Situé au Bhoutan, Le Moine et le Fusil, de Pawo Choyning Dorji, possède cette fraîcheur presque naïve des œuvres du jaillissement. Ce petit pays montagnard enclavé entre la Chine et l'Inde, a vécu durant de longues années sous l'autorité d'un monarque apprécié de son peuple.
En 2006, ce roi, âgé de 51 ans, décide d'abdiquer pour ouvrir son pays à la mondialisation. Les Bhoutanais, peuple principalement rural, découvrent alors la télévision, internet… et la démocratie. C'est tout l'enjeu de ce long-métrage nommé aux Oscars.
Le Moine et le Fusil commence par montrer des paysages à couper le souffle. Dans la vallée, dominée par des poteaux électriques, on suit un jeune moine bouddhiste qui porte une bonbonne de gaz sur l'épaule. Nous sommes en 2006. Dans un village reculé, un représentant du gouvernement éduque les jeunes et les moins jeunes au vote démocratique, car le pays organise une grande élection blanche.
Mais les Bhoutanais restent réfractaires à ce changement. Tandis qu'une jeune femme venue de la ville s'occupe de mobiliser les villageois des montagnes, le petit moine à la bonbonne de gaz est arrivé à destination. Il livre son butin au grand lama, qui l'apostrophe sèchement. « Il me faut des armes. Peux-tu en trouver ? »
Pourquoi diable un lama aurait-il besoin d'armes ? Le film se métamorphose en une sorte de course contre la montre assez surréaliste. Ce moine qui chemine fusil à l’épaule n’a pas fini d’attiser les convoitises et surtout d’aiguillonner la curiosité jusqu’au dénouement final.
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Le Moine et le Fusil fonctionne comme une parabole sur la lente accession à la démocratie d'un pays féodal isolé durant des siècles, perdu dans l'immensité de chaînes de l'Himalaya. Écrit et réalisé par Pawo Choyning DORJI - Bouthan 2024 1h47mn VOSTF - avec Tandin Wangchuk, Deki Lhamo, Pema Zangmo Sherpa, Tandin Phubz...
Et si le bonheur était la pierre angulaire de toute société, de toute entreprise humaine ? L’action de ce film qui nous enchante prend corps au cœur de paysages à la beauté bouleversante, dans la fraîcheur d’un pays qui a érigé l’Innocence comme l’une de ses valeurs cardinales et préfère mesurer ses avancées à l’aune du BNB (Bonheur National Brut) plutôt qu’à celle de l’assommant PNB (Produit National Brut…) occidental.
Nous sommes en 2008 après Jésus Christ, toute la Planète est occupée par un consumérisme de masse dévastateur. Toute ? Non ! Un minuscule royaume de rien du tout, enclavé entre deux géantes (l’Inde et la Chine), peuplé d’irréductibles Bouthanais, résiste encore et toujours à l’envahisseur…
Ici, dans ces contrées reculées, l’électricité se déploie à pas lents, tout comme les téléphones portables. Les rares postes de télévision donnent encore lieu à de véritables moments de rassemblement conviviaux durant lesquels on s’attroupe pour écouter les bruits venus d’ailleurs. Et c’est ainsi que va se propager une annonce incongrue : le Roi du Bouthan a décidé de renoncer à son trône pour provoquer des élections démocratiques.
« Démocratie », « élections » ? Les mots sont lancés, tout aussi abscons pour certains qu’un nébuleux jargon médical qui désignerait une pandémie porcine prête à se répandre. Il y aura bien besoin du renfort inédit de quelques zélés fonctionnaires pour procéder à un zeste de pédagogie envers la bienheureuse population.
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La tâche ne sera pas aisée et les listes électorales s’avèreront compliquées à constituer, entre les autorités locales qui n’y comprennent pas grand-chose et les citoyens sans justificatif d’identité qui se souviennent mieux de leur signe zodiacal (lapin de bois, serpent de feu…) que de la date exacte de leur naissance… C’est loin d’être gagné mais l’on se prend à songer avec un sourire béât : « bienheureux ceux qui vivent sans nos tracasseries administratives ! ».
Le ton est donné, mi-figue mi-raisin, qui fait hésiter entre s’extasier devant les avancées vers une ère nouvelle ou regretter les temps bénis qui échappaient aux affres de nos civilisations ultra connectées et polluantes. C’est dans ce contexte cocasse qu’une histoire pleine de rebondissements va prendre forme, cheminer hors des sentiers battus sur les pas d’un bon moine.
S’il y a bien quelqu’un qui s’inquiète et s’interroge sur ce progrès galopant annoncé comme une panacée, c’est le vénérable Lama du coin. Bien décidé à ne pas laisser instrumentaliser ses ouailles, le voilà qui envoie son meilleur disciple se procurer des armes à feu.
En bon moine, Tashi ni ne questionne, ni ne discute les directives de son Maître. Il se met immédiatement en route, prêt à accomplir son devoir sans broncher, même s’il semble plus simple de trouver une aiguille dans une botte de foin que la moindre arquebuse au pays non violent du bonheur intégral. Pourtant il en trouvera une datant, peut-être pas de Mathusalem, mais au moins d’un temps que les Bouthanais de moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.
Tout serait dans le fond très simple si notre homme dévoué à Bouddha était seul en lice. Mais il s’avère que d’autres, avec de plus gros arguments, ont aussi des visées sur le vieux fusil. Voilà son humble possesseur, un paysan hors d’âge, terriblement courtisé.
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Ce second film de Pawo Choyning Dorji est un régal, brillant et sensible, de la même veine que son premier, L’École du bout du monde, que nous avions programmé il y a deux ans.
Le deuxième film de Pawo Choyning Dorji est un beau conte philosophique, plein de poésie, de délicatesse, de tendresse, avec ses tensions et ses revirements. Il nous revoie à une réflexion sur les limites de la démocratie. Cette démocratie à l’occidentale que veut instaurer le roi dans son pays est présentée avec une certaine ironie malicieuse.
D’ailleurs certains membres de la communauté se demandent avec inquiétude à quoi elle peut bien servir car tout le monde s’entend bien et voilà qu’il va falloir se disputer pour le pouvoir ! Il faut dire que le Bhoutan, pays grand comme la Suisse, enclavé entre la Chine et l’Inde aux confins de l’Himalaya, est très particulier.
La télévision, l’accès à internet étaient encore interdits au début des années 2000. Au lieu d’adopter la norme internationale du PIB, il préfère mesurer l’indice du bonheur national brut (BNB). Le film se situe au moment historique où le roi, monarque absolu mais très éclairé a abdiqué en faveur de son fils pour que son peuple puisse choisir ses dirigeants dans le cadre d’une royauté constitutionnelle.
Pendant tout le film on voit des émissaires de la capitale parcourir les campagnes reculées organiser des élections blanches pour apprendre au peuple à voter. Cet apprentissage se fera en choisissant entre plusieurs partis : le bleu pour défendre la liberté et l’égalité, le rouge pour le développement industriel, le jaune pour l’environnement.
Le film mêle plusieurs histoires en une avec une parfaite cohérence : celle d’un moine, autorité religieuse et spirituelle, le Lama, qui dépêche l’un de ses assistants pour lui trouver un fusil ; celle d’un guide qui accompagne un américain trafiquant d’armes de collection à la recherche d’un fusil datant de la guerre de sécession ; celle d’une fonctionnaire, persuadée que la démocratie à l’occidentale est le meilleur des régimes pour le bonheur du peuple et qui va lui enseigner avec conviction le nouveau processus électoral ; celle d’une famille qui se déchire en raison des choix électoraux du père.
Le récit, avec suspens et rebondissements, est énergique, d’un humour fin, décalé et d’une grande ironie à l’aune de l’actualité. Par exemple un fonctionnaire se montre particulièrement enthousiaste de rencontrer pour la première fois un Américain, un citoyen, dit-il, de la plus grande démocratie du monde, dont il attend des leçons politiques….
Je ne dévoilerai pas pourquoi le moine veut un fusil. Il veut, à ses dires, « redresser la situation ». Mais c’est assez cocasse. Ce beau film, résolument optimiste, fenêtre sur un pays si peu connu et ses somptueux paysages a en plus le mérite de nous ouvrir à une culture aux antipodes de la notre, et de nous montrer que la grande pauvreté peu s’accompagner d’un détachement philosophique des richesses matérielles.
Auteur : Pawo Choyning Dorji, né en 1983, est un producteur, réalisateur, scénariste, bhoutanais. Il obtient un diplôme en sciences politiques à l’Université Lawrence aux États-Unis en 2006. Il obtient ensuite une qualification en philosophie bouddhiste à l’Institut bouddhiste Sarah à McLeod Ganj en Inde en 2009. Il est photographe dans divers revues et est l’auteur de plusieurs livres d’études photographiques.
Fervent bouddhiste, Dorji est l’élève du célèbre maître bouddhiste et cinéaste Khyentse Norbu et a découvert le cinéma en travaillant avec lui, d’abord en tant qu’assistant réalisateur sur Vara : A Blessing (2013), puis en tant que producteur de Hema Hema (2016). En 2019, il réalise son premier long métrage L’École du bout du monde, dont l’histoire se déroule dans une école de Lunana, village isolé de l’Himalaya, présenté au Festival du film de Londres.
Ce film a remporté le prix du public du meilleur long métrage narratif au Festival international du film de Palm Springs en 2020 et est nominé aux Oscars. Le 17 décembre 2022, à l’occasion de la 115e Journée nationale du Bhoutan, Dorji a reçu la plus haute distinction civile du Bhoutan, l’Ordre royal du Bhoutan, le Druk Thuksey, des mains du roi, devenant le plus jeune lauréat de l’histoire du Bhoutan et le premier cinéaste bhoutanais à recevoir le Druk Thuksey.
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