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Inconnues du public, les salles de garde de nos hôpitaux sont l’écrin des fresques carabines, tradition bicentenaire unique au monde. Si d'aventure, il vous était possible de franchir les portes des salles de garde, ces lieux dédiés aux repas, au repos et à la distraction des internes, un détail vous interpellerait sans doute : les murs y sont habillés de peintures graveleuses.

Origines et Évolution des Fresques Carabines

Initiées au début du XIXe siècle, ces décorations murales n'avaient, dans un premier temps, rien d’obscène et représentaient les valeurs de la médecine selon les canons académiques. À la fin du siècle, elles évoluent vers la caricature, qui connaît son âge d’or. La dimension licencieuse n’apparaît qu’au moment de la libération sexuelle des années 1960 et s’accentue au fil des ans pour revêtir un caractère grivois. Elles sont aujourd'hui le fruit d’une nébuleuse d’influences, aussi bien cinématographiques, historiques, qu’issues de l’univers de la bande dessinée et de la pop culture.

De même, les références aux chefs-d'œuvre de l’histoire de l’art abondent, renouvelant par le prisme de la parodie les peintures de Jérôme Bosch, Léonard de Vinci, Michel-Ange ou Jacques-Louis David. Autre élément symptomatique de ces priapées : y sont souvent ajoutées des blagues concupiscentes ou des réflexions suggestives. Ces graffitis ne sont pas sans rappeler les fresques pornographiques qui ornaient les lupanars, les tavernes et les bains publics de Pompéi, elles aussi marquées par des inscriptions égrillardes.

Enfin, si la plupart sont réalisées par des médecins ou de jeunes élèves des Beaux-Arts, quelques-unes sont signées des plus grands noms. […] À l’hôpital Beaujon (Clichy), [des] fresques à caractère pornographique ornaient aussi les murs de la salle de garde des internes.

Controverses et Lutte Contre le Sexisme

Depuis plusieurs années, des associations féministes et voix dans le milieu médical s’élevaient contre ces dessins crus, violents, à l’humour douteux. Cela est d’autant plus insupportable que cette ambiance carabine misogyne se traduit par des violences sexistes et sexuelles au sein de la profession et contre les patientes. D’après une étude de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), la moitié des étudiantes en médecine déclarent avoir subi des remarques sexistes lors de leurs stages et 40 % d’entre elles y ont été victimes de harcèlement sexuel.

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La culture carabine, propre à la médecine française, s’inscrit bien dans la continuité du système patriarcal. On pourrait penser que ces fresques sont de l’histoire ancienne mais les hôpitaux font de la résistance… et ce n’est pas anodin. Conjuguées à des hiérarchies fortes, un management toxique et un esprit de corps féroce, cette culture carabine nourrit la culture du viol et l’omerta dans la médecine. Le caractère patriarcal de la médecine s’analyse aussi au regard de son histoire, celle d’un savoir sur les corps qui lui confère un grand pouvoir, longtemps confisqué et interdit aux femmes. On comprend mieux alors le temps qu’il a fallu et le courage d’une Karine Lacombe pour oser dénoncer le machisme de ce milieu.

Si nous reconnaissons les difficultés inhérentes à ces professions et la nécessité d’organiser des moments conviviaux, il nous est insupportable de constater qu’ils servent de prétextes pour piétiner inlassablement la dignité des femmes et des personnes homosexuelles et racisées. Comment pouvons-nous encore penser que la culture dans laquelle chaque interne évolue et doit se conformer pour faire corps n’a aucun impact sur sa pratique de la médecine ? Si entraide il y a, elle est au bénéfice des agresseurs. La culture carabine sert la justification des violences sexistes et sexuelles en minimisant leur ampleur et en cultivant l’omerta pour réduire au silence les victimes.

Après les campagnes #metoo, #balancetonporc, #payetonutérus, #payetablouse, et les différents scandales de violences obstétriques et gynécologiques, des associations, collectifs de patientes, syndicats de professionnel.les de santé ont été lassés par l’incapacité des pouvoirs publics et des centres hospitaliers et universitaires (CHU) à agir. Ils ont multiplié pétitions et tribunes qui sont restées lettre morte. C’est la raison pour laquelle des actions en justice ont été conduites aux CHU de Toulouse puis de Rennes pour faire interdire les fresques pornographiques se trouvant dans les internats de médecine.

Instruction Ministérielle et Retrait des Fresques

Le 17 janvier 2023, comme l’ensemble des établissements hospitaliers en France, le GHU de Paris et l’hôpital Beaujon ont reçu une instruction ministérielle leur demandant de retirer leur fresque à caractère pornographique et sexiste. Forte de l’ordonnance du tribunal administratif de Toulouse dans laquelle le juge a estimé que « le caractère pornographique des fresques dont l’enlèvement est demandé, représentant des agents de service public, hommes comme femmes, se livrant à des actes sexuels dans des situations humiliantes (…), porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité humaine », Osez le féminisme !

L'Hôpital Beaujon : Un Exemple de Transformation Artistique

Pour ne pas froisser le corps médical, à l’hôpital Beaujon, pas question de recouvrir les fresques « d’un simple coup de peinture », explique Nathalie Pons-Kerjean. « Nous avons alors réfléchi à un projet artistique intelligent, qui respecte l’injonction ministérielle, et porté par la communauté médicale. Good-Bye Hippocrate est dessinateur, mais aussi urgentiste. À 41 ans, ce Bayonnais vit aujourd’hui de sa passion, tout en gardant son activité médicale, et a déjà collaboré par le passé avec l’hôpital Beaujon autour d’illustrations destinées aux soignants. Quand Nathalie Pons-Kerjean, pilote de ce projet artistique, lui a proposé cette nouvelle collaboration, il n’a pas hésité : « J’avais carte blanche. J’ai pu faire exactement ce que je voulais, même travailler sur la nudité. C’était un peu schizophrénique, puisque je devais aller dans le sens de l’histoire, tout en gardant une forme de tradition carabine.

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Pendant près d’un an, le dessinateur a travaillé sur ses œuvres, en détournant notamment la fresque du plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange ou en dessinant l’hôpital lui-même et les médecins qui y travaillent. « C’était un superbe challenge. Je suis très heureux d’avoir pu rendre l’hôpital moins inhospitalier, avec des messages féministes et écologistes. » Le 17 octobre dernier, les œuvres de Good-Bye Hippocrate ont été inaugurées en présence du corps médical. « C’est une très belle réussite, souligne Nathalie Pons-Kerjean.

La mise en place de ces fresques est cependant loin d’avoir fait l’unanimité dans les salles de garde. Des pétitions ont été lancées et des figures de la profession ont fait savoir leur opposition. Dans une démarche de souvenir et de mémoire, les deux hôpitaux ont décidé d’archiver les anciennes fresques. « Nous ne souhaitions pas être dans un phénomène de table rase, de censure mais plutôt d’évolution », justifie Jean-Del Burdairon. « Effacer ce pan d’histoire aurait pu heurter », ajoute Florence Patenotte. In fine, comme le raconte Nathalie Pons-Kerjean : « Nous allons de l’avant, sans renier le passé.

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