Niki de Saint Phalle fait partie de ces artistes dont la force expressive est si grande que tous les matériaux sont utiles à nourrir l’imaginaire. Incluse au Nouveau Réalisme en 1960, elle poursuivra par la suite sa carrière artistique à une allure très rapide, cherchant tour à tour à vaincre ses propres démons en « tuant » la peinture lors des performances des tableaux-tirs, puis à s’imposer en tant que femme artiste sûre d’elle par le biais d’une pratique sculpturale devenue support de revendications féministes, où les célèbres Nanas, femmes aux courbes généreuses, parées de couleurs vives, côtoient des représentations de femmes mariées ou accouchant, non moins que des « mères dévorantes ».
Entre 1961 et 1963, Niki de Saint Phalle réalise une série de tableaux intitulés Tirs, que l'on peut qualifier de performances. Sur une planche de bois, elle accroche toutes sortes d'objets, des poches d'encre ou de peinture, des capsules de shampoing, parfois même des œufs ou des tomates. Le tableau ainsi constitué est recouvert de plâtre : l'artiste tire à la carabine sur les poches de couleur, qui coulent sur le plâtre et créent une œuvre originale, un "tableau surprise".
Ce processus de création, qui laisse une grande place au hasard en laissant couler la peinture, n'est pas sans rappeler la technique du dripping de Jackson Pollock, artiste qui compte parmi les influences de Niki de Saint Phalle. Ces tirs sont d'abord réalisés avec ses amis, puis en public et les spectateurs eux-mêmes sont invités à participer et à faire "saigner la peinture".
Elle convie notamment le critique Pierre Restany à assister à une de ses séances de tir à la carabine sur tableaux. Celui-ci l’intègre alors au mouvement des Nouveaux Réalistes, dont il a rédigé la déclaration. C'est grâce à lui que Niki de Saint Phalle réalise sa première exposition personnelle à Paris « Feu à Volonté ».
À l'origine des Tirs, on trouve Portrait of my Lover, un premier tableau-assemblage composé d'une chemise et une cravate volées à son amant, et d'une cible figurant sa tête, sur laquelle les spectateurs étaient invités à jeter des fléchettes.
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Le 12 février 1961, impasse Ronsin, munie d’un 22 long rifle emprunté à un ami forain, la jeune Niki réalise ses premiers tirs. « A vos marques ! Feu ! Rouge! Bleu ! Les balles percent les poches de couleurs qui coulent sur la toile un temps immaculée. Mais contre qui ou quoi Niki laisse-t-elle exploser sa violence ? Elle tire tous azimuts. Contre son père qui l’a violée alors qu’elle avait 11 ans. Contre les hommes. Contre la société patriarcale qui s’apprête à enfermer au foyer la jeune fille de bonne famille qu’elle est. Contre la religion qui a dicté son éducation.
Pour les tableaux suivants, elle invite le public, les futurs acheteurs à tirer et participer à la création. Et pour Niki, qui confiera n’être pas tombée malade pendant toute la période des tirs, cela fonctionne.
L’interprétation psychologique est trop tentante pour être évitée. Sur qui tire Niki? Sur son père? Celui qui l’a violée et a trompé sa mère alors qu’elle était enceinte? Sur son frère, celui-là même qui a mis le cadavre noir d’un serpent dans le lit de Niki encore enfant, l’été de l’inceste paternel, « l’été des serpents »? Sur son premier mari caricatural?
Si on ne peut qu’être interpellé par une telle biographie, l’art a le pouvoir d’aller au-delà de toutes ces considérations. Le sordide n’est pas un moyen mais un socle sur lequel s’élève une œuvre. Certes la vie de Niki de Saint Phalle participe de certaines de ses obsessions artistiques, la violence qui hante ses œuvres a pour origine le choc du serpent noir et des tout aussi noires caresses paternelles. Mais elle colore ces atrocités du filtre de l’innocence et de l’éternelle renaissance.
Elle le dit elle-même : « La peinture était la victime. Qui était la victime? (…) La peinture était-elle MOI? Me tirais-je dessus selon un RITUEL qui me permettait de mourir de ma propre main et de me faire renaître? ».
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Incroyable phénomène artistique que ces Tirs d’une société au bord de l’implosion, à quelques années de mai 68, on tire sur les inhibitions, l’ordre, l’autorité, le paternalisme, la morale, les travaux ménagers, les premiers HLM… L’art n’est plus dans le résultat mais dans la création ou plutôt dans la destruction. Niki de Saint Phalle joue avec les codes et hurle de rire devant les considérations intellectuelles.
En tant que représentante de l’art moderne, elle tire sur la peinture qui est morte depuis Duchamp? Mais non! L’art pour elle est un jeu, elle a pour héros le très naïf Douanier Rousseau et l’incroyable Palais Idéal du Facteur Cheval. Rappelons l’histoire car elle est si jolie: c’est l’histoire d’un facteur qui un jour tombe de son vélo et observe, fasciné, un petit caillou biscornu. Il se met alors à collectionner les cailloux qu’il ramasse chaque jour sur son chemin dans le but d’en faire les pierres de son palais !
Niki de Saint Phalle fait partie de ces artistes dont la force expressive est si grande que tous les matériaux sont utiles à nourrir l’imaginaire. Incluse au Nouveau Réalisme en 1960, elle poursuivra par la suite sa carrière artistique à une allure très rapide, cherchant tour à tour à vaincre ses propres démons en « tuant » la peinture lors des performances des tableaux-tirs, puis à s’imposer en tant que femme artiste sûre d’elle par le biais d’une pratique sculpturale devenue support de revendications féministes, où les célèbres Nanas, femmes aux courbes généreuses, parées de couleurs vives, côtoient des représentations de femmes mariées ou accouchant, non moins que des « mères dévorantes ».
Parmi ses œuvres notables, on retrouve :
Niki de Saint Phalle est une artiste engagée, toutes ses œuvres en témoignent. Elle lutte contre les injustices sociales, contre le patriarcat et la condition féminine des années 60, pour l'égalité des sexes, pour la prévention du sida, pour l'écologie et contre la ségrégation raciale.
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