contextes ».

Hommage à Marcel Treich-Laplène : Un Héritier des Lemovici et "Bâtisseur d'Empire" (1894-1897 et 1912-1934)

La “panthéonisation” de Treich-Laplène ouvre le cycle des hommages publics aux acteurs coloniaux.

Certes, en 1890 sa mort à l’âge de 29 ans, à son poste en Assinie, était de nature à le métamorphoser en héros - colonial pour la circonstance - mais l’hommage qui lui est rendu ne se réduit pas à cet aspect.

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La célébration publique dévoile un phénomène de réception où s’amalgament l’interprétation, la mobilisation et l’appropriation du fait colonial débouchant sur la « naturalisation » de l’événement, faisant coexister la signification coloniale avec une traduction locale, qui peut être nationale ou régionale.

Dans ce cas de figure, se répète le phénomène de convergence de faits culturels nationaux ou régionaux qui place le fait colonial non pas à la périphérie, en position exogène, mais qui le fait entrer en résonance avec d’autres éléments culturels, sociétaux, politiques et réactualise des valeurs, des croyances à la recherche d’une médiation.

L’archétype de l’explorateur en est une bonne illustration : idéal romanesque de la jeunesse, le modèle social a été transformé en modèle politique et pédagogique à l’intention d’une population métropolitaine.

L’itinéraire de Marcel Treich-Laplène l’inscrit dans la lignée des héros d’aventures et/ou coloniaux, sa contribution à la colonisation en fait un « bâtisseur d’empire ».

Ses explorations à l’intérieur de la future Côte d’Ivoire le classent parmi les explorateurs, quelque part entre le modèle représenté par Brazza et celui illustré par Monteil.

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Né à Ussel en 1860, Marcel est issu de la petite bourgeoisie : son père, d’abord notaire et maire de la ville de 1860 à 1870 le mit, en choisissant la magistrature coloniale, en contact avec l’Empire.

Marcel, d’abord tenté par une carrière dans les armes au bout de ses trois années de service militaire en Algérie, y renonça et se retrouva maître d’études à La Rochelle après le décès de son père à Mayotte en 1882.

Sa rencontre avec l’armateur rochelais Arthur Verdier, détermina sa carrière de « constructeur d’empire » et d’explorateur : Verdier lui proposa en effet d’être planteur en Assinie et d’assurer la surveillance des caféteries de Grand Bassam.

Il part en 1883 pour les établissements français de la Côte de l’Or comprenant dans les années 1880 le Grand Bassam (occupation garantie par le traité du 19 février 1842) et l’Assinie (traité du 4 juillet 1843).

Les Rivalités et les Missions de Treich-Laplène

Toutefois, dans cette région, la présence française était concurrencée par celle des Anglais, installés au Sierra Leone et au Gold Coast, et exerçant un monopole commercial, instrument de leur pénétration en Afrique de l’Ouest.

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Français et Anglais sont en compétition pour la conquête de l’arrière-pays et leur rivalité est attisée par l’indéfinition des frontières qui ne sera réglée que par la convention du 10 août 1889.

Elle prend une autre tournure en janvier 1886, à la mort du souverain de Krinjabo, Amon N’Doufou, allié de la France.

Marcel Treich-Laplène, venu pour être planteur, est dès lors projeté dans l’histoire politique coloniale.

En effet, les Anglais imposent au nouveau souverain, Aka Siman Adou, la fermeture de la route Assinie-Kumasi, ce qui interrompt le trafic entre l’Assinie et l’arrière-pays, obligeant ainsi les pourvoyeurs en or des négociants français à emprunter la voie de Cape Coast sous domination britannique.

Marcel Treich-Laplène perçoit le danger d’un tel détournement des circuits commerciaux par l’Angleterre et obtient de Jean Bayol, lieutenant-gouverneur du Sénégal, une mission du 2 mai au 22 juillet 1887 en vue d’obtenir l’alliance des peuples du Bondoukou, ce qui ouvrirait la voie à l’or du pays de Kong, contrecarrant par anticipation une éventuelle politique d’expansion de l’Angleterre.

Au cours de cette mission, il place sous protectorat français le pays de Bettié (13 mai 1887) et de l’Indénié (25 juin 1887), territoires qui se situent à l’Est de la Côte d’Ivoire, préfigurant la frontière coloniale.

En 1888, il est dépêché par Arthur Verdier pour secourir Gustave Binger à l’annonce de sa disparition.

Sa deuxième mission, qui débute le 7 septembre 1888 et qui se poursuit jusqu’au 20 mars 1889, doit le conduire à la rencontre de Gustave Binger à Kong où est conclue l’alliance avec la France par le traité du 10 janvier 1889.

Nommé, en octobre 1889, résident de France à Grand Bassam et administrateur colonial de première classe, il n’assure que brièvement ses nouvelles fonctions car il décède en 1890 des suites d’une fièvre.

Sa mort prématurée le transforme en martyr de la cause coloniale mais, à la différence des autres acteurs coloniaux, l’hommage public ne clôt pas sa geste qui est reprise en charge au début du siècle, pendant l’Entre-deux-guerres et, enfin, à la fin du xxe siècle.

Les Funérailles et l'Éloge Patriotique

La stature de héros colonial ne lui est pas attribuée à sa mort : ses funérailles, célébrées en 1891 dans une relative discrétion, sont suivies principalement par les habitants d’Ussel.

Les éloges funèbres insistent davantage sur la dimension patriotique et républicaine et sont adressés au bon serviteur de l’État qui a accompli les missions que « le gouvernement lui avaient confiées » comme autant d’« actes d’énergie » et de témoignages de son « désintéressement ».

Le retour des cendres de l’explorateur « dans le même champ de repos que les nôtres » se veut pédagogique : il s’agit de transmettre « à nos générations » « l’exemple du plus grand patriotisme ».

L'Interprétation Nationaliste et Universelle

Le maire et Raymond Maisonneuve-Lacoste, ancien procureur général en Indochine, empruntent la thématique nationaliste.

Dans son discours le maire, M. Puivarge, intègre la vocation universelle du message républicain qui est celui des défenseurs de l’expansion coloniale.

Marcel Treich-Laplène en bon patriote, dit le maire, a su « se rendre utile à son pays, contribuer à sa grandeur, en allant au loin porter au milieu des populations inconnues, les avantages de la civilisation et de ses progrès ».

Maisonneuve-Lacoste se fait lui aussi l’avocat de la cause coloniale patriotique et rend hommage à la « phalange vouée aux sacrifices » à laquelle il appartient et qui « sous le même drapeau [a] souffert et combattu pour étendre l’influence de la mère patrie dans les contrées lointaines ».

Il se place résolument dans une problématique politique et ce à plusieurs titres.

En effet, de son propos se dégage une conception moins personnalisée de la colonisation et donc plus collective.

S’il reconnaît à Marcel Treich-Laplène la qualité de « belliqueux représentant de la science », s’il qualifie les voyages de l’explorateur de « campagne formidable », cette reconnaissance intervient après une longue tirade sur le rôle des soldats, des simples citoyens, des missionnaires dans la « lutte livrée de nos jours à la barbarie de l’homme et à l’inclémence de la nature », dans la recherche de « voies nouvelles à notre prépondérance, et aux richesses de nos nationaux, ils s’appliquent à fonder au loin des petites France unies à la grande par des intérêts et la reconnaissance. »

Se dessine une vision de l’aménagement de l’espace mondial par la science et par la technique - et particulièrement par la « Géographie française » - et de sa mise en relation généralisée par le commerce.

Faisant le bilan des explorations de l’Afrique, il conclut en ces termes, « Le souffle du progrès a triomphé de l’inaccessible ; un ruban de fer traverse les sables du Grand-Sahara, et les riverains du Sénégal échangent leurs produits avec les peuplades du Niger ».

Le Modèle de l'Explorateur et l'Action Économique

Le modèle de l’explorateur n’est plus celui du voyageur mais celui de l’homme de science chargé d’inventorier, de collecter les ressources mondiales dans un « but pratique et utile ».

L’ouverture par les explorateurs de nouveaux champs à l’activité européenne - française en l’occurrence - en fait des pionniers de l’action économique au service de la Nation et de son prestige.

L’action coloniale de Treich-Laplène, individuelle au départ, passe par le filtre du nationalisme économique et gagne au passage l’éclat du service rendu à la Nation.

Cette approche collective tient en partie à une relative méconnaissance de la portée politique de l’action de Marcel Treich-Laplène en Assinie.

Maisonneuve-Lacoste oppose en effet la gloire des « hardis propagateurs de la civilisation » en l’illustrant par l’exemple de Brazza, aux « serviteurs plus modestes ».

La minoration de son action politique tient certainement à l’absence de mobilisation de la presse coloniale sur cette région.

La même remarque s’impose à la lecture du propos de l’ami d’enfance de Treich-Laplène, le géomètre Dupeyrix.

En effet, Marcel Treich-Laplène ayant agi en dehors de la sphère médiatique et des sociabilités culturelles, son action a été révélée par le périple de Gustave Binger, devenu « l’émule des grands explorateurs, l’un des plus jeunes parmi les conquérants de la civilisation ».

Si l’explorateur corrézien a été récompensé par la Société de topographie et, en novembre 1887, par la Société de géographie qui lui a décerné la médaille d’or de la société et publié ses récits, il n’a cependant pas connu la gloire que procure une mission officielle médiatisée.

La Redécouverte de Treich-Laplène et la Campagne de Souscription

Treich-Laplène est redécouvert lors de la réception de Monteil en 1893, redécouverte qui s’accompagne de l’enrichissement du modèle.

Au cours de ces festivités, son action est évoquée devant un auditoire élargi, lors de la réception de l’explorateur par le Groupe colonial à Paris.

C’est à cette occasion que le député Édouard Delpeuch, membre du Groupe colonial, rappelle l’existence du prédécesseur de Monteil pour lequel une campagne de souscription est lancée.

À cet effet, un comité créé à Ussel le 4 août 1892, sous la présidence du maire Étienne Brindel, et composé des conseillers municipaux, de Dupeyrix, de Raymond Maisonneuve-Lacoste, du docteur Léon Goudounèche, du capitaine Chiroux, de Frédéric Deschamps (originaire de Neuvic), se propose d’élever un monument sur la tombe de Treich-Laplène en reconnaissance des services rendus à « la France et à l’humanité ».

La proposition qui a reçu le soutien d’Arthur Verdier - il a fait la promesse d’un don de 500 F - est appuyée par les associations corréziennes installées à Paris.

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