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Depuis l'avènement des civilisations, les êtres humains se sont toujours dotés d’armes à distance (arcs, javelots, lances pierres…) quel que soit le contexte.

Les origines de la poudre noire et des premiers canons

A partir du VIIIème siècle, les chinois intègrent dans leur inventaire un produit qui changera radicalement l'Histoire : la poudre noire. Dans un premier temps, la poudre noire servait à propulser les projectiles, et par la suite de charge pour les fusées de guerre chinoises ainsi que des projectiles individuels comme les grenades en céramique et en fonte.

En Chine, la poudre noire sert à lancer des projectiles à partir de tiges de bambou vers 1200, mais le canon n'est attesté avec certitude qu'en 1313 à Gand. Dès 1150, des armées étrangères (Moyen-Orient) intègrent les systèmes à poudre noire dans leurs armements. Elles prennent la forme d’un canon à main, propulsant une flèche. Cette arme (le Madfaa) est l'ancêtre des armes portatives occidentales (arrivée vers la fin des années 1200).

C’est d’ailleurs en France que le système d’arme à poudre noire connaîtra son baptême du feu en 1324 avec l’utilisation de la bombarde (prédécesseur du canon). Certes rudimentaire (le tube est monté sur des cales en bois, ce qui complique la visée), ce type d’arme procure un avantage non négligeable, notamment avec son effet psychologique.

Toujours en Asie, la Corée a conçu au XVème siècle ce qu'on pourrait qualifier de premier "lance-roquettes multiples" de l'histoire. En effet, le Hwacha était un chariot en bois, doté de 100 trous contenant chacun une flèche propulsée par de la poudre noire. Certes peu précis, le Hwacha servait surtout pour son aspect psychologique, mais surtout pour ses tirs de saturation extrêmement efficaces.

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L'évolution des armes à feu portatives

Au fur et à mesure du Moyen-Âge, les bombardes, les canons ont eu des déclinaisons de plus en plus petites jusqu'à devenir des armes portables individuelles. Cette nouvelle ère des armes débute avec l’arquebuse. Malgré son caractère novateur et son impact psychologique, l’arme en elle-même souffre d’un manque de puissance (contrairement aux idées reçues, une balle d’arquebuse ne perçait pas nécessairement une armure).

Son emploi se généralise durant les sièges et sur mer pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453). De petit calibre et de faible portée, le canon de fer forgé ne peut d'abord rivaliser avec l'artillerie traditionnelle (artillerie à jet mécanique) ; mais, dès la fin du xive siècle, les armes à feu portatives se distinguent de l'artillerie de siège. Les premiers canons à main, bâtons à feu, traits à poudre ou scopettes (1364) servent à effrayer les montures des chevaliers.

Si initialement, les armes à feu s’enclenchent via une mèche, l’arrivée de la platine à silex enterrera cet ancien système de mise à feu. Ni plus ni moins qu’un système de briquet à silex, les fusils utilisant ce système possède de nombreux avantages : une arme plus légère (car moins d’éléments), un système plus compact et plus résistant à des conditions climatiques plus rudes (notamment les temps humides). Le pistolet à silex était généralement utilisé par les officiers.

Au xvie siècle, les bombardes géantes de fer forgé (1453) ont cédé la place aux canons classiques de fonte (réservés à la marine et à l'artillerie de siège) et de bronze (destinés à l'artillerie de campagne, employée sur les champs de bataille).

La couleuvrine puis l'arquebuse à mèche (avec crosse et détente pour la mise à feu) annoncent le mousquet (1521), supplanté définitivement par le fusil à silex (1703), puis par les fusils à percussion (1807) et à aiguille et chargement par la culasse (1842).

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Durant le XIXème siècle, un nouveau système de mise à feu a vu le jour : le système à percussion (marteau frappant l’arrière de la munition). Comblant les lacunes de la platine à silex, le système à percussion va également modifier les standards des armes à feu ; là où le système à silex fonctionnait avec des cartouches en papier, le nouveau mode de mise à feu fonctionne uniquement avec des cartouches en laiton.

L'artillerie de campagne et la rationalisation de la production

Le roi de Suède Gustave-Adolphe, au début du xviie siècle, et Frédéric le Grand, roi de Prusse, au siècle suivant, développent l'artillerie de campagne en la rendant plus légère et plus mobile ; le Français Gribeauval rationalise le canon et standardise sa production (1764) : c'est l'apogée de l'artillerie à âme lisse. Elle sera supplantée à la fin du xixe siècle par le canon rayé en acier et à chargement par la culasse.

Le rôle des armes dans le développement des empires européens

Le rôle des armes et technologies militaires dans le développement des empires européens constitue un sujet d’étude consacré à la fin des années 1980 par les travaux de l’historien Geoffrey Parker. Selon lui, l’amélioration des capacités de tir au canon sur mer, l’apparition du mousquet et d’une artillerie de campagne plus efficace, et la construction de forteresses entre 1500 et 1800 avaient été à l’origine d’une véritable « révolution militaire ». C’est cette « révolution » qui aurait donné aux Européens les moyens de la conquête impériale.

Au cours de ce siècle, la fabrication d’armes à feu augmente tout d’abord pour satisfaire les besoins de l’échange colonial. Dans les Amériques, aux Indes et en Afrique, les Anglais offrent des fusils aux populations locales et les troquent contre des esclaves afin de s’en faire des alliées politiques. La production d’armes s’accroît ensuite dans le contexte des guerres qui opposent les Européens entre eux, telles que la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), la guerre de Sept Ans (1756-1763), la guerre d’indépendance en Amérique du Nord (1775-1783) et les guerres napoléoniennes (1803-1815). Pour les Britanniques, les enjeux de ces conflits sont surtout liés à la conservation ou l’agrandissement du domaine colonial.

La production d’armes est vue comme nécessaire à la protection des intérêts britanniques : « Les Britanniques ordinaires font le lien entre l’industrialisation et l’urbanisation ambiante et l’implication plus étroite de leur nation dans l’économie mondiale ; d’où leur volonté de payer pour le développement des moyens de défendre leurs intérêts à l’étranger » (p. 175). Lorsqu’il commande du matériel militaire, l’État n’est pas perçu comme un parasite mais comme un agent actif du changement économique. Pour le dire autrement, les commandes militaires constituent des opportunités économiques pour l’industrie.

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C’est dans ces circonstances guerrières qu’émerge une industrie dispersée qui opère sous la houlette de l’État, alors que la production tend à reposer sur des processus et composants de plus en plus standardisés.

La "vie sociale des armes" et les enjeux coloniaux

Priya Satia s’intéresse ensuite à ce qu’elle nomme « la vie sociale des armes », qui recouvre les rôles de plus en plus nombreux conférés aux armes, en métropole et dans les colonies. On remarquera d’emblée que le sens et l’utilité sociale des armes ne sont pas partout les mêmes. Dans les colonies d’Afrique de l’Ouest, où les armes à feu exportées sont souvent de qualité moindre, les armes ne jouent pas qu’un rôle guerrier : ce sont des objets cérémoniaux, des emblèmes de pouvoir et une monnaie d’échange, notamment pour acheter des esclaves.

Ce processus n’est pas sans conséquence sur le développement des États africains : « L’augmentation des expéditions européennes de fusils a été corrélée à l’augmentation des exportations d’esclaves après 1750. Le rassemblement d’esclaves a provoqué la montée d’« États esclavagistes » hautement militarisés » (p. 186). Cela étant, le rôle de ces armes dans les guerres locales reste limité, car la faible qualité, le manque de précision et l’obsolescence rapide qui les caractérise (souvent moins d’un an) réduit leur utilité. Ceci explique d’ailleurs pourquoi plusieurs millions de ces armes ont été distribuées et vendues dans ces régions.

En métropole, l’image sociale de l’arme à feu est très différente. Elle est associée à l’idée d’auto-défense et de refus de la violence : l’arme à feu permet à l’individu de rester à distance de ce qu’il appréhende comme une menace. La violence de l’arme à feu est perçue comme impersonnelle et ce d’autant plus que le manque de précision des armes à feu rend difficile d’atteindre la personne visée. En appuyant sur la détente, le tireur déclenche des mécanismes dont l’effet ultime est difficile à prédire. Le tireur va-t-il tuer, blesser ou « simplement » effrayer ?

Au niveau des représentations sociales, cette imprévisibilité se traduit par l’idée selon laquelle le tireur n’est pas totalement responsable des effets qu’il cause. L’arme à feu est en ce sens le revers du couteau, arme du crime passionnel ou du règlement de compte. À la violence froide de l’arme à feu s’opposerait la violence chaude du couteau qui ne manque pas sa cible. Pour ces raisons, l’arme à feu, selon la vision qu’on en a au XVIIIe siècle, est plus « humaine ».

Ces représentations doivent se comprendre à la lueur du clivage possédants-travailleurs au sein de la société britannique. La possession d’armes à feu devient un privilège réservé aux nobles, aux riches et à ceux qui les servent. Avec les clous, les charnières et les serrures, les armes à feu sont une technologie au service de la protection de la propriété. À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, les autorités vont aussi mettre en place une législation destinée à restreindre la possession d’armes par la population par crainte de leur usage lors de révoltes.

Ces lois concernent non seulement les Anglais mais aussi les Écossais et les Irlandais entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle. L’ouvrage jette ici une lumière supplémentaire sur la « guerre aux pauvres » menée par les « élites » aux XVIIe et au XVIIIe siècles et qui a fait l’objet d’analyses par Edward P. Thompson, Marcus Rediker et Peter Linebaugh.

Le développement économique de l’Angleterre a reposé sur l’aptitude des possédants à discipliner des masses de travailleurs. Chassées des campagnes, elles ont été contraintes de bâtir les infrastructures nécessaires au projet impérial (navires, ports et canaux). Ponctuellement, ces travailleurs pauvres se révoltent, générant de grandes inquiétudes parmi les propriétaires. Les armes à feu sont employées pour les terroriser et les mettre au pas.

Comme le montre Priya Satia, les armes à feu conservent néanmoins une image « humanitaire ». La violence des foules, qui n’utilisent quasiment jamais d’armes à feu dans l’histoire britannique, est perçue comme « vulgaire » tandis que la brutalité des possédants, équipés en armes à feu, est « polie » ou « honorable ».

Les armes non létales et l'évolution des tactiques militaires

De nos jours, les armes « non létales » - gaz lacrymogènes, grenades de désencerclement, canons à son ou encore « Lanceurs de Balles de Défense » (LBD) - occupent dans un certain imaginaire sécuritaire une place équivalente aux armes à feu d’alors.

Au sein des forces armées, des changements surviennent également aux XVIIIe et XIXe siècles. L’élévation de la cadence de tir, plus que la précision, est au cœur des règlements tactiques, français puis européens, produits à partir des guerres napoléoniennes. Il en résulte une augmentation de la mortalité par armes à feu sur les champs de bataille. Au même moment, on assiste à une augmentation du nombre d’homicides causés par armes à feu dans la société civile, ce qui pose la question d’une brutalisation de la société britannique liée à l’expérience des guerres de la Révolution.

Entre 1810 et 1815, dans la région de Londres, 12 % des accusations de meurtres renvoyaient à des décès provoqués par des armes à feu. Selon Priya Satia, c’était : « une proportion plus élevée que jamais. Les guerres massives qui avaient commencé en 1793 avaient également changé la façon dont les armes étaient utilisées dans les actes de violence entre des civils. Toute une génération était capable de violence impersonnelle par arme à feu, sans lien avec la propriété, à laquelle elle avait été familiarisée » (p. 252).

Après cette évocation du rôle des armes en Europe, Priya Satia revient sur le cas des colonies, où ces armes servent la mise en place d’un régime de propriété favorable aux Britanniques. Chez Daniel Defoe, le personnage de Robinson Crusoé, « propriétaire » de son île, équipé de son fusil face aux « sauvages », met en exergue le lien unissant le récit colonial paranoïaque de la recherche de sécurité absolue et la détention d’armes à feu.

Du fait de la disponibilité d’armes de meilleure qualité que celles fabriquées aux XVIIe siècle, les luttes entre les colons et les communautés indigènes deviennent plus âpres, notamment dans les Amériques. En Océanie, les armes à feu aux mains des colons servent aussi à mener des chasses à l’homme qui se terminent par des homicides d’aborigènes. Les armes sont par ailleurs utilisées dans des conflits qui opposent les colons entre eux.

Justifications de la production d'armes et contrôle au XIXe siècle

L’essor des ventes d’armes à feu, à destination des forces armées et des colons, s’accompagne aussi de la construction de justifications parmi les producteurs. L’ouvrage se focalise ici sur les membres de la secte des Quakers au cours du XVIIIe siècle. On trouve dans cette communauté, composée d’individus ayant fait vœu de non-recours à la violence, des fabricants d’armes à qui il va être demandé, par leurs pairs, d’expliquer en quoi leur activité est compatible avec leurs convictions morales.

Cela débouche sur une conception libérale et limitée de la responsabilité, qui fait écho à celle de la Theory of Moral Sentiments (1759) d’Adam Smith. Cette conception ne tient compte que des douleurs et souffrances locales dont les effets sont visibles là où ils émergent. Selon cette logique, le fabricant d’armes n’a pas à se considérer responsable des usages, potentiellement lointains, qui seront faits de son arme. Pour Priya Satia, ce raisonnement libéral à une fonction de « gestion de la culpabilité » (guilt management). Il repose en dernière instance sur un rejet d’un mode de pensée systémique, comme celui que l’on retrouve dans la réflexion de Karl Marx ou d’Henry David Thoreau.

Au cours du XIXe siècle, un changement s’opère dans la politique britannique de contrôle des armes. La Grande-Bretagne cherche à consolider sa position impériale dominante et son intérêt consiste parfois à ne pas vendre d’armes à l’étranger pour ne pas mettre de l’huile sur le feu de conflits locaux déstabilisants. C’est dans ce cadre qu’une législation plus restrictive est adoptée : « Les frictions continues avec l’Espagne aboutissent à l’adoption du Foreign Enlistment Act en 1819, qui interdit la vente de navires de guerre aux États étrangers et empêchant aussi de leur vendre des d’armes légères. En 1827, l’Égypte doit acheter des navires et des armes à Marseille, Trieste et Venise, alors qu’elle espérait les obtenir de l’Angleterre. Un décret de 1825 empêche les fabricants d’armes britanniques de fournir la Grèce et l’Empire ottoman qui sont en conflit et les autorités saisissent sur la Tamise des armes destinées aux Grecs. Le commerce imprudent du siècle précédent, lorsque la Grande-Bretagne était un empire en devenir, cède la place à la prudence afin de préserver les relations diplomatiques et maintenir le prestige moral, même aux dépens de l’industrie et du commerce intérieurs » (p.

Cette politique plus prudente s’avère malgré tout difficile à pérenniser face aux pressions de l’industrie. La concurrence persistante d’autres États - comme la Belgique - incite la Grande-Bretagne et d’autres puissances coloniales à développer des normes communes afin de réguler le commerce des armes.

Initiatives internationales de contrôle des armes

La première initiative internationale d’envergure en la matière est la conférence de Bruxelles de 1890 pendant laquelle les puissances adoptent une convention qui porte sur le commerce des armes à destination de l’Afrique. Ce commerce fait ensuite l’objet de discussions en 1908, 1913, 1919 et 1925, notamment dans le contexte de la Société des Nations. On y évoque l’élargissement du champ d’application, notamment à l’Asie, des mesures adoptées à Bruxelles en 1890. Mais les puissances ne parviennent pas à s’entendre et aucune nouvelle convention ne verra le jour.

Musée Goya

La collection d’armes du musée Goya se compose de plus de six cents pièces. Constituée dès la fin du XIXe siècle grâce au legs de Pierre Briguiboul de 1894, elle est complétée en 1896 par la donation du Comte Cillard de Kermainguy. Cet ensemble de plus de cent-quatre-vingt objets comprend d’étonnantes armes indo-persanes mais également des sabres, rondaches, glaives, épées, carabines, pistolets…couvrant la période du XVII au XIXe siècle.En 1998, la donation de René Gayral, collectionneur passionné, résistant de la première heure et ancien du « corps franc de la Montagne Noire » a enrichi le fonds ancien. Cette impressionnante collection de quatre-cent-trente pièces est constituée d’armes à feu, d’armes blanches, datant de l’ancien régime jusqu'au début du XXe siècle, ainsi que des armes allemandes des deux dernières guerres mondiales.

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