Envie de participer ?
Bandeau

Le Cauchemar de Johann Heinrich Füssli

Johann Heinrich Füssli (1741-1825) a peint plusieurs versions du Cauchemar. La première, qui connut un vif succès dès sa présentation à la Royal Academy of Arts de Londres en 1782, est conservée depuis les années 1950 au Detroit Institute of Arts.

Le Cauchemar, qui a depuis inspiré de nombreux artistes, auteurs et cinéastes, est devenue une œuvre emblématique de l’imaginaire de Füssli, peuplé de personnages hybrides, de créatures monstrueuses, grotesques et terrifiantes, et oscillant sans cesse entre horreur, délice et sublime.

Ici, Füssli flirte avec le fantastique et innove en montrant simultanément, sur la même image, un personnage en train de rêver et l’incarnation de son cauchemar.

Ce tableau doit en partie sa célébrité à l’ambiguïté de son sujet (est-ce une jeune femme, le peintre ou le spectateur lui-même qui est ici en train de rêver ?) pour lequel l’artiste n’a fourni aucune clef de lecture, donnant naissance à une kyrielle d’interprétations allant de la sublimation des désirs sexuels à l’illustration de la paralysie du sommeil.

Peu de tableaux suscitent l’effroi comme cette toile de Füssli. Une femme allongée dans un vêtement à la blancheur virginale qui lui colle au corps comme un linceul. Est-elle évanouie ? Morte ? Sur son ventre trône un gnome velu, les oreilles pointues. Accroupi, il regarde le spectateur, la tête posée sur la main, d’un air interrogateur.

Lire aussi: Le bon calibre pour la chasse

Son ombre s’allonge de manière inquiétante sur la tenture rouge sang de l’arrière-plan et entre les cuisses de la jeune femme. C’est un incube, un démon qui couche avec les femmes pendant leur sommeil. Mais, précise le titre, tout cela n’est qu’un cauchemar. Celui du spectateur ? Celui de la jeune femme ?

Le peintre montrerait alors en même temps la rêveuse et son rêve, projection de ses plus sombres angoisses… Incapable de bouger avec le démon qui pèse sur elle, la femme figure une victime de paralysie du sommeil.

Mais, d’après ce tableau, à quoi rêvent les jeunes filles ? Dans le folklore médiéval germanique, les incubes troublent le sommeil des jeunes filles par des rêves érotiques.

Déjà fasciné, tout autant que troublé, par ce tableau, le public du XVIIIe siècle ignorait toutefois un détail… A l’arrière de la toile, Füssli avait représenté une jeune fille dont il était épris mais… dont il ne put jamais rien obtenir.

El tres de mayo de 1808 en Madrid de Francisco Goya

El tres de mayo de 1808 en Madrid, ou, en français, Le trois mai 1808 à Madrid, est un tableau de format horizontal, dit « paysage ». Il est de très grande dimension : 2,68 mètres de haut sur 3,47 mètres de large. Le choix d’une taille si importante n’est pas un hasard. C’est le format utilisé pour la peinture d’histoire, genre majeur de la peinture classique. Un tel format s’impose au spectateur.

Lire aussi: Viscosité et Pistolet Wagner : Guide

Description de la scène

Il fait nuit, le panorama est sombre. Le ciel est chargé et menaçant, tout en nuances de noir mêlé de brun manganèse. Au loin, Madrid est uniformément brun foncé. Cette représentation de la ville n’est pas exacte. Mais l’artiste ne cherche pas à la dépeindre avec réalisme. C’est d’ailleurs inutile puisque le titre de la toile suffit à informer le spectateur.

Une lanterne apporte un peu de lumière au premier plan. Elle crée un clair-obscur qui augmente les jeux d’ombre et de lumière. A droite de la composition, sont massés des hommes en uniforme. Ce sont les soldats impériaux, sous les ordres de Murat. Ils sont reconnaissables à leurs shakos, qui remplacent les bicornes dans l’armée française à partir de 1807. En tenue de campagne, ils portent capote et havresac, sabre au côté.

Ce sont des voltigeurs ou plus probablement des fusiliers. Dépeints de trois quart dos, ils ne sont pas identifiables. Pour les représenter, l’artiste a choisi des couleurs sombres (bruns foncés, nuances de gris, noir). La lanterne ne les éclairant pas, ils ne ressortent pas du paysage environnant.

L’angle choisi par Goya fait converger les fusils en un faisceau, vers un point presque unique. En position de tir, ils mettent en joue les personnages qui leur font face. A gauche de la composition, se tiennent les condamnés. Contrairement aux soldats, ils sont disposés de manière désordonnée.

Si la palette de couleurs utilisée par le peintre est la même que dans le reste du tableau, l’éclairage du fanal permet des nuances plus claires, allant même jusqu’au blanc de la chemise du personnage dont émane l’essentiel de la lumière. Celui-ci est d’ailleurs la figure principale du tableau.

Lire aussi: Recommandations concernant les fusils turcs

Les couleurs de sa tenue vestimentaire répondent à celles de la lanterne : jaune et blanc. Il capte la lumière et la diffuse à la fois. Bien qu’à genoux, il est le plus grand personnage parmi les condamnés, le seul aussi dont le visage est dans la lumière. Le faisceau de fusils, qui constitue une ligne de force orientée vers la gauche, le pointe ostensiblement.

A sa gauche, d’autres hommes arrivent, affichant des attitudes variées, mais toutes dramatiques : l’un se cache le visage dans ses mains, un autre les porte à sa bouche en signe d’effroi, un autre est penché en avant, comme harassé. A la droite du personnage principal, se tient un homme du peuple. Les poings serrés, il regarde, incrédule, les soldats pointant leurs fusils dans sa direction. A son côté, agenouillé, en prière, se tient un moine, reconnaissable à sa tonsure. A leurs pieds, baignant dans le sang, on voit les corps sans vie des condamnés déjà fusillés.

Importance de la scène nocturne

Il n’est pas étonnant que Goya représente une scène nocturne, puisque l’épisode qu’il relate s’est déroulé de nuit. Mais il faut relever que l’artiste lui accorde une place importante dans son tableau. Le ciel occupe en effet près d’un tiers de la composition. C’est bien entendu un choix délibéré du peintre : il n’y a ni lune, ni étoile. Le ciel est funeste.

Ce choix artistique réduit également la palette des couleurs à des nuances de noirs, gris, bruns et marrons. Ces couleurs illustrent le cauchemar. Enfin, le procédé permet au peintre de dénoncer l’attitude de l’occupant : il n’agit pas au grand jour, mais subrepticement, caché dans le noir.

Lâchement, sans procès, l’armée impériale procède à des exécutions, sans discernement. La ville est également plongée dans les ténèbres. Aucune lumière n’est visible. La lanterne est la seule source de lumière du tableau. Posée sur le sol, elle diffuse une lumière crue.

Symbolique religieuse

On peut aussi y voir une référence religieuse : l’arrestation de Jésus dans le Jardin des oliviers. Cet épisode biblique s’est également déroulé de nuit. Traditionnellement, les artistes y figurent les Romains tenant une lanterne. Celle-ci incarne l’espoir dans le drame : c’est par son arrestation que Jésus devient le Christ et accompli sa mission de sauveur.

Elle sépare d’ailleurs les protagonistes. Dans la lumière, l’artiste place les condamnés, parmi lesquels un moine. Dans l’ombre, il place les bourreaux. La symbolique mystique est claire. Pour le spectateur contemporain de l’artiste, elle invoque les décors des tympans de portails d’églises : une dichotomie entre le Bien et le Mal.

Celui-ci est d’ailleurs le personnage principal du tableau. De nombreux éléments le confirment. Il fait face à ses bourreaux. Bien qu’agenouillé, il est plus grand que les autres condamnés. L’artiste lui accorde une place équivoque : il est situé précisément entre les vivants et les morts. D’ailleurs, il est déjà mis en joue par la soldatesque. C’est la prochaine victime de la barbarie.

Il personnifie le martyr du peuple espagnol. Mais il n’est pas pour autant résigné. En effet, il fait courageusement face à l’occupant. Il lève même les bras dans un dernier geste de révolte. Son attitude est une référence sans équivoque au Christ en croix. Sa tenue vestimentaire fait écho à la lanterne. Jaune et blanche, elle diffère totalement de celles de ses congénères. Elle renvoie d’ailleurs plus de lumière que le fanal.

En effet, les règles académiques prescrivent de placer le personnage principal au centre d’une composition symétrique. Pourquoi cette rupture volontaire avec les canons esthétiques ? En l’absence de certitudes, on ne peut que formuler des conjectures. Certains historiens de l’art y voient la volonté d’un réalisme cru, qui s’accorde mal avec une représentation idéalisée de la peinture d’histoire classique.

En effet, le personnage central ne remplit pas les critères du héros. Il n’a pas de nom, c’est un anonyme. En tant qu’individu, il n’a pas marqué l’Histoire. Mais il incarne cependant la révolte du peuple espagnol, c’est un symbole.

Nous ne sommes donc pas face à une peinture d’histoire au sens strict. L’artiste innove en y intégrant des éléments de la peinture religieuse avec la figure du martyr. Un autre personnage renforce la symbolique religieuse de la toile : le moine.

Sa présence répond avant tout à une réalité historique. Tout d’abord, durant l’occupation française de l’Espagne, Napoléon Ier a fait fermer de nombreux monastères. Cela a envenimé des relations déjà compliquées avec la papauté. Enfin, l’Église ne pouvait tolérer la mise en péril d’une monarchie de droit divin supplémentaire. Elle a donc ouvertement appelé les prêtres à la résistance.

Aussi, Joachim Murat a-t-il fait exécuter des prêtres, choisis pour leur proximité avec le peuple. Il est en train de prier. On imagine aisément qu’il prie Dieu avant de mourir. Mais son regard pose question.

Certes, il s’en remet à Dieu. Mais il est en position d’humilité, comme dans les représentations de crucifixion. Sa posture interagit avec celle du personnage principal : celle du Christ en croix. Goya tempère cependant ce mysticisme en intercalant, entre la figure christique et le prêtre, une représentation allégorique de la révolte.

L’homme, le poing serré, toise les soldats dans une tentative désespérée de rébellion.

Autres personnages

Les autres condamnés sont moins détaillés par le peintre. Ce sont donc des personnages secondaires. Mais ils illustrent les différentes réactions face au drame : peur, colère, résignation, effroi. Ces quelques personnages donnent un visage à une foule que l’on devine. Elle n’est qu’esquissée par l’artiste. Il fait un raccourci afin de gagner en expressivité.

La présence au premier plan des soldats, ainsi que la colline qui avance, cachent la visibilité d’une partie de la scène. Seuls les premiers arrivants sont détaillés. Si la foule apparaît désordonnée, sa représentation est en totale opposition avec celles des soldats. Ils sont alignés, forment un bloc monolithique. Ils sont de dos et n’ont donc pas de visage.

A l’extrémité gauche du tableau, L’artiste a peint deux silhouettes. Au-dessus des cadavres, elles sont comme des ombres. En effet, Goya les a simplement esquissées. Le peu de matière picturale leur confère une certaine transparence, comme s’il s’agissait de spectres. Doit-on y voir une incarnation de la mort ? Ou s’agit-il de femmes éplorées, tentant de récupérer un corps pour lui offrir une sépulture ? Leur présence nous rappelle que la tragédie ne se joue pas uniquement à cet instant et avec ces seuls protagonistes.

tags: #tableau #le #cauchemar #de #fusil #analyse

Post popolari: