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Le quartier de la Vallée du Tir est l’un des plus anciens de Nouméa. Il s’étend entre la mer et une haute colline menant au sanctuaire de Notre-Dame-du-Pacifique. C’est une zone étroite, longue de quelques kilomètres. Sa partie basse, composée essentiellement d’immeubles modestes et de logements sociaux (HLM), s’articulait autour d’une rue commerçante animée. Plus haut, sur la colline, on trouve des villas peu luxueuses, pour la plupart construites dans les années 1970.

Origines et évolution du quartier

Dans ce quartier historique de Nouméa, une demi-douzaine de maisons a déjà été incendiée depuis le début des émeutes. Certains riverains ont préféré partir. D’autres restent pour ne pas tout perdre. Située au nord de la deuxième Vallée-du-Tir, la rue Paul-Bert laisse défiler un spectacle de désolation. En remontant la voie, on découvre une à une les façades des maisons et des commerces calcinés, de l’épicerie Toto -une institution de la "vallée"- jusqu’aux dernières habitations, surplombant ce vieux quartier cosmopolite de Nouméa.

Les transformations sociales et communautaires

Jusqu’aux années 1970, il était quasi exclusivement habité par des Caldoches, avant de connaître de profonds bouleversements. Des communautés wallisiennes et vietnamiennes s’y sont installées, ainsi que de nombreux ouvriers kanak, attirés par l’essor de l’usine de nickel toute proche. Dans les années 1990 et 2000, la mairie de Nouméa y a fait construire plusieurs centaines de logements sociaux, progressivement occupés par des familles kanak devenues majoritaires. Comme en métropole, les autorités ont cru qu’un développement urbain couplé à des infrastructures sportives et culturelles suffirait à atténuer les tensions sociales.

Les événements récents et leurs conséquences

Le 13 mai 2024 marquait le début des émeutes kanak visant la population européenne et contestant la présence française en Nouvelle-Calédonie. Ce jour-là, les émeutes éclatent pour protester contre le « dégel du corps électoral ». Des Kanak, principalement issus des logements sociaux, pillent et mettent le feu aux petits commerces tenus par des Wallisiens et des Vietnamiens, épargnant uniquement ceux appartenant aux leurs.

Dans la nuit du 3 au 4 juin, trois semaines exactement après ces premiers incendies, une nouvelle habitation a été détruite par les flammes. "C'est moi qui ai prévenu la police, raconte Hélène. Par chance, la maison était alors inoccupée. Mais la vieille dame qui vivait derrière était terrorisée. Hélène, qui vit dans le quartier depuis trente ans, décrit un mode opératoire presque toujours identique :"quand la maison est vide, elle est pillée puis brûlée". Deux à trois fois par jour, Hélène appelle la police. "On respire de la fumée depuis trois semaines. On est menacé régulièrement et pourtant, les forces de l'ordre ont mis dix-sept jours à intervenir sur les hauteurs du quartier", relate cette habitante qui oscille entre peur et incompréhension. "On habite à deux kilomètres du haut-commissariat. Seule avec son époux, Hélène dit vivre "des crises d'angoisse physiques". "On se relaie la nuit avec mon mari, mais mentalement, nous sommes épuisés."

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Pourtant, cette habitante refuse de partir. "Si on quitte notre maison, on n'est pas sûrs de la retrouver. Une rumeur a commencé à circuler selon laquelle, on allait brûler nos maisons. Certains riverains de la Vallée-du-Tir ont préféré tout laisser derrière eux. Claire, la trentaine, est partie peu de temps après les premières exactions. "Dès l'incendie de l'usine Le Froid, on s'est retrouvé en permanence dans les fumées. Une rumeur a commencé à circuler selon laquelle on allait brûler nos maisons. Les forces de l'ordre ne parviendront pas à atteindre cette zone reculée. "Il y avait des voitures en feu qui bloquaient les rues, c'était très anxiogène", se souvient Claire.

Livrés à eux-mêmes, les riverains sur le départ ont formé un convoi par leurs propres moyens pour s'exfiltrer du quartier. "Nous avons réussi à passer mais c'était extrêmement tendu. Dans ce départ précipité, chaque habitant a emporté le strict minimum. "On a chargé les voitures avec ce qu'on pouvait, en se disant que c'était potentiellement la dernière fois qu'on voyait nos maisons", confie Claire, qui s'est réfugiée provisoirement sur son bateau. Elle confie aujourd'hui culpabiliser d'"avoir abandonné les gens qui sont restés sur place". Quelques jours après cet épisode douloureux, cette trentenaire a encore la sensation d'avoir vécu quelque chose "d'irréel". "On se sentait vraiment bien dans ce quartier. Jamais on n'aurait imaginé que ça prenne des proportions pareilles.

Évelyne, la soixantaine, se trouvait chez elle avec son compagnon, quand de jeunes émeutiers s'en sont pris à son domicile, le soir du 13 mai. "On s'est fait insulter, caillasser et la maison des Pierres Vivantes, juste à côté, était en train de brûler. Cette soignante, qui vit à la Vallée-du-Tir depuis quinze ans, tente d'abord de les raisonner. "J’ai cru pouvoir parler avec les jeunes, comme je l’avais toujours fait. En pleine nuit, alors que la situation dégénère, sa belle-fille, la présidente de la province Sud Sonia Backès, parvient à faire envoyer les forces de l'ordre. "Le GIGN nous a évacués du quartier, avec deux véhicules blindés. On s’est fait caillasser sur tout le chemin. Quelques instants après leur départ, la maison d'Evelyne a été incendiée à son tour. Pour autant, Evelyne ne croit pas à une attaque ciblée ou politique. Son voisin direct, un ancien élu indépendantiste, s'est fait brûler lui aussi sa maison. Il s'estime, comme Evelyne, victime d'"incendies aveugles" et non "politiques". Du moins dans leur cas.

Trois semaines après les faits, Evelyne est retournée sur les lieux, avec une amie restée au quartier. De cette demeure art déco, baptisée "Maison Mary" du nom de l'architecte qui l'a conçue en 1942, les murs en dur ont résisté. Mais il ne reste plus grand-chose de l'intérieur. L'escalier en bois, dévoré par les flammes, a totalement disparu. Evelyne, une habitante dont la maison a été brûlée. "Ça m’a fait du bien d'y retourner. Ça m’a permis de faire le deuil de ma maison. Je n’ai même pas pleuré, confie la sexagénaire qui est actuellement hébergée par des proches. Ce qui m’a chagrinée le plus, c’est d’avoir perdu les souvenirs de mes enfants. Cet après-midi-là, Evelyne s'est laissée convaincre par son amie de raconter son histoire lors de l'espace de parole qui se tient chaque jour à 15 h, à la maison de quartier de la Vallée-du-Tir. "J'ai essayé de trouver les mots les plus positifs possibles. Des paroles sont sorties du cœur, comme une coutume. Les gens du quartier ont applaudi. Peu de temps après l'incendie de sa maison, Evelyne a repris son travail de soignante à Païta. Malgré les barrages. Malgré le choc. "Le vivre ensemble, je le vis depuis toujours.

La situation actuelle et les perspectives d'avenir

En février, neuf mois après le début des émeutes, la Vallée du Tir ressemble toujours à une zone de guerre. Au centre, la rue principale Edouard Unger, est bordée de magasins pillés, brûlés, calcinés. Certains immeubles portent encore les stigmates des incendies. Des graffitis hostiles à la France recouvrent les murs. Même en plein jour, l’ambiance est sinistre. Seuls deux commerces, sombres et glauques, ont rouvert, contre des dizaines auparavant. Le centre commercial situé en périphérie, incluant un Super U très fréquenté par les habitants les plus modestes, a été entièrement ravagé. Le toit s’est effondré. Ironie tragique : ce sont des jeunes du quartier qui ont incendié ce supermarché. Désormais, tous les habitants doivent parcourir plusieurs kilomètres pour se ravitailler. Ils se sont littéralement tiré une balle dans le pied - mais rares sont ceux qui le reconnaissent. Ils parlent d’« événements », jamais d’émeutes ni de pillages.

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Sur les hauteurs, certaines villas ont également été incendiées, souvent taguées de slogans similaires. Après de tels événements, et vu l’état actuel du quartier, qui voudrait encore acheter une maison à la Vallée du Tir ? Les Kanak, résidant dans les HLM, continueront d’y vivre. Les Wallisiens, les Vietnamiens et les Européens sont partis s’ils en avaient les moyens. Le quartier deviendra quasi exclusivement kanak, à la suite de ce qu’il faut bien appeler une forme de purification ethnique - probablement irréversible. Le « vivre-ensemble » n’y est plus possible.

Chronologie de la Nouvelle-Calédonie (événements clés)

Date Événement
24 sept. 1774 « Découverte » par James Cook de la Grande Terre qu’il baptise Nouvelle-Calédonie.
23 sept. 1863 Par décret, la Nouvelle-Calédonie est déclarée lieu de transportation.
1864->1897 Période de la colonisation pénale.
1878 Révoltes kanak.
1er sept. 1878 Écrasement de la révolte kanak dirigée par le chef Ataï, qui fut décapité et dont la tête fut emportée en France.
18 juil. 1887 Régime de l’indigénat instauré par décret pour dix ans.
1917 Écrasement d’une deuxième grande révolte kanak dirigée par le chef Noël.
1931 En France, exhibition d’une centaine de Kanak dans un « zoo humain » lors de l’exposition coloniale de Vincennes.
25 avr. 1946 Citoyenneté pour tous les indigènes de l’Empire.
28 sept. 1958 En Nouvelle-Calédonie, le référendum constitutionnel recueille 98 % des suffrages ; le territoire fait alors le choix de rester français.

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