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Comme la critique le souligne à l’envi, la pratique du remake hollywoodien de film français trouve en grande partie son origine dans des motivations commerciales et elle est favorisée par le protectionnisme et la domination du cinéma hollywoodien, puisque la version américaine « remplace » la projection du film français aux États-Unis et est en général promise, sinon à une carrière internationale plus fastueuse, du moins à une exploitation internationale bien supérieure à celle de son film source.

Ces faits ont une importance considérable dans l’opprobre général que suscite le phénomène, mais il est assez réducteur d’envisager ce dernier comme le produit d’une logique exclusivement économique.

C’est en effet oublier que, dans le cas précis des opérations de reproduction et de transformation cinématographiques - comme d’ailleurs pour la plupart des représentations culturelles qui traversent les sociétés modernes capitalistes -, la « logique utilitaire », qui est une logique pratique d’efficacité matérielle, de rationalité économique, ne fonctionne pas indépendamment de la « logique symbolique », culturelle, et que les mécanismes de production ou de perpétuation de la culture sont toujours doublés, masqués, naturalisés par la « logique utilitaire ».

En d’autres termes, la logique pratique d’efficacité matérielle, qui préside à la production de remakes hollywoodiens, est aussi « une intention culturelle ».

Ce qui est vrai pour la pratique du remake transnational par Hollywood l’est aussi pour les films eux-mêmes, produits par remake ou objets sources de remake : les remakes ne sont pas seulement les produits d’une industrie du recyclage, ils sont aussi ceux d’un travail de transposition culturelle, opérée avec plus ou moins de bonheur, qui mérite d’être analysée sérieusement, et pas uniquement brocardée avec ironie.

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En reformulant des représentations dans un autre contexte culturel, idéologique, narratif, esthétique et générique, les remakes donnent clairement à voir que les films - les originaux français tout comme les versions hollywoodiennes - sont des constructions culturelles, esthétiques et narratives distinctes, qui expriment chacune leur univers de production.

Des traductions en langage hollywoodien

Les remakes hollywoodiens de films français, au même titre d’ailleurs que ceux de tout film non hollywoodien, sont certes un des instruments d’une stratégie d’ajustement au marché et d’innovation progressive, mais cette stratégie, qui recombine et reformule des éléments préexistants, est elle-même une forme, culturellement et idéologiquement marquée, de création.

C’est ce que rappelle Jacqueline Nacache, en soulignant combien elle contribue à dessiner les contours de l’identité du cinéma hollywoodien :

Ce qui lie les films les uns aux autres, ce n’est ni leur ressemblance, ni leur dissemblance, mais une intense circulation d’images, d’idées, de paroles, que l’on peut aisément déceler lorsqu’on veut bien considérer les films dans un système d’échange, qui laisse de côté évaluations esthétiques, classifications culturelles et nostalgie critique, et met au jour cette loi de compensation, ce système de vases communicants qui caractérisent si intimement le récit et l’esthétique hollywoodienne.

Remake et identité hollywoodienne : la culture de l’événement

Ainsi le remake met-il en relief certaines caractéristiques, idéologiques et culturelles, du cinéma hollywoodien et contribue-t-il à le définir comme « mode de production d’images et de récit ».

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On comprend dès lors très bien que la signification du remake, comme technique de création, n’est pas exportable à l’extérieur du système économique et culturel qui la détermine.

Les films « produits par remake » à Hollywood peuvent certes voyager, et passer sur les écrans français, grands et petits, mais le principe du remake ne peut qu’être la pierre de touche d’un choc des cultures ou, au mieux, d’un malentendu culturel.

La production d’un remake transnational, inhérente à un système de production de récits où une version chasse l’autre, appartient à la palette de techniques hollywoodiennes dont « le but premier n’est pas de rénover ou de restaurer un film ancien comme un monument, mais simplement d’utiliser une base solide pour mettre en œuvre des innovations (techniques, idéologiques, esthétiques...) ».

Elle repose donc sur une conception de la création totalement antagoniste de celle qui fonde et soutient l’attitude critique et cinéphilique.

Celle-ci participe d’une culture du texte filmique comme monument, où les films sont appréciés comme des objets singuliers, situés dans une histoire du cinéma, que la critique hiérarchise et ordonne dans un véritable travail de mémoire, tandis que le modèle culturel qui justifie la production de remakes est au contraire une culture de l’événement, où une version chasse l’autre.

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Le remake est ainsi le révélateur de deux rapports au temps cinématographique contradictoires, un temps long de la mémoire qui conserve, cultive et réactive le souvenir des œuvres, pour lequel les versions nouvelles sont toujours susceptibles d’être considérées comme des copies dégradées, et un temps court qui privilégie l’énonciation ici et maintenant.

Dans son ouvrage L’Invention de la littérature, où elle interroge des pratiques grecques et romaines faisant intervenir la lecture, l’écriture et l’oralité, Florence Dupont suggère un parallèle entre l’écriture-traduction du théâtre grec réalisée par le théâtre romain et la pratique américaine du remake : au-delà de tout rapprochement évidemment anachronique, toutes deux privilégient l’énonciation au détriment de la textualisation des énoncés.

À l’instar d’une telle pratique d’écriture-traduction, la technique contemporaine du remake suppose qu’« un film a des destinataires limités selon le temps, le lieu et leur compétence cinéphilique », ce qui justifie donc qu’un film ancien soit refait pour être adapté à une nouvelle audience et qu’un film étranger soit refait pour rencontrer d’autres spectateurs que son public national originel.

On comprend que, dans une telle perspective, la simple traduction linguistique ne soit pas suffisante : traduire les dialogues, cela ne suffit pas à américaniser le film.

De plus, la question du doublage peut être éclairée sous un angle nouveau.

Contrairement aux pays européens où cette pratique a été introduite dès le début du parlant, ce qui y a facilité l’exploitation des films en langue étrangère, les États-Unis ont toujours résisté, ce qui a eu pour effet de limiter la pénétration des films non anglophones sur le marché américain.

Il est donc tout à fait exact de constater que l’industrie hollywoodienne a vu dans cette absence de culture du doublage une arme efficace pour protéger ses propres productions et de rappeler que rien n’a été vraiment fait pour habituer le grand public au sous-titrage, ce qui favorise la production de remakes de films étrangers.

Les discours de condamnation du remake ne se privent d’ailleurs pas de rappeler cet état de fait qui empêche mécaniquement l’exploitation américaine des films étrangers et de dénoncer l’hypocrisie de l’argument selon lequel le public américain n’aimerait ni les doublages ni les sous-titrages.

Mais c’est oublier que ces pratiques de postproduction, que l’expérience peut avoir rendues invisibles pour les publics européens qui en sont familiers et pour lesquels elles ne font donc pas écran au spectacle cinématographique, contribuent à gêner l’illusion de réalité, le sentiment de complétude et de profondeur de l’espace filmique et l’implication émotionnelle dans la diégèse, qui sont généralement constitutifs du cinéma hollywoodien.

Le public américain peut certes être captif d’une industrie hollywoodienne dont le refus du doublage semble interdire toute alternative véritable à la production de remakes de films étrangers.

Il n’en reste pas moins que le refus de doubler est cohérent avec le projet esthétique hollywoodien et l’illusion de réalité que le cinéma hollywoodien attache à l’expérience cinématographique.

La notion de « traduction culturelle »

Le remake transnational peut être considéré comme une forme particulière d’échange entre deux cinématographies, qui procède par transfert d’idées, d’images et de représentations, des films français dans les films américains qui les reformulent dans leur système de conventions et de représentations.

Le remake transnational constitue ainsi une opération de traduction « en langage hollywoodien » d’œuvres françaises.

L’analyse de couples « version originale française/remake hollywoodien » se révèle le lieu d’une anthropologie comparée des œuvres cinématographiques, susceptible de dessiner le paysage d’un imaginaire français et d’un imaginaire hollywoodien et de révéler des codes esthétiques, des configurations génériques, des univers de référence propres au cinéma français et au cinéma hollywoodien.

Pourtant, déplacer la question du remake transnational sur le terrain d’une anthropologie comparée des œuvres, penser les remakes hollywoodiens de films français comme le résultat d’une traduction culturelle n’implique pas nécessairement d’adopter une position naïve, où le culturel existerait de manière autonome et dans une position surplombante par rapport à l’économique et l’idéologique.

En effet, la traduction, dans son sens linguistique restreint comme dans une acception plus élargie, n’est pas une opération neutre : les manières de la pratiquer sont historiquement, géographiquement et idéologiquement marquées et reflètent le mode de relation à l’Autre (une autre langue, un autre discours) dominant dans une culture donnée.

La « traduction culturelle » réalisée par le remake, qui intègre des éléments du film français dans une forme, un style, un genre, un espace référentiel hollywoodien, s’inscrit par exemple dans le droit fil d’une tradition de traduction linguistique transparente.

Majoritairement pratiquée dans la culture occidentale, et plus particulièrement par les traducteurs vers l’anglo-américain, une telle pratique de la traduction peut être analysée en termes idéologiques.

Comme l’étudie le théoricien et historien de la traduction Lawrence Venuti, la recherche de la fluidité et la valorisation d’une expression facile (fluency) caractérisent la traduction en langue anglaise, tant dans le domaine technique, où le souci de permettre une communication efficace justifie l’impératif de transparence, que dans le domaine littéraire, où la valorisation de la transparence ne découle pas d’une nécessité pratique.

Le travail de traduction passe de ce fait à la fois par un effacement du traducteur, qui se doit d’être aussi invisible que possible, et par une appropriation du texte étranger, par une domestication qui décharge le texte d’une partie de ce qui fait sa différence linguistique et culturelle, en le « réécrivant » conformément à des standards et un canon anglo-américains.

Soulignant la violence ethnocentrique inhérente à ce type de traduction (et plus ou moins, inévitablement, à toute forme de traduction), Venuti distingue également deux manières opposées de traduire, qui sont l’expression des rapports de force entre pays et entre langues.

Quand une « culture dominée » traduit un texte d’une « culture dominante », elle tend à conserver et à incorporer dans le texte résultant des traits empruntés au texte source, à préserver une part de son altérité linguistique et culturelle.

Au contraire, quand c’est une « culture dominante » qui traduit « une culture dominée », elle garde une sorte de contrôle sur le texte, qu’elle intègre de manière hégémonique dans son propre système de valeurs.

La traduction constitue toujours une forme d’échange inégal.

Le remake hollywoodien, en transposant dans une forme hollywoodienne un film français, opère ainsi une traduction culturelle selon les mêmes modalités par lesquelles les cultures dominantes traduisent, linguistiquement, les textes des cultures dominées.

En effaçant la référence à son film source, il cultive une tradition de transparence comparable à celle généralement mise en œuvre par les traductions littéraires en anglo-américain.

Envisager le remake hollywoodien de film étranger comme une traduction culturelle n’est donc absolument pas contradictoire avec le fait de voir dans la pratique une marque de la...

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