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Le Moine et le Fusil est un film qui voudrait épouser les codes du cinéma occidental, ne ressemble à aucun autre. Après un premier film, sorti en 2019, L’École du bout du monde , ce cinéaste, qui fut d’abord photographe et producteur, poursuit son travail de mise en avant de sa terre natale, le Bhoutan.

En 2006, au Bhoutan, ce petit pays coincé entre la Chine, l’Inde et le Népal, la démocratie débarque, déclenchant une série d’événements inattendus. Le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision... et la démocratie. Surnommé «le pays du Bonheur national brut», ce petit État montagnard enclavé entre la Chine et l’Inde a vécu durant de longues années sous l’autorité d’un monarque apprécié de son peuple. En 2006, ce roi, âgé de 51 ans, décide d’abdiquer pour ouvrir son pays à la mondialisation.

Le roi vient de transmettre son trône à son fils Jigme Khesar Wangchuck, 26 ans, qui décide alors de moderniser le pays. D’abord, la télévision est autorisée (le Bhoutan est effectivement le dernier pays au monde à avoir découvert la télévision), ainsi qu’Internet et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des « élections blanches ». Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Mais la démocratie, ça s’apprend. Le roi décide donc d’organiser une élection blanche pour que les Bhoutanais·es s’entraînent à la pratique de l’élection.

L’action du film, sur le ton de la comédie, se déroule à ce moment-là de l’histoire du Bhoutan, dans un petit village isolé. Un vieux et vénérable Lama apprend par la radio l’arrivée de la démocratie, et il demande aussitôt au jeune moine chargé de le servir d’aller quérir deux fusils. C’est cela que le réalisateur bhoutanais Pawo Choyning Dorji a choisi de mettre en scène dans Le moine et le fusil.

En fait, le réalisateur a trouvé que ce seul sujet de la démocratie imposée et apprise à un peuple était insuffisant et il a choisi de pimenter son film en ajoutant l’histoire d’un lama qui a besoin d’un fusil pour la prochaine pleine lune afin d' »améliorer la situation » et d’un américain prêt à payer des fortunes pour acquérir un fusil en provenance de la guerre de sécession trouvé chez un fermier bhoutanais.

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Tout le comique du film, qui n’est pas que drôle, naît de l’opposition entre des gens assez simples, religieux, honnêtes, absolument pas vénaux, très attachés à leur monarque, et les représentant·es corrompu·es de notre modernité : un petit malfrat venu de la capitale, un trafiquant d’armes américain à la recherche d’une pièce de collection d’une très grande valeur : un fusil datant de la Guerre de Sécession. Enfin, la description du seul personnage étranger du film, le trafiquant d’armes, est désopilante.

Le Regard du Réalisateur et la Mise en Scène

Le réalisateur Pawo Choyning Dorji ne cache pas sa préférence pour le petit peuple bhoutanais, “fruste” mais sans aucun cynisme, quitte parfois à en dresser un portrait un peu folklorique, même s’il est touchant. Par moments, le cinéaste parvient quand même à faire passer l’inquiétude de certain·es Bhoutanais·es face à l’arrivée de la démocratie, qui par définition est une source de conflits. Rien d’anti-démocratique pourtant, dans le propos du film.

Ensuite, soyons clairs : la mise en scène du film ne témoigne d’aucune singularité, et s’inscrit dans le tout-venant du découpage et du filmage international audiovisuel mondialisé. Rien de révolutionnaire et d’original dans la facture. On ne peut pas parler ici d’un style de cinéma bhoutanais.

Un Conte Philosophique

Tous les personnages semblent coulés dans la matière d’un conte philosophique à la Voltaire. D’ailleurs, il ne faut absolument pas résumer ce récit à la dimension institutionnelle et politique, mais beaucoup plus à sa portée narrative. Le film se laisse regarder avant tout comme une très jolie histoire avec des personnages différents, mais qui concourent tous à leur part de bonheur dans la vie. L’indice de bonheur repose d’ailleurs sur les trois partis colorés qui se présentent aux élections, et qui semble encore bien incarnés par la monarchie.

Le Moine et le fusil mêle plusieurs histoires en une : celle de cette attachée ministérielle qui va tenter d’acculturer le peuple d’une petite province du Bhoutan, au processus de vote, dans un contexte où la question religieuse et l’affiliation au roi sont plus marquantes que ce réveil démocratique ; celle d’un moine influant, le Lama, qui dépêche l’un de ses assistants pour lui trouver un fusil ; celle d’un guide qui accompagne malgré lui un trafiquant d’armes de collection ; celle d’une famille qui se réveille au savoir à travers sa petite fille.

Dit comme cela, le propos pourrait sembler confus et sans cohérence. En réalité, le récit retombe sur ses pieds avec une formidable énergie. Justement, le long-métrage redore le blason de cette minuscule contrée offrant des paysages absolument merveilleux. Nous ne sommes pas dans un cinéma misérabiliste, refermé sur lui-même, mais face à une véritable œuvre de cinéma qui soigne ses plans larges. La photographie et la lumière sont sublimes, permettant de déployer sous les yeux du spectateur des paysages et monuments d’une grande beauté, et très colorés.

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Réception et Impact

Le cinéma bhoutanais est rare, et pour cause c’est un pays assez méconnu. Ce film, qui voudrait épouser les codes du cinéma occidental, ne ressemble à aucun autre. Le film témoigne d’intentions quasi merveilleuses, non sans rappeler le charme et la douceur de vivre du long-métrage de Pawo Choyning Dorji L’École du bout du monde, notamment à travers les traits d’une jeune élève qui recherche ardemment une gomme pour bien rédiger ses devoirs sur table.

Douceur et poésie ne sont pas de trop en ce bas monde et justement Le Moine et le fusil s’affiche comme une œuvre fraiche, aérée, délicate, à destination de tous les publics. C’est bien sur cette grande ouverture d’esprit qu’il faut insister, et que petits et grands devraient être émerveillés par ce long métrage valant pour le fond autant que la forme.

Pour être moderne, il faut être démocrate ! C’est le discours tenu aux habitants du Bhoutan, après que leur roi a abdiqué de son plein gré pour que son pays puisse trouver sa place dans le monde. Le peuple doit donc apprendre à vivre dans un nouveau système politique. Alors aux urnes ! Une série d’élections fictives servant d’entraînement est organisée. C’est le point de départ d’une formidable fable satirique qui jette un regard sceptique sur le progrès et l’idéologie politique, sans prétendre nous donner de réponses.

L’intrigue serpente tranquillement, soumet toutes sortes de sujets à notre réflexion, s’en prend de manière subtile et large aux habitants crédules et aux mercenaires, pour se résoudre finalement de manière surprenante et jubilatoire, avec l’aboutissement du plan d’un lama pour « remettre les choses en ordre ».

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