Sorti en salles le 22 août 1975 et couronné par trois César, le film Le Vieux Fusil de Robert Enrico ne cesse de susciter un intérêt. C’est l’un des films marquants - et sans doute aussi controversés - du cinéma français des années 70. Le Vieux Fusil a produit l'effet d'un électrochoc au moment de sa sortie au cinéma le 20 août 1975, il y a pile cinquante ans. Le film a bouleversé la France.
Il s’agit de la deuxième (et dernière) collaboration entre le réalisateur Robert Enrico et le scénariste Pascal Jardin, dans la foulée de leur travail sur Le Secret (dont Jardin avait signé les dialogues) et c’est à Jardin qu’on doit l’idée du Vieux Fusil. Ou plus précisément au récit effrayant que lui avait confié un ami, de ce jour de la Seconde Guerre mondiale où, enfant, il avait vu un jeune soldat allemand dormir à côté de la femme qu’il avait violée et tuée.
Pascal Jardin, impressionné, décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Mais Pascal Jardin, Robert Enrico et leur coscénariste Claude Veillot décident de changer le lieu du récit et choisissent de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.
Librement inspirée des événements tragiques d'Oradour-sur-Glane, village martyr à la fin de l'Occupation, l'intrigue du film a été influencée aussi par un fait divers qui a été romancé. Si le scénario écrit par le romancier Pascal Jardin se déroule à Montauban, c'est pour une raison historique. Au printemps 1944, un régiment de la terrifiante SS-Panzer-Division « Das Reich » était cantonné sur place.
L'action se déroule à Montauban, juste après le débarquement des Alliés en Normandie, en juin 1944, lors des derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, au moment de la débâcle allemande. Julien Dandieu (Philippe Noiret) est chirurgien. En manque de morphine dans son hôpital, il est menacé par la Milice qui le soupçonne de soigner des résistants. Soucieux de protéger les membres de sa famille et de les mettre à l'abri, il envoie son épouse Clara (Romy Schneider) et sa fille de 13 ans, Florence (Catherine Delaporte), se réfugier dans le château familial où il a passé son enfance.
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Inquiet, il part les rejoindre au bout de quelques jours. Et découvre avec horreur qu'une division de la Waffen-SS a massacré tous les habitants du village dans une église ! Puis il reconnaît, dans la cour du château, le corps de sa fille tuée d'une balle de revolver et celui de sa femme, brûlée vive au lance-flammes ! Ivre de douleur, sa souffrance se meut en colère froide. Il décide d'appliquer méthodiquement la loi du Talion et d'éliminer un à un les responsables de la tuerie.
Dandieu s'introduit en cachette dans le château et s'empare d'un fusil de chasse avec lequel son père tuait des sangliers à la chevrotine. Sa connaissance des lieux va lui permettre d'emprunter des passages secrets et d'épier les nazis par l'entremise d'une glace sans tain. Il fait sauter aussi le pont-levis pour retenir prisonnier l'ennemi dans l'enceinte du château.
Pour incarner ce médecin, plusieurs noms circulent. Celui d’Yves Montand tout d’abord qui vient de terminer Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau. Après son refus, Lino Ventura sera immédiatement pressenti. Robert Enrico le connaît bien. Il l’a déjà dirigé à trois reprises dans Les Grandes Gueules, Les Aventuriers et Boulevard du Rhum. Mais lui aussi décline, sans que l’on sache exactement pourquoi car, à ce sujet, les explications divergent. Pour Enrico, son refus provient de sa répugnance à jouer les scènes de coup de foudre.
Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve, sa partenaire dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau et Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri. Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée.
En 1974, Claude Sautet accepte de jeter un œil à la première mouture du scénario et conseille à Robert Enrico de faire exister davantage le personnage féminin. Du coup, c'est Sautet qui va écrire en partie le rôle de Romy Schneider. Une actrice qu'il venait de diriger en tant que réalisateur dans Les Choses de la vie (1970), Max et les Ferrailleurs (1971) et César et Rosalie (1972).
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Tourné en partie à Bruniquel, une commune située en Tarn-et-Garonne, à trente kilomètres de Montauban, le film a bénéficié d'une solide équipe technique. On retrouve d'ailleurs la future réalisatrice Claire Denis créditée au générique en tant qu'assistante à la mise en scène.
Le Vieux Fusil raconte un acte de vengeance. Celui d'un homme qui a perdu les êtres qui lui étaient les plus chers et qui décide de se faire justice. Certains le lui ont reproché. Pourtant, plus que l'histoire d'une vendetta, le film est surtout le récit d'un amour brisé, d'un bonheur saccagé. Le film est construit, en effet, sur une série de flash-back. Ce sont ces « retours en arrière » qui recouvrent le film d'un voile mélancolique. Les souvenirs qui, par vagues successives, assaillent le chirurgien sont liés à des moments de bonheur.
Dès le tout premier plan du film, on voit par exemple la famille Dandieu lors d'une randonnée à bicyclette sur une route de campagne, accompagnée de leur chien Marcel. Plus tard, on découvre des images de leurs vacances en 1939 sur la plage de Biarritz. Et parmi les jours heureux qui surgissent du fond de la mémoire de Julien, il y a celui de sa rencontre avant-guerre avec Clara à Paris, à la Closerie des Lilas. Une magnifique scène de coup de foudre. Il y a enfin la fête du village où Clara a soudain la prémonition de sa mort autour d'un feu…
Dans les premières minutes du film, Dandieu nous est présenté d’emblée comme un Français quelconque : ni collabo ni résistant, il continue de travailler, et ce n’est de toute façon pas un personnage politisé, ni même engagé, à titre individuel, dans ce conflit. De fait, parce qu’il adopte un strict point de vue individuel, Le Vieux Fusil est un film qui envisage beaucoup moins de considérations générales sur l’humanité que ce que l’on a voulu lui attribuer, en bien comme en mal d’ailleurs.
Dans la première version du script, le personnage de Dandieu était pharmacien. Le rôle avait d'abord été proposé à Lino Ventura. Mais il a décliné la proposition parce qu'il trouvait que cet homme ne correspondait pas à son image de « dur à cuire ». Robert Enrico a eu aussi du mal à convaincre Romy Schneider. L'agence artistique de l'actrice, Artmedia, n'était pas enthousiaste pour qu'elle accepte le rôle. Le cinéaste a insisté et obtenu l'accord de la comédienne.
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Quand Le Vieux Fusil est présenté à la presse, la critique est très divisée. Certains journalistes le trouvent trop manichéen. La question de la justice expéditive fait aussi débat. Mais tout le monde salue l'interprétation hors pair du couple Noiret-Schneider.
Distribué par Les Artistes associés, la filiale française de la société de distribution et de production américaine United Artists, le film sort le 20 août 1975 sur les Champs-Élysées au George-V. Le succès est immédiat. Le film réunit près de 3,4 millions d'entrées dans les salles. Ce plébiscite sera bientôt suivi par la reconnaissance de la profession.
Le 3 avril 1976, lors de la toute première cérémonie des César du cinéma présentée par Pierre Tchernia, quatre films sont en lice pour décrocher la récompense suprême : Cousin, cousine de Jean-Charles Tacchella, Sept morts sur ordonnance de Jacques Rouffio, Que la fête commence de Bertrand Tavernier et… Le Vieux Fusil.
Finalement, Robert Enrico reçoit des mains de Jean Gabin et de Michèle Morgan (le couple mythique du Quai des brumes de Marcel Carné) le premier césar du Meilleur film. Philippe Noiret est sacré Meilleur acteur. Et François de Roubaix reçoit, à titre posthume, le césar de la Meilleure musique. Dix ans plus tard, en 1986, Le Vieux Fusil recevra aussi… le césar des César.
Aujourd'hui, Philippe Noiret, Romy Schneider, Jean Bouise, Robert Enrico, son scénariste Pascal Jardin et son compositeur François de Roubaix ont disparu. Mais loin de disparaître, le film, lui, reste dans la mémoire collective. Il est devenu un classique du cinéma français. Le souvenir qu'il a laissé dans le cœur du public ne risque pas de s'éteindre. La déflagration du Vieux Fusil résonne encore cinquante ans plus tard.
Année | Récompense | Catégorie | Lauréat(e) |
---|---|---|---|
1976 | César | Meilleur film | Robert Enrico |
1976 | César | Meilleur acteur | Philippe Noiret |
1976 | César | Meilleur musique | François de Roubaix |
1986 | César des César | Meilleur film | Robert Enrico |
Dans Les Cahiers du Cinéma, Jean-Pierre Oudart parla à la sortie d’un « film abject », relayé des années plus tard par Louis Skorecki, dans Libération, évoquant « les indécences obscènes » du film. Leur lecture du film, qui bien qu’assez sommaire trouve encore aujourd’hui des souscripteurs, le réduisait à une chasse à l’homme dans lequel un « gentil » se rendait justice lui-même en tuant des « méchants », associant de fait le film aux œuvres de « justicier » telles qu’on pouvait alors les voir alors aux Etats-Unis, par exemple sous les traits de Charles Bronson dans la série des Death Wish.
L’action du film se déroule dans le Sud de la France durant l’été 1944, après le débarquement américain, et s’inspire des exactions monstrueuses commises par la division SS Das Reich lors de sa remontée sanglante vers la Normandie, et en particulier des massacres de Tulle, d’Argenton-sur-Creuse et d’Oradour-sur-Glane, les 8, 9 et 10 juin 1944. A cet instant-là, et compte tenu à la fois de la confusion structurelle (qui représente la « justice », alors, en France ? l’occupant ? la collaboration de Vichy ? la Résistance ?) et de l’incertitude en l’avenir (le film montre bien l’inquiétude alors des Allemands), s’établit une situation particulière de non-droit, voire de béance dans le cours de la civilisation.
Tout d’abord, le film est tourné, au milieu des années 70, à une époque où la France commence à interroger son passé d’une manière un peu différente : au niveau cinématographique, notamment, des films comme Lacombe Lucien de Louis Malle, ont fait polémique en remettant à plat les comportements individuels durant le conflit. Non, tous les Français n’étaient pas résistants, tous les Français n’étaient pas des héros, tous n’ont pas eu une attitude morale irréprochable face à l’Occupation.
Il faut alors repenser à la séquence essentielle, traumatisante, qui déclenche cette violence : celle où Dandieu, découvrant les corps de son épouse et de sa fille, « voit » ce qui s’est passé. Il ne s’agit alors pas forcément tant d’un flash-back (et, à ce titre, cet exemple matriciel sert à envisager différemment tous ceux qui suivront) que d’une « vision », une manière de faire entrer dans l’esprit du personnage. Et c’est là que le rôle de Robert Enrico, que l’on a jusqu’ici pas forcément présenté de la manière la plus estimable qui soit, se définit plus précisément.
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