Très librement inspiré de massacres tels que celui d’Oradour-sur-Glane, LE VIEUX FUSIL est un film magnifique, lourd, intense, dérangeant et sinistre.
Même si la carrière de Robert Enrico reste riche, avec des films d’aventures à la française (Les Grandes Gueules, Les Aventuriers, Boulevard du Rhum), des polars (Pile ou face) et même un grand film historique (la première partie de La Révolution Française), c’est Le Vieux Fusil qui reste son œuvre la plus célèbre, récompensée par plusieurs Césars.
Quand le film Le vieux fusil sort en 1975, la France est en train de regarder de manière différente l’histoire de la seconde guerre mondiale. Elle se met notamment à regarder davantage les zones de gris et le rôle du pays dans la Collaboration.
Le spectateur est témoin de choses dures, éprouvantes, car Le Vieux Fusil s’ouvre et se clôt sur la même image : un homme, une femme et une enfant se promenant en vélo sur un petit chemin de campagne, accompagnés d’un chien. Mais si la scène est identique, le sentiment éprouvé par le spectateur est très différent.
Mais c’est bien un événement terrifiant survenu quelques jours après le Débarquement qui va motiver le tournage de ce film : le massacre par les SS du village d’Oradour sur Glane le 10 juin 1944. Pour les besoins de son film, Robert Enrico décide de déplacer l’intrigue ailleurs. Il opte pour Philippe Noiret pour incarner cet homme « normal », équilibré, qui va basculer dans une violente vengeance pour venger la mort de sa fille et de sa femme (violée par les SS et assassinée au lance-flammes). Enfin, c’est le compositeur François de Roubaix qui va donner au film sa composition si singulière et là aussi si bouleversante.
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L’action du film se déroule dans le Sud de la France durant l’été 1944, après le débarquement américain, et s’inspire des exactions monstrueuses commises par la division SS Das Reich lors de sa remontée sanglante vers la Normandie, et en particulier des massacres de Tulle, d’Argenton-sur-Creuse et d’Oradour-sur-Glane, les 8, 9 et 10 juin 1944.
Il est reproché au film de faire la promotion de la loi du talion. Le scénariste Pascal Jardin s'est inspiré du massacre d'Oradour-sur-Glane, où 642 civils, hommes, femmes et enfants furent assassinés par des membres en débâcle du régiment der Führer.
Le Vieux Fusil est nettement divisé en trois parties. Au début, le film de Robert Enrico nous entraîne à Montauban en 1944. Philippe Noiret incarne le docteur Dandieu, un médecin dont la profession est forcément bouleversée par la guerre et l’Occupation. En règle générale, c’est toute la vie à la ville qui est rendue extrêmement compliquée par l’Occupation. Au milieu de ce contexte difficile, la seule consolation de Dandieu, c’est sa petite famille, sa mère, sa fille, et surtout sa femme Clara.
Montauban, 1944. Le chirurgien Julien Dandieu y mène une vie paisible avec sa femme, Clara, et leur fille Florence. Cependant, l’invasion allemande ne peut le laisser indifférent : préférant les savoir éloignées des tourments de cette guerre, Julien demande à son ami François de les conduire à la campagne, où cette famille possède un château.
Montauban, été 1944 : le chirurgien Julien Dandieu essaye de continuer son travail, malgré la pression de la Milice, en préservant son épouse Clara et sa fille Florence. Afin de mettre celles-ci à l'abri jusqu'à la fin de la guerre, il les envoie se réfugier dans le château familial de la Barberie.
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Romy Schneider est exceptionnelle dans ce rôle. Lumineuse, radieuse, elle incarne plus qu’un personnage : une lumière (ce à quoi renvoie son prénom). Même au milieu des bruits de bombardements, elle conserve sa grâce. Cette lumière donne la vie autour d’elle. Cette image restera constamment, tout au long du film. Si, en nombre de minutes, Romy Schneider est peu présente à l’écran, son personnage est pourtant le centre même du film. C’est son souvenir qui va guider le docteur dans son expédition vengeresse.
La prestation de Romy Schneider est en tout remarquable. Couplée à la scène où Dandier découvre les corps et ne peut qu’étouffer ses cris, ces deux instants sont horriblement bouleversants.
A ce moment-là, le film aurait pu sombrer dans le plus grave des pathos. La scène du viol et du meurtre de Clara est à la limite de l’insoutenable. Mais l’irruption des flashbacks va redonner une vie, une lumière paradoxale à ce qui aurait pu être insupportablement sombre. Pendant qu’il prépare sa vengeance contre les soldats nazis, Dandieu va être assailli par les souvenirs de sa femme, sa rencontre avec elle, sa petite vie de famille de bon père bourgeois de province avant la guerre, etc. De ces flashbacks va donc se dégager une impression paradoxale, mélange de bonté, de sérénité, de joie, et de douleur (car cette lumière s’est éteinte, car tout cela est irrémédiablement du passé désormais).
Car ce que le film nous fera découvrir à coup de flashbacks, c’est une grande et belle histoire vécue par Julien et Clara et qui démarra par un coup de foudre. Deux êtres que tout oppose et qui ont eu le malheur de s’aimer juste avant la guerre. Julien était un médecin reconnu et installé ; Clara une jeune femme moderne qui travaille quand elle en a besoin et qui « ne peut aimer un homme à qui je cède tout de suite« . Et c’est pourtant ce qui arriva.
A travers cette histoire de massacre(s), Le Vieux Fusil nous montre comment l’horreur de la guerre se répand et contamine tout le monde. Au début, Dandieu est un homme qui essaie de faire son métier de son mieux (au vu des circonstances). Mais est-il possible de rester neutre en une telle période ? Dandieu pensait sincèrement échapper à tout cela et protéger sa famille en l’envoyant à la campagne, dans le hameau de la Barberie. Et c’est vrai que les images bucoliques semblent être à l’opposé de la situation tendue et compliquée de la ville. Mais pourtant, la guerre ne préserve rien, tout est touché, souillé par sa folie destructrice. La Barberie devient la Barbarie.
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Le vieux fusil est un film à part dans le cinéma français, notamment dans les thèmes choisis et la manière dont il les traite. Les justiciers expéditifs façon « Dirty Harry » existent peu dans le cinéma français. Dans le cas présent, la construction même du film nous permet de nous mettre aux côtés de Dandier. Immédiatement. Mais dès le début, le ton est pourtant donné avec cette entrée des Allemands dans la ville, au milieu des « maquisards » pendus de chaque côté. De même, l’hôpital où il officie est loin d’être un havre de paix, perpétuellement envahi de soldats allemands et de miliciens à la recherche des combattants que Dandier soigne.
Pour avoir cet effet glaçant qu’il ne lâche pas tout au long du film, le réalisateur joue sans cesse avec l’image, le son, la musique, mais aussi les contrastes. On se souvient du bruit du lance-flamme, de la musique effroyable qui le précède, puis des rires des bourreaux lorsqu’ils visionnent de vieilles archives familiales, dans une séquence à la fois cynique et voyeuriste. Le réalisateur sait comment tenir son public, appuie sur la plaie pour mieux l’impliquer et saisir le traumatisme.
Le Vieux Fusil est un grand film. Philippe Noiret est exceptionnel (il faut voir cette image, furtive, lorsqu’à la fin du film il se rend compte de tout ce qui vient de lui arriver). Il est parfaitement secondé par un Jean Bouise qui a toujours été un des meilleurs seconds rôles du cinéma français. La présence de Romy Schneider évite au film, avec justesse, de sombrer dans le désespoir absolu en lui apportant la lumière et la grâce.
Mais dans tous ces instants, Noiret est absolument bouleversant de justesse et de « normalité ». Et comment ne pas être pétri d’émotion face à Dandier qui retrouve brièvement ses esprits à la fin du film, réalisant ce qu’il vient de faire. Avant de resombrer ! Ces instants comme tant d’autres suffisent à faire du Vieux fusil un immense film.
Une partie de la critique parle d’indécence, choquée par l’aspect insoutenable de cette chasse à l’homme que le cinéaste assume pleinement et que le public (et les professionnels) salueront de concert. En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs. C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France derrière La Tour infernale, Peur sur la ville, On a retrouvé la 7ème compagnie et Histoire d’O mais loin devant Le Sauvage, Dupont Lajoie et Sept morts sur ordonnance.
Dans Les Cahiers du Cinéma, Jean-Pierre Oudart parla à la sortie d’un « film abject », relayé des années plus tard par Louis Skorecki, dans Libération, évoquant « les indécences obscènes » du film. Philippe Noiret (sur l’apport duquel nous reviendrons plus tard) évoque dans sa Mémoire cavalière sa déception de ne pas avoir vu ce sujet délicat traité avec plus de retenue ou de subtilité. Et, de fait, Robert Enrico ne cherche pas spécialement à prendre des pincettes quand il s’agit de décrire ou les massacres perpétués par la division nazie ou la séquence d’assassinats vengeurs de Dandieu : il y opte à la fois pour des mécaniques de film de genre (avec une représentation explicite des choses, y compris les plus sanglantes) et de mélodrame (en opérant sur le contraste entre la violence des actions et la douceur des souvenirs, pour mieux susciter l’émotion).
Critique : Le vieux fusil est finalement le genre de revenge movie que Charles Bronson tournait dans les années 70. Un médecin, dont la femme et la fille ont été tuées dans des conditions atroces, décide de se faire justice lui-même en piégeant un à un les nazis responsables de ces crimes. Robert Enrico, un des pires tâcherons du cinéma français, ne s’embarrasse pas d’une structure complexe : quelques analepses ressuscitent le passé heureux, le présent est le temps du châtiment et le long métrage se déploie selon une chasse à l’homme savamment orchestrée par ce mari endeuillé, qui connaît les lieux comme sa poche.
Apologie de l’autodéfense, Le vieux fusil est un long métrage cathartique qui ne s’embarrasse pas d’une mise en scène subtile. Apologie de l’autodéfense, le long métrage repose sur des arguments détestables : Dandieu utilise les mêmes procédés que ses ennemis, jusqu’à leur dérober un lance-flammes pour immoler le chef de ces assassins. Ainsi, les enjeux de la guerre sont clairement évoqués en privilégiant un schéma cathartique, où le bon Français se débarrasse du méchant Allemand, le but étant de caresser dans le sens du poil la bonne conscience d’un pays dont le gouvernement officiel collabora avec l’occupant.
Cérémonie | Récompense | Lauréat |
---|---|---|
César 1976 | Meilleur film | Le Vieux Fusil |
César 1976 | Meilleur acteur | Philippe Noiret |
César 1976 | Meilleure musique | François de Roubaix (à titre posthume) |
César des César 1985 | César des César | Le Vieux Fusil |
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