L'expérience marquante dont les auteurs font état renvoie à des épisodes de classe qu'ils qualifient d'abord d'anecdotiques et qui concernent l'enseignement du handball en collège. Plus particulièrement, il s'agit de l'adoption d'une astuce ou trouvaille pédagogique - l'utilisation d'un tapis comme bouclier - pour résoudre une difficulté récurrente dans leur enseignement : assumer et gratifier le poste de gardien de but au jeu de handball.
Le caractère marquant de cette expérience pour ces enseignements tient au résultat spectaculaire qu'a produit cette trouvaille pédagogique dans leur pratique d'enseignement du handball au collège et au lycée.
Les auteurs montrent comment cette astuce pédagogique inventée et bricolée les a engagés dans un processus d'élaboration de nouvelles compétences didactiques concernant l'enseignement de handball. L’observation d'une évolution qualitative quasi immédiate des réponses des élèves dans le rôle de gardien les a conduits à questionner la fonction même de cette trouvaille dans le développement moteur et social du handballeur.
Ce questionnement professionnel qu'ils ont opéré en tant qu'enseignants, leur a permis de donner à cette astuce pédagogique une dimension qui est en fait bien autre chose qu'une simple recette ponctuelle : elle a généré chez eux un raisonnement "didactique" quant au rôle de cet artifice en handball sur l'équilibre du rapport de force entre gardien de but et attaquants, et sur l'éducation physique et sportive qu'il pouvait offrir pour leurs élèves.
C'est l'intégration de cette astuce dans un processus réflexif qui a permis de la développer et de la constituer en véritable variable didactique : évolution de la forme et de la taille du tapis, adaptation d'une "visière", etc. Ainsi, la simple innovation technique prend une dimension d'instrument didactique, au service d'une compréhension problématisée des enjeux éducatifs de l'enseignement des activités sportives en milieu scolaire.
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La dimension d'un geste professionnel est ici à l'oeuvre, au sens où son implantation éminemment pratique s'inscrit dans un professionnalisme qui le surplombe et le contrôle. Ce texte est une reconstruction, dans la réalité le déroulement des évènements a été beaucoup plus chaotique et irrationnel que ce qui est présenté ici.
Avant de poursuivre il me semble important de préciser que j’ai reçu une formation de gardien de but puis d’entraîneur dans le cadre fédéral ce qui a fortement influencé ma démarche. J’ai également eu la chance d’appartenir à une équipe pédagogique stable et extrèmement dynamique qui a élaboré très tôt un projet d’établissement original, avant de participer en 1983 au GRAF sports collectifs (groupe de recherche-action-formation mis en place dans l’académie de Grenoble par les inspecteurs Robert Né et Paul Deschaux) dont le but était de fournir un recueil de situations «validées» utilisables dans l’enseignement ainsi qu’un pool de formateurs disponibles dans les différentes APS, pour la FPC.
Je n’ai eu qu’une seule remarque sur mes propositions (remarque qui au départ m’a profondément choqué) : «pour toi le Hand ball semble se résumer au tir.» Après examen, il m’apparut que toutes mes situations conçues pour des débutants, concernaient des duels tireur/gardien plus ou moins aménagées pour provoquer des ajustements de part et d’autre, démarche inconsciente de ma part à ce moment là.
Cette prise de conscience m’a conduit à vouloir passer d’une démarche intuitive à une démarche organisée ce qui supposait de trouver une justification théorique à cette entrée dans l’activité. Il m’a semblé que le développement de compétences relatives au tir, aidait à organiser et à donner un sens à toutes les actions individuelles ou collectives qui précédaient le tir au cours du match et cette clarification du fonctionnement de la cible et du but à atteindre me semblait sous estimés dans l’enseignement traditionnel.
De même le fait que tous les élèves constatent concrètement l’impuissance d’un gardien seul face à un tireur devait les amener à concevoir sa protection comme allant de soi. Parallèlement et aprés expérimentation avec mes collègues non spécialistes de sports-co, mes mini situations se sont avérées trop complexes et inexploitables par un enseignant confronté à la gestion d’une classe sur un terrain ne comportant que deux buts.
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Le problème dans une démarche de construction et de validation de contenus c’est que le temps est compté, quand le cycle de Hand est terminé l’expérimentation piétine. J’ai donc utilisé différentes ressources, d’abord mes collègues avec qui je participais à l’élaboration d’un projet d’établissement dont une des idées directrices était «de permettre à chaque élève d’atteindre son plus haut niveau de compétence possible dans les APS proposées»; puis les stagiaires de l’UFRAPS ou de FPC qui se sont vus confier des classes entières avec pour tâche de trouver des solutions matérielles acceptables aux problèmes que pose l’enseignement du tir dans un contexte scolaire «normal».
L’objectif clairement «imposé» était de trouver des situations d’apprentissage fonctionnant quasiment toutes seules pour permettre à l’enseignant d’observer les élèves afin d’intervenir de manière individualisées sur les difficultés rencontrées. L’utilisation du terrain dans sa longueur s’étant rapidement révélée insatisfaisante, une des stagiaires a suggéré de se servir des six tapis Pleyel récemment achetés pour la gymnastique comme buts, et de délimiter six espaces de travail avec des plots en travers du gymnase pour augmenter le rendement (4 à 5 joueurs par espace avec un ballon chacun) et réduire les inter actions source de conflits entre élèves.
Afin de renforcer l’aspect bio-informationnel du duel, trois zones verticales ont été tracées à la craie sur les tapis et seuls les buts marqués dans les deux zones latérales comptaient. Cet aménagement devait permettre au gardien ou au tireur de faire des choix susceptibles d’induire des réponses exploitables par l’adversaire.
Tout le monde passe gardien, les tireurs ou les gardiens fonctionnent sous forme de défis (3 pénalties chacun par exemple). Cette situation de départ évoluait de façon imprévisible en fonction des observations et de l’imagination des stagiaires.
Mais si ces derniers se sont révélés très compétents pour animer les séquences de recueil de solutions et leur diffusion à l’ensemble de la classe, ils n’ont pas réussi le plus souvent à dépasser le simple constat des élèves. De plus, si l’idée apparemment loufoque d’un des stagiaires (qui avait demandé au gardien de défendre à cloche pied pour faciliter la réussite du tireur), permet de découvrir qu’un gardien qui amène le poids de son corps sur un de ses appuis ne peut plus utiliser cet appui pour intervenir sur le ballon, alors les perspectives d’expérimentation se multiplient.
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Si on demande par exemple au tireur d’orienter son impulsion en direction d’un des espaces à atteindre ceci va obliger le gardien à se déplacer et permet d’utiliser soit l’espace libéré soit le tir au rebond du côté du pied d’appui du gardien. De la même façon le gardien doit apprendre à se déplacer en pas chassés rapides le poids du corps vers l’avant des appuis (talons décollés) pour pouvoir intervenir sur les balles basses.
Ces séquences motrices qui se situent entre le moment où le dribbleur tente de récupérer le ballon et l’armé du tir, se sont révélées difficiles à repérer et à traiter par les stagiaires. Soit le ballon était perdu au moment de la récupération soit le tir se faisait dans la foulée et directement sur le gardien le tireur étant incapable, de dissocier l’impulsion de la suspension et d’utiliser la rotation des épaules par rapport au bassin qui permet un meilleur armé et provoque une incertitude quant au moment du lâché du ballon.
Parmi les remédiations proposées celle qui consistait sur une distance donnée, à compter les dribbles et à diminuer d’un dribble à chaque nouveau passage, à donné de bons résultats car elle provoquait un changement de posture du dribleur et permettait un meilleur enchaînement des séquences dribbler- ramasser la balle-courir-sauter et tirer ou tirer rapidement pour prendre le gardien de vitesse. L’introduction d’un poursuivant à également permis un enchaînement plus efficace.
On peut stopper le dribbleur sans le déséquilibrer en intervenant sur le ballon quand celui ci n’est plus contrôlé. le tir par dessus la défense, la fixation, la passe décisive, la liaison interception/contre attaque, l’appel de balle vers les espaces libres et la passe dans la course du futur réceptionneur, le bloc pour libérer des espaces, la conservation du ballon en cas d’échec de l’attaque, la dissuasion, le harcèlement.
Le cas du harcèlement est intéressant car il est le plus souvent interdit dans le souci de protéger le débutant et de faciliter l’arbitrage. Du coup, le problème est supprimé sans que l’élève ait la moindre chance de trouver des solutions en recherchant un soutien ou en tentant de renverser le rapport de force par un dribble de débordement. Cela supprime également l’idée que pourrait avoir le défenseur de provoquer légalement la faute de l’adversaire pour permettre à un partenaire de récupérer le ballon.
C’est l’occasion de découvrir le contact légal qui favorise réellement l’arbitrage en clarifiant pour tous, ce qui est permis ou interdit sans changer la nature de l’APS. Au hand-ball le contact est toléré et, si frapper le ballon dans les mains du porteur, le ceinturer ou le déséquilibrer est interdit on peut le toucher et même tenter de poser la main sur le ballon pour provoquer une mauvaise passe.
Je pense que ce traitement de l’APS peut changer la philosophie de l’enseignement: plutôt que de subir une situation désagréable il vaut mieux apprendre à faire face. Dans le projet d’EPS du collège certaines activités bénéficiaient de temps de pratique important, soit parce que les conditions matérielles était favorables soit parce que les enseignants membre des GRAF avaient réfléchi sur des contenus innovants.
Les matches se déroulaient à 7 contre 7 en 2 groupes de niveau, débutants ou confirmés, l’enseignant dirigeant le jeu. L’obstacle principal à cette organisation a été la conception du rôle que l’on faisait jouer au matches dans l’apprentissage, pour certains le match était un instant de détente pour les élèves et devait se situer impérativement en fin de séance.
La solution consistait donc à transformer les matches, en temps d’apprentissage sans faire baisser la motivation. Les enseignants de l’UFRAPS membres du GRAF ( Pin, Derrider, Bonnefoy) ont introduit deux idées innovantes pour l’époque qui ont joué un rôle important dans cette évolution: faire jouer les matches à effectifs réduit pour donner le temps au débutant de s’informer et de décider, et évaluer les joueurs sur le modèle de la NBA en comptabilisant pour chacun le nombre d’actions qui favorisaient le rapport de force pour leur équipe. (ex: les rebonds, la passe décisive, les paniers réussis).
Ces idées ont eu beaucoup de mal à s’imposer dans la profession, car non seulement elles allaient à l’encontre des idées reçues (le Hand se joue à 7) et ensuite, hiérarchiser les élèves à l’intérieur d’une équipe posait des problèmes moraux et matériels. Surtout, elles compliquaient considérablement la tâche de l’enseignant car, diminuer le nombre de joueurs par équipe revenait à augmenter le nombre d’équipes donc de joueurs inactifs sur la touche, joueurs qui ne restaient pas longtemps inactifs surtout si le professeur était occupé à évaluer.
L’équipe d’EPS a décidé de relever le défi en traçant deux terrains de Hand contigus dans la cour du collège. Sur chaque terrain trois équipes se confrontaient dans un tournoi, à 5 contre 5 pour les confirmés 4 contre 4 pour les débutants, la troisième équipe fournissant arbitre, marqueur chronométreur et (nouveauté): observateurs. La durée des matches étant de 6′ à 7′.
Par exemple pour attirer l’attention sur la liaison récupération du ballon-contre attaque, le but vaut 2 points s’il est marqué dans les 5 secondes qui suivent la récupération soit sur touche, coup franc, interception ou passe du gardien. L’observateur muni d’un chrono valide ou non l’action.
Les jeux à thème alternaient avec des matches où les élèves étaient évalués sur les actions jugées déterminantes par l’enseignant chaque action étant recensée sur les tableaux. Parmi ces actions la passe décisive, définie comme la passe qui met un tireur en situation favorable (sans que le défenseur ne puisse intervenir sans être sanctionné), le tir ou le but, l’interception, étaient valorisées.
A ce stade il me semble important de souligner le rôle joué par la FPC dans la construction de ces contenus. En effet, entre temps ma situation avait changé et j’avais obtenu le poste d’EFC (enseignant-formateur-chercheur) poste créé par l’inspection et attribué a chaque GRAF à tour de rôle pour 4 ans, dans le but d’amener plus de rigueur dans leur travail.
L’idée directrice a donc été de transformer ces journées en temps d’expérimentation et de validation avec des classes ordinaires, tout en choisissant les thèmes de travail de manière à faire évoluer la conception de l’APS aux yeux d’une partie des stagiaires. Par exemple, comment faire du tir un moment d’apprentissage? ce qui a permis de mettre en évidence les limites des solutions telles que le plinth comme gardien ou des cibles dans les buts sous forme de cônes ou de foulards, pour aller vers une conception plus bio-informationnelle.
La question comment constituer des groupes de niveau de manière incontestable quand on n’est pas spécialiste du hand-ball a été un moment important puisqu’elle a fait basculer l’intérêt des participants vers l’identification de la grille de lecture des «experts» . Petit à petit un protocole s’est dégagé: demander à des entraîneurs d’utiliser l’œil du maquignon, et comparer leur résultat avec ceux obtenus par les stagiaires à partir d’observables supposés être révélateur d’un niveau.
Ce protocole était directement inspiré des protocoles de la psychologie du travail expérimentés dans le cadre de mon DEA. Cette démarche a fait émerger les différents comportements qui influencent le rapport de force; les lister et les repérer au cours d’un match a changé le regard que certains enseignants portaient sur les élèves confrontés aux fondamentaux de l’APS, (voir le harcèlement par exemple).
Accessoirement elle a aussi permis d’identifier le tir comme observable fiable et suffisant pour constituer des groupes de niveau. Le tir s’étant révélé insuffisant pour classer les joueurs dans un même niveau, la passe décisive et l’interception lui ont été adjoint dans des matches à effectifs réduits et ont donné des résultats jugés suffisamment proches de ceux des experts pour être retenus.
Un mot sur l’observatoire des pratiques dont la brève existence n’a pas autorisé l’exploitation des résultats recueillis mais qui a confirmé le fait que l’entrée par le tir, les groupes de niveau et le jeu à effectif réduit constituaient bien une innovation du moins dans la région et à l’époque évoquée.
Sur 20 séances de hand-ball observées avec l’accord des enseignants, aucune ne comportait d’apprentissage organisé du tir, toutes se déroulaient selon le même schéma: les matches à 7 contre 7 avaient lieu directement après un échauffement à base de dribbles et de passes (les situations étant construites pour éviter l’irruption de tout événement aléatoire qui auraient pu perturber les dribbles ou les passes), dans une seule les matches s’effectuaient par groupes de niveau décidés par l’enseignant, dans les autres les élèves composaient eux même des équipes forcément hétérogènes l’enseignant se situant comme arbitre, dans deux séances le même thèmes de jeu étaient censé maintenir la motivation des élèves: les buts des filles valent 3 points.
Une seule séance portait sur l’évaluation, l’enseignante comptait le nombre de passes réalisées par les élèves, plus ce nombre était élevé plus la note était élevée. Ce projet hand-ball a fonctionné tel que décrit ci-dessus pendant de nombreuses années ce qui prouve sa faisabilité dans certaines conditions.
Il a permis entre autre effet de traiter différemment le problème de la motivation des élèves (qui est une préoccupation récurrente et obsessionnelle des enseignants pendant les stages de FPC). Peut être parce que dés le départ le projet d’EPS avait pour objectif d’élever le niveau de compétence des élèves et de leur permettre de l’exprimer et de le vérifier sur le terrain dans chaque APS programmée.
De ce fait en Hand ball, chaque élève pouvait trouver un sens à ses actions en participant à une activité conçue clairement comme la gestion à l’avantage de son équipe d’un rapport de force collectif. (Or cette conception, qui apparaît brutalement dans le duel tireur gardien, semble difficile à accepter par une partie de la profession.
L’exercice ci-dessous peut être réalisé en fin d’échauffement gardien de but, et plutôt avec un public jeune adultes/séniors (ou jeunes très débrouillés).
La simple innovation technique prend une dimension d'instrument didactique, au service d'une compréhension problématisée des enjeux éducatifs de l'enseignement des activités sportives en milieu scolaire.
Voici un exemple d'exercice pratique pour illustrer l'approche duel tireur-gardien:
Étape | Action | Consignes pour le Gardien de But (GB) |
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1 | Passe au pivot | Avancer vers le pivot au moment de la passe et se placer idéalement pour agir. |
1 | Tir du pivot | Accompagner le mouvement du tireur en se déplaçant de manière équilibrée pour intervenir efficacement. |
2 | Tir du demi-centre | Se placer en profondeur, plutôt bas sur le tir en secteur externe, et ajuster le placement latéral pendant la suspension du tireur. |
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