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Flaubert est de ceux autour desquels le biographe ne doit pas manquer de placer comme une valeur essentielle l’atmosphère de la famille.
Ne s’étant pas marié, il n’en eut pas de nouvelle.
Il vécut toujours avec ses parents, son père d’abord, qui mourut en 1846, puis sa mère avec laquelle il passa fidèlement presque toute son existence.
Il a eu le culte de ce père (le docteur Larivière de Madame Bovary) et de cette mère.
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Il sacrifia, sur la fin de sa vie, sa fortune à sa nièce.
Au moment des poursuites contre Madame Bovary, ce mangeur de bourgeois se réfugie, comme dans une citadelle, dans l’intégrité bourgeoise des Flaubert.
« Il faut, écrit-il à son frère, qu’on sache au ministère de l’Intérieur que nous sommes à Rouen ce qui s’appelle une famille, c’est-à-dire que nous avons des racines profondes dans le pays, et qu’en m’attaquant, pour immoralité surtout, on blessera beaucoup de monde [4]. »
Mais on ne s’étonnera pas de voir que l’auteur de Madame Bovary s’accordait intellectuellement mal avec « ce qui s’appelle une famille ».
Pendant dix ans, il se cacha pour écrire.
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Son père méprisait toute littérature, et s’endormit la première fois que Gustave lui lut une de ses œuvres.
Le fils aîné, Achille Flaubert, qui fut comme son père médecin-chef de l’Hôtel-Dieu, était une intelligence pratique, courte et sèche, qui avait avec celle de son frère peu de points de contact et de sympathie ; les deux frères ne s’en rendirent pas moins à peu près tous les services qu’ils purent, en s’accordant d’autant mieux qu’ils vivaient moins l’un avec l’autre.
Le plus grande affection d’enfance de Gustave fut pour sa sœur Caroline, compagne de ses études, de ses découvertes, de sa littérature d’enfance, qui, mariée malgré sa faible santé contre le vœu de Gustave, mourut deux mois après son père, quand Flaubert avait vingt-cinq ans.
À partir de ce moment, la maison devient très sombre.
La mère de Flaubert tombe dans une neurasthénie qui ne la quittera plus.
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Vivant avec son fils cadet, elle ne vivait que de lui et pour lui, respectant son travail, son silence, ses humeurs.
Cette vie de famille des Flaubert fut toujours unie et affectueuse, mais un peu lourde et triste.
Elle nous apparaît, moitié d’elle-même, moitié par projection des sentiments de Flaubert, comme un élément naturel de ce malaise et de cette nostalgie dont s’alimentera le génie de l’écrivain.
Par son père il descend d’une famille champenoise où depuis un siècle au moins la profession héréditaire est celle de vétérinaire.
Presque tous les garçons l’exercent.
Les études une fois faites à Alfort, ils s’installent là où il y a des places à prendre, ce qui disperse les branches de la famille entre Nogent-sur-Seine, Baigneux et Sens.
C’est à Nogent qu’est établi le grand-père de Gustave, Nicolas Flaubert, qui, après avoir failli être guillotiné comme royaliste sous la Révolution, meurt en 1814, à soixante ans, des brutalités que les Prussiens lui ont fait endurer.
À ce moment son dernier fils, Achille-Cléophas, est âgé de trente ans.
Le premier de la famille qui ait franchi l’étape de la capitale, il a fait à Paris de brillantes études médicales, y a été l’interne de Dupuytren, qui l’a fait nommer prévôt d’anatomie à l’hôpital de Rouen ; il en deviendra le médecin-chef.
Au temps de Gustave, le nom de Flaubert ne subsistera plus que dans la famille de Rouen.
Les seuls rapports que les Flaubert gardent alors avec la branche champenoise, ce sont les longs séjours à Croisset de l’horloger de Nogent, Parain, qui a épousé la sœur du chirurgien.
À cet oncle Parain, ou « père Parain », provincial gaillard, gourmand, Gustave restera tendrement attaché.
Peu après le retour d’Orient de son neveu il tomba en enfance et s’éteignit.
Nogent devenait alors pour Flaubert un cadre vide.
Il y plaça l’Éducation sentimentale.
Flaubert est né et a été élevé dans un hôpital, et sa vie, son génie, son œuvre en ont été constamment marqués.
L’appartement du médecin-chef, à l’Hôtel-Dieu de Rouen, peut passer pour le lieu où s’est élaborée la vision triste du monde qui, dans la seconde moitié du xixe siècle, s’imposera au groupe principal du roman français.
« L’amphithéâtre de l’Hôtel-Dieu donnait sur notre jardin ; que de fois avec ma sœur n’avons-nous pas grimpé au treillage, et, suspendus entre la vigne, regardé curieusement les cadavres étalés ; le soleil donnait dessus, les mêmes mouches qui voltigeaient sur nous et sur les fleurs allaient s’abattre là, revenaient, bourdonnaient [2] ! »
Cette présence physique du cadavre qui, avec Hugo, Gautier, Baudelaire, hallucine la poésie, il semble qu’il faille, pour que le roman y trouve un sujet solide, l’intermédiaire technique et médical ; du cimetière où il était rendu à la grande nature, et où la poésie romantique l’a vu, le corps retourne à l’amphithéâtre, où le guette pour le roman le fils du médecin.
Mais il y a deux parties dans un hôpital : l’hôpital lui-même et les « fenêtres » qu’a chantées Mallarmé.
Flaubert les connut l’une et l’autre dès l’enfance, entre le réalisme nu d’une dalle d’amphithéâtre et l’évasion passionnée de l’âme que le triste hôpital et l’encens fétide projettent vers du lointain, du bleu, des soleils couchants.
Flaubert a fait le sujet d’une thèse de médecine dont l’auteur, M. René Dumesnil, s’efforce de montrer que si Flaubert ne fut pas médecin, il était digne de l’être, dignus intrare in illo docto corpore.
En tout cas, c’est avec lui, après lui et d’après lui que l’esprit médical, les nécessités et les déformations médicales sont incorporées à la littérature.
(Sainte-Beuve avait fait cependant au commencement de sa carrière quelques pas dans ce sens, mais chez lui l’imitation du médecin le céda dans la suite à celle du confesseur.)
Un jour que Flaubert devait assister à l’enterrement de la femme de son ami Pouchet, un élève de son père, il écrivait : « Comme il faut du reste profiter de tout, je suis sûr que ce sera demain d’un dramatique très sombre et que ce pauvre savant sera lamentable.
Je trouverai là peut-être des choses pour ma Bovary ; cette exploitation à laquelle je vais me livrer et qui semblerait odieuse si on en faisait la confidence, qu’a-t-elle donc de mauvais ?
J’espère bien faire couler des larmes aux autres avec ces larmes d’un seul, passées ensuite à la chimie du style.
Mais les miennes seront d’un ordre de sentiment supérieur.
Aucun intérêt ne les provoquera, et il faut que mon bonhomme (c’est un médecin aussi) vous émeuve pour tous les veufs [3] ! »
C’est, pour le romancier observateur aussi bien que pour le médecin, un devoir professionnel que de cultiver une certaine insensibilité naturelle, mais cette insensibilité ne s’ennoblit que si on la tourne encore sur soi-même, si elle devient bilatérale.
« Je me suis moi-même, ajoute Flaubert, franchement disséqué au vif dans les moments peu drôles.
» Et si Mme Bovary c’est lui, si Bouvard et Pécuchet c’est encore lui, on conviendra que, comme des médecins ont pu observer avec une impersonnalité scientifique leur cancer ou leur phtisie, aucun romancier n’a poussé aussi loin que Flaubert le cœur de s’étendre sur une dalle d’amphithéâtre.
Non seulement présence du médecin, mais du carabin.
L’esprit du carabin est un humour professionnel, tout comme celui du soldat, du professeur ou du voyageur de commerce.
Mais il prend naturellement pour le dehors une ligne macabre, cynique, et qui fait froid dans les os de la « clientèle ».
Une partie de l’humour de Flaubert, surtout dans sa correspondance, vient de là.
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