Dans le haut Var, au pied des Préalpes, se trouve le Plan de Canjuers. Plan, c'est ainsi que l'on nomme un plateau en Provence. Le nom de Canjuers, il le doit à Jules (César) qui y avait établi son camp lors de son avancée vers les Gaules.
La décision de création remonte à octobre 1962, alors que la France vient de perdre l'Algérie et doit réorganiser son dispositif militaire. Il s'agit de soulager les camps de l'Est de la France et de profiter d'un lieu propice aux entraînements toute l'année. Le secteur concerné couvre 35 000 ha, soit un territoire de 35 km d'Est en Ouest sur 10 du Nord au Sud.
Brovès était l'un de ces villages, la vie s'y déroulait au rythme des saisons, des travaux des champs, des transhumances, loin du tumulte des grandes villes. Il était peuplé dès le IXe siècle, on y comptait 300 âmes au XIXe siècle. Mais en 1974 la vie s'est arrêtée dans ce paisible village.
Le "plan" est peu peuplé (270 habitants), depuis que l'exode rural a vidé cette zone aride au climat rude. Il est occupé par quelques fermes qui s'adonnent en grand à l'élevage du mouton (autour de 20 000 têtes). Pourtant, un village, celui de Brovès, est tout entier inclus dans le périmètre du camp et doit être vidé de sa population. Treize autres communes doivent être amputées d'une portion plus ou moins grande de leur territoire, la plus touchée étant Aiguines, aux portes des gorges du Verdon, qui en perd les trois quarts.
Il n'y a plus âme qui vive à Brovès, seul le vent s'engouffre dans les maisons, par les portes et fenêtre béantes, les toitures effondrées. Les habitants ont alors été relogés dans un hameau appelé Brovès-en-Seillans, plus en vallée, non loin de Seillans.
« Ici, le clocher n’a plus de cloche. Les corbeaux sonnent les heures. Le temps a défoncé les toitures, brisé les tuiles, lézardé l’église, enseveli le lavoir, pulvérisé d’énormes poutres et détruit les façades des vieilles fermes. Tout cela, accéléré par les rapines des pillards venus se servir en pierres de taille, ferronnerie et tuiles anciennes.
Comment cet immense polygone de tir s’est -il imposé dans le paysage alors qu’à cette époque le camp du Larzac mobilisait les foudres et la contestation de toute une jeunesse éprouvée par la fin des guerres coloniales ? Il semble qu’un consensus patriotique existât entre Edouard Soldani Sénateur Maire de Draguignan et président d’un Conseil Général socialiste (le Var comptait 80 communes socialistes à l’époque) et le ministre des Armées, Michel Debré, gaulliste historique et fondateur de la constitution de la 5ème république.
Déclaré d'utilité publique en 1964, le camp rencontre peu d'opposition, même si deux comités de défense sont créés en 1966-67, dont un à Brovès. En fait, les principales manifestations de protestation ont lieu tardivement, au début des années 1970, alors que le pouvoir a été ébranlé par les évènements de mai 68 et leurs conséquences. La lutte menée au Larzac contre un autre projet de camp sert d'exemple et des contacts sont noués en 1972. Trop tard pour contrecarrer les travaux à Canjuers.
C’est ainsi que s’installa sans problèmes le camp de Canjuers alors qu’au Larzac il fallut attendre 1981 et l’élection de François Mitterrand pour calmer les contestataires en abandonnant partiellement le projet de camp, infiniment plus petit pourtant que son homologue varois.
Le Camp de Canjuers, le plus grand champ de tir d’Europe a été installé dans les années 70. Le camp est opérationnel en 1971, peu après la visite de Michel Debré que relate le reportage. Les expropriations, qui ont concerné un millier de propriétaires, la plupart non résidents, seront terminées en 1974. C'est alors, en août, que les soixante-dix habitants de Brovès seront transférés sur le territoire de Seillans dans le hameau tout neuf et à l'architecture contestable de Brovès-en-Seillans, au bord de la route nationale Draguignan-Grasse. Le vieux village servira à l'entraînement aux combats de rues.
Créé en 1970, avec ses 35 000 ha de terrain, dont 14 hectares de camp bâti, le camp de Canjuers est le plus grand champ de tir d'Europe occidentale. Déjà partiellement utilisé entre les deux guerres, il sert actuellement à l'instruction aux unités françaises et étrangères avec 2 500 personnes permanentes et 10 000 hôtes par an.
On y tire 75 000 obus, 1 000 missiles et 1 600 000 projectiles de tous calibres en 330 journées de tir par an. En plus des bâtiments spécialisés, cinq aires de bivouac et des fermes aménagées confèrent une capacité de logement de 5 600 places pour 100 000 hôtes de passage par an.
Aujourd’hui le 1er Régiment de Chasseurs d’Afrique (1er RCA), le 3e régiment d’artillerie de marine (3e RAMa), l’antenne du GSBDD de Draguignan, ainsi que divers autres détachements occupent le site. La gestion du camp a été confiée au 1er RCA suite à la dissolution du groupement de camp en 2010.
De nombreux régiments de France et d’Europe viennent en manoeuvre sur le camp logeant notamment sur des aires de bivouac.
En 2023, on y a accueilli 69. 000 soldats, 75.000l’année précédente. Ils sont Français et viennent parfois de l’étranger - les Ukrainiens étaient là au printemps 2023 -. Ils ne restent que quinze jours à six semaines. Pendant toute la durée de leur séjour au centre d’entraînement spécialisé (il y a 4 sites: le centre de contrôle de l’artillerie (CCA), le centre de formation et de perception interarmes (CFPIA), le centre d’entraînement au tir interarmes (CETIA) et le détachement d’adaptation opérationnelle (DAO) ndlr), les militaires apprennent à manier les véhicules, à piloter les 250 à 300 engins blindés, à tirer des milliers d’explosifs, à combattre au corps à corps… De jour comme de nuit.
Les champs de tir sont à l’arrêt pendant l’été, mais les militaires continuent de s’entraîner à l’artillerie légère. Les soldats doivent être prêts "à partir en mission ce soir". Les champs sont reliés entre eux. Ils peuvent être utilisés par 250 personnes maximum. Dans leur viseur? Les bombardements durent 72 à 96 heures.
Afin de fournir la meilleure formation, 2.200 soldats sont quotidiennement présents sur la base. La moitié vit sur place. Ils sont en relation directe avec les entreprises de l’industrie de l’armement, dont KNDS, Arquus, Thalès, Renault Trucks, MBDA, Safran, ou encore GDI. Tous détiennent une antenne sur place.
Le camp militaire "est un centre de formation unique aux " - la production est co-traitée par les sociétés Nexter, Arquus et Thales. "Les blindés sont testés ici à la sortie d’usine. On vérifie qu’ils sont bons à l’emploi. C’est le cas depuis 2020, dans le cadre du programme Scorpion.
Alors que des panneaux proscrivent de mettre ne serait-ce qu’un orteil sur le terrain militaire, un éleveur surveille ses moutons brouter l’herbe, de l’autre côté de la frontière. Non, ils ne défient pas les militaires. Les soldats ont bien accepté qu’ils soient là. Trente-trois troupeaux ont obtenu l’autorisation de pâturer sur les terrains de Canjuers.
Ce sont en majorité des familles qui vivaient là avant la création du camp, indique le colonel Mickaël Tesson. D’ailleurs, ils sont tous aussi chasseurs ici. Des cartes de chasse leur ont été distribuées dès le départ. Mais ils ne peuvent traquer que le petit gibier sur les zones de manœuvres des véhicules. Leurs quelque 15 000 brebis croisent parfois les abeilles des apiculteurs - 2 000 ruches sont installées sur des zones réservées, sinon sur les quatre concessions truffières situées à l’ouest du camp. Mais aussi les loups ! Selon l’état-major, trois à cinq meutes vivraient là.
L’Office national des forêts gère 13.000 m3 de sylviculture par an, soit 15.000 hectares de bois. Des troupeaux de moutons pâturent sur les terres de Canjuers, avec l’autorisation des militaires.
Le colonel Mickaël Tesson assure que "toutes les lois s’appliquent sur le camp militaire". Les soldats peuvent s’entraîner aux tirs pyrogènes, peu importent les modalités d’accès aux massifs forestiers déterminées par la préfecture du Var. Les exercices ne s’arrêtent que du 20 juin au 20 septembre (pas les tirs d’artillerie légère).
Pour prévenir les feux, les militaires de Canjuers engagent une campagne de désobuage chaque été. En parallèle, nous essayons de développer des robots pour les envoyer sur zone afin de prendre le moins de risque possible. Les Canadairs ne peuvent pas survoler ces zones. Le camp a aménagé 500 km de pistes coupe-feu pour anticiper les départs d’incendies.
Le dinosaure le plus complet de France a été découvert à Canjuers en 1970 ! Une équipe de paléontologues niçois met la main sur le Compsognathus après avoir longtemps fouillé dans les carrières des Bessons. Ses grandes pattes arrière lui permettaient de chasser des petits vertébrés et des insectes. Le spécimen a été fossilisé couché sur le côté droit. L’original est visible au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Un ptérosaure Cycnorhamphus et un crocodile Aeolodon ont été trouvés. Long de 4 mètres, le reptile est complet: du bout de son museau à l’extrémité de la queue. Le gisement est réputé pour ses fossiles, apparus par brouettes avec l’extraction de calcaire ornemental. Le site regorge de spécimens vieux d’environ 135 millions d’années.
Voici une liste des commandants successifs du camp :
Période | Commandant |
---|---|
1969-1973 | Col. Billon |
1974-1978 | Col. Sirvent |
1978-1981 | Col. Taithe |
1981-1984 | Col. Ritz |
1984-1987 | Col. Antoine |
1987-1991 | Col. Nicolaï |
1991-1993 | Col. André |
1993-1995 | Col. Mounier |
1995-1998 | Col. Rommelaère |
1998-2000 | Col. Mariotti |
2000-2001 | Col. Baldechi |
2001-2003 | Col. Barnier |
2003-2005 | Col. Boilletot |
2005-2008 | Col. Ducros |
2008- aujourd'hui | Col. Juillet |
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