La carabine Lebel scolaire est intimement liée à l'histoire des bataillons scolaires en France, une institution née dans le contexte de la défaite de 1870 et du désir de revanche nationale.
La défaite de 1870 fut perçue comme une humiliation nationale, suscitant un fort désir de revanche. Napoléon III et le Second Empire furent critiqués pour leur manque de préparation militaire. La loi de 1872 instaura un service militaire obligatoire, mais des dispenses étaient accordées aux soutiens de famille et aux membres du clergé. Afin de réduire la durée du service militaire sans affaiblir l'armée, l'idée d'une formation préalable à l'école gagna du terrain.
Le ministre de la Guerre, le général Farre, souligna en 1881 la nécessité d'un "dressage préliminaire spécial acquis à l'école" pour compenser un service militaire plus court. Il insista sur l'importance de développer "l'instruction militaire civique" et d'inculquer aux enfants les devoirs et l'honneur du soldat.
Malgré les réticences administratives, des initiatives privées se multiplièrent, notamment avec l'apparition de bataillons scolaires. Des divergences politiques apparurent entre monarchistes, bonapartistes et républicains. Pour les républicains, la nationalisation des masses était un outil patriotique et d'unification, mais aussi un moyen de diffuser l'idéologie de la bourgeoisie républicaine.
Un tournant se produisit à partir de 1879 avec la victoire des républicains aux élections et l'arrivée de Jules Grévy à la présidence de la République. Développer la préparation militaire devint une priorité. Paul Bert affirma : "Nous voulons pour l'école des fusils... oui, le fusil, le petit fusil que l'enfant apprendra à manier dès l'école... Car ce petit enfant, souvenez-vous-en, c'est le citoyen de l'avenir, et dans tout citoyen, il doit y avoir un soldat ; et un soldat toujours prêt."
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Lors de la première commission de l'éducation militaire, Paul Bert développa ses projets, soulignant la nécessité de préparer "des citoyens dévoués, jusqu'au sacrifice suprême, dans les luttes où peuvent être engagés les intérêts de la patrie, sa liberté et sa gloire." La Ligue française de l'enseignement, lors de son congrès de 1881, s'engagea également dans la cause de l'éducation civique et militaire.
La loi du 28 mars 1882 inscrivit la gymnastique et les exercices militaires au programme des écoles primaires publiques de garçons. L'existence légale des bataillons scolaires fut reconnue par un décret du 6 juillet 1882. Tout établissement public d'instruction primaire ou secondaire pouvait, sous le nom de bataillon scolaire, rassembler ses élèves pour les exercices militaires. Les bataillons scolaires ne pouvaient être armés que de fusils conformes à un modèle adopté par le Ministre de la Guerre, présentant les caractéristiques suivantes :
Ces fusils devaient être déposés à l'école. Pour les exercices de tir à la cible, les élèves âgés de 14 ans au moins étaient conduits au stand ou au champ de tir et entraînés avec le fusil scolaire spécial. Un arrêté du 27 juillet 1882 précisa que les exercices de bataillon ne pouvaient avoir lieu que le jeudi et le dimanche, et le temps à y consacrer était déterminé par l'instructeur militaire en accord avec le directeur de l'école.
L'idée de faire de l'école un centre de préparation militaire, où les élèves apprendraient le devoir, la discipline, le maniement des armes et le tir, était perçue comme une des clés du redressement national et un moyen de préparer la revanche. L'instructeur, désigné par l'autorité militaire, pouvait être l'instituteur, souvent un sous-officier ou officier de réserve. Paul Bert leur dira : "Nous devons faire, par une éducation commencée à l'école par vous, continuée au régiment avec vous, de tout enfant un citoyen, de tout citoyen, un soldat."
Le bataillon était organisé militairement, avec port de l'uniforme, du béret marin, apprentissage et utilisation du fusil. Le chant patriotique animait les défilés.
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Bien que factices, les fusils devaient être conformes à un modèle défini par le ministre de la guerre et comporter tout le mécanisme du fusil de guerre sans pouvoir faire feu.
La Ligue des Patriotes, fondée le 18 mai 1882 par Paul Déroulède, Armand Goupil et Henri Martin, avait pour objectifs initiaux de mobiliser la jeunesse autour de la Patrie et d'encourager la création de sociétés de gymnastique et de tir. Paul Déroulède les qualifiait "d'assurance contre l'invasion". La Ligue propageait ses idées par le biais de sa publication, "Le Drapeau", se définissant comme ayant pour but "la propagande et le développement de l'éducation patriotique et militaire."
L’autorité militaire, très jalouse de ses prérogatives, n’a jamais été, malgré son implication, très favorable à l’institution des jeunes bataillons. Elle s’inquiète de la cassure qu’il y a entre le moment où les enfants quittent l’école et leur accession au service militaire. Les instructeurs sont souvent incompétents et les défilés laissent à désirer. Les milieux catholiques considèrent que l’activité des bataillons scolaires n’a pas d’autre but que de retenir les enfants le dimanche et de rendre difficile leur instruction religieuse. Ils n’acceptent pas la dégradation de leur influence dans la jeunesse.
Les frais de fonctionnement à la charge des communes pausent souvent un problème de financement. Les instituteurs sont de plus en plus réticents, ils s’interrogent sur l’opportunité de cet enseignement. La ferveur du patriotisme scolaire s'essouffle. On ne veut plus de cette parodie d'armée, où les enfants costumés s'exhibent dans les grandes célébrations publiques, ridiculisant ainsi l'armée. La crise du boulangisme accompagne le déclin des bataillons scolaires. Le nationalisme de Paul Déroulède n’a plus la cote.
Blondel, dans son rapport au conseil municipal de Paris au nom de la commission d’éducation militaire, exprime parfaitement la situation : « C’est une institution à la fois puérile et dangereuse que les bataillons scolaires. Puérile, parce qu’en forçant les enfants à jouer au soldat, elle n’aboutissait qu’à former au prix de sacrifices relativement considérables de ridicules automates.
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Par arrêté du 27 juillet 1893, le ministre R. Poincaré décida d'ajouter au programme des exercices militaires, pour les élèves âgés de plus de 10 ans, le tir à 10 mètres à la carabine Flobert. Le tir scolaire se pratiquait avec des armes de type "Flobert", fusil système Gras, modèle 1874, et à l'aide du fusil en calibre de 11mm avec une cartouche spéciale.
Le ministère de l'Instruction publique mit en place une commission chargée de l'enseignement du tir dans les écoles, qui ouvrit un concours pour la fabrication d'une arme d'instruction. Deux modèles furent retenus, conformes au fusil d'infanterie modèle 1886, plus connu sous le nom de fusil Lebel en 8mm : la carabine "La Française" calibre 6mm, et le fusil à canon mince présenté par la Société nationale de tir des communes de France.
En 1895, une Instruction officielle relative aux exercices du tir à la carabine Flobert dans les écoles communales constitua un véritable traité du tir scolaire, servant de guide aux instituteurs pour l'installation des stands, le choix des armes et les règles à observer dans la pratique du tir. Le tir était placé sous la direction exclusive de l’instituteur.
Depuis la mise en vigueur de la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l’armée, la question de l’organisation pratique de l’enseignement du tir revêt un caractère d’urgence. Les instituteurs sont invités d’une façon pressante à donner cette instruction dans leur école ; il leur est demandé, s’ils n’ont déjà une organisation fonctionnant à leur satisfaction, de procéder à la création de petites sociétés scolaires de tir et d’y ajouter une section post-scolaire destinée à assurer la continuation des exercices dans les sociétés jusqu’au service militaire et même après.
Voici ce Ferdinand Buisson écrit dans le Manuel général de l’Instruction primaire en 1905 à destination des instituteurs : L’Ecole primaire, tout au moins, n’a ni à enseigner, ni à prêcher un mode précis de revanche à main armée. Elle enseignera, elle inspirera l’obligation absolue pour le jeune Français d’accepter les sacrifices que lui commandera son pays, fut-ce celui de sa vie...
En août 1894, la carabine "La Française", présentée par l’Union des Sociétés de Tir de France, fut adoptée comme arme réglementaire pour le tir scolaire, bien que ne faisant pas partie de l'armement militaire. Elle était conçue comme un profil réduit du fusil Lebel modèle 1886, sans baïonnette ni système à répétition.
Il existe un type de carabines appelées soit La Française ou La Préférée. Leur particularité est qu’elles ont la date de 1921 sur la crosse. Fusil Gras scolaire mle 1874 de tir réduit.
Les carabines scolaires étaient souvent des copies miniatures assez conformes d’armes réglementaires, d’autres s’en éloignant plus ou moins. Celles en forme de fusil Berthier sont plus rares que celles en formes de Lebel. Il en existe « mousqueton ».
La précision de ces petites « scolaires » est souvent surprenante, voire bluffante. Principalement chambrées en 6mm Flobert ou en 22 court, rares sont celles que l’on peut nourrir au 22 Long Rifle, le calibre Roi moderne.
Chaque catalogue avait la sienne, de Verney-Carron à Manufrance, en passant par les aciéries du Nord. Souvent fabriquées aussi par une foule d’artisans travaillant pour eux-mêmes et plusieurs distributeurs. S’y retrouver dans toutes les appellations commerciales dithyrambiques ou patriotiques, et parfois sans même inscriptions du fabricant, peut s’avérer ardu. Près d’une centaine différentes ont été répertoriées.
Le mécanisme de ces carabines, très simple, avec extracteur en demie-lune, est quelques fois amélioré par la présence d’une gouttière télescopique qui permet d’y déposer la cartouche sans avoir à l’introduire directement dans la chambre.
Le tir, école de rigueur, de responsabilité, de maitrise de soi, du souffle, du geste et avant tout de la pensée, est un excellent exercice pour la jeunesse. Et, pour tout dire, constitue une activité proche de la méditation pour l’adulte hautement stressé par la vie moderne.
Le recours à de petites armes d’enfants aux allures de grandes faisait rêver les petits et les poussaient au sérieux nécessaire aux actions responsables et d’amélioration continuelle et patiente de soi-même.
La petite plaque métallique mentionnant « La préférée - Adoptée par les sociétés de tir - Précision garantie » et souvent perdue est bien là car il en restait une toute neuve d’époque dans les boites de pièces détachées de Maitre Flingus !
Particularité de cette arme, elle est bien chambrée en 22LR - les cartouches modernes y rentrent sans difficulté - et pas en 6mm bosquette/22 court comme 95% de cette production de scolaire.
En somme, une petite arme fantastique, historique, dans un calibre peu courant pour ce modèle. La qualité qui s’en dégage est frappante. A la portée de tous, elle est l’arme idéale pour se lancer dans l’aventure de la collection d’armes réglementaires ou la compléter avec des variantes pour enfants.
En août 1894 la « scolaire » devient une arme réglementaire bien que ne faisant pas partie de l’armement de l’armée française. Plus de 80 armureries fabriqueront des armes de ce type en 6 mm et 22 LR et leur classement varie de la catégorie C1°§c) à la catégorie catégorie D§e). Les carabines Lebel scolaire et la carabine Buffalo (brevet Blachon) sont bien classées en catégorie D§e).
Année | Événement |
---|---|
1870 | Défaite de la France, désir de revanche |
1882 | Création des bataillons scolaires par Jules Ferry |
1893 | Introduction du tir à la carabine Flobert dans les écoles |
1894 | Adoption de la carabine "La Française" comme arme réglementaire pour le tir scolaire |
1905 | Loi sur le recrutement de l'armée, accentuant l'importance du tir scolaire |
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