La ligne de feu semble stabilisée au sommet du Vieil-Armand. Mais à tout instant elle est harcelée par des duels d’artillerie et de mines, Il y a des coups de main, des reconnaissances sanglantes.
Désigné avec trois camarades de notre batterie de montagne, nous montons par le «Grillenpfad» vers le sommet de la fameuse montagne. Dans l’angle mort de la falaise sont groupés les abris des compagnies ayant relayé les formations qu’occupent les multiples abris et les galeries creusés au ras de la cime.
Arrivés au «sentier des 700 mètres» nous rencontrons des camarades qui nous annoncent avoir trouvé pour nous un abri vide, en excellent état, propre, sûr, agréable. La partie arrière est creusée dans la montagne; il est couvert de plusieurs couches de troncs de sapins alternant avec de gros éclats de roche.
Nous nous installons, heureux de nous garer de la neige mouillée tombée sans arrêt, puis on se présente à notre nouveau commandement, un lieutenant des Chasseurs de la Garde, homme fin, distingué, d’une amabilité charmante, inconnue dans notre propre formation. Notre tâche sera de terminer, avec deux pionniers maçons de profession, une tour blindée au haut du Ziegelrückenstollen.
Le lendemain vers 6h et demi passant à côté d’abris effondrés, souvenirs de récents combats, nous franchissons une profonde tranchée horizontale à la pente, munie de ses sacs de sable comme parapet, réparée et renforcée comme seconde ligne de résistance, puis nous nous engageons dans «Tangermanns Aufstieg» et nous atteignons le bord du plateau, déchiqueté, labouré par les tirs incessants d’en face; partout des entrées d’abris solides, de galeries souterraines, de dépôts de munitions.
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Devant nous s’ouvre l’impressionnant Ziegelrückenstollen vers lequel convergent plusieurs tranchées, profonde galerie assez vaste pour recevoir une compagnie entière, pour finir nous gravissons un escalier fait de madriers et sommes arrivés à la terrasse.
Des sapes, profondes et anguleuses nous acheminent vers notre fameuse tour. Le sol est profondément bouleversé, farci de débris de planches, de souches d’arbres pourrissante, de fils barbelés rouillés, de lambeaux d’uniformes et tissus déchirés indéfinissables, un haut de botte moisissant; des boites de conserves rouillées surgissent de la terre avec les éclats d’obus et de mines, le tout tourbillonnant dans l’air à chaque nouveau bombardement’ pour s’emmêler davantage encore.
La tour blindée à moitié terminée se dresse sur le fond de la tranchée à une hauteur de 2 m à peu près. Son blindage sera noyé dans une maçonnerie épaisse de 3 mètres. A 7 h pile nous sommes sur place, reçus par deux pionniers badois. Notre tâche sera la suivante: Préparer du mortier, au fond d’un immense entonnoir creusé par des obus d’un calibre effrayant et par des mines lourdes; en plus rassembler dans un entonnoir attenant des éclats de pierres, faisant l’affaire et transporter le tout, sur d’étroits brancards jusqu’à la tour.
Le temps presse, les écorchures que nous nous faisons le long des parois rocheuses de l’étroit couloir ne compteront pas. Les deux pionniers nous semblent travailler «Im Akkord», en véritables maîtres maçons chevronnés. Nous n’avons quant à nous pas les mêmes ambitions. Pourtant nous nous hâtons pour d’autres raisons: Ceux d’en face semblent connaître les lieux: Leurs «batteries d’ânes» s’acharnent précisément sur nos entonnoirs, en tirs rapides et tirs surprises, souvent meurtriers.
Une tempête de neige violente interrompt la construction. La tranchée est occupée en nombre - on craint un coup de main. Quant à nous on nous fait transporter de nouvelles dalles de blindage, arrivées par funiculaire, de la courbe 7 à travers la «Grosse Minenstrasse» jusqu’au «Aussichtsfelsen», à l’autre bout du sommet.
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Ces dalles, d’une épaisseur de 4 5 cm, notamment celles de la couverture sont évidemment bien pesantes, même quand on est à quatre sous les bras du brancard. Nous les charrions tantôt sur un traîneau primitif, tantôt sur des rondeaux; travail harassant, pénible et dangereux’ car ce «chemin» horizontal, longeant le plateau derrière un amas de barbelés, montagne de fils inextricables, est pris sous le feu des lance-mines français.
Privilège unique, nous sommes indépendants à tout point de vue. La cuisine des chasseurs est «formidable», le lieutenant charmant il est vrai que tous les jours nous sommes à l’heure et ne donnons lieu à la moindre récrimination. Certes nous sommes en première ligne, en danger de mort à chaque instant. Mais les autres le sont tous autant.
Et précisément ce jour-là reprend dans le secteur du Bischofshüt, un violent feu d’artillerie et de mines de tous les calibres. Ne pouvant rester dans la tranchée occupée par les chasseurs, nous courons vers un abri d’infanterie, d’où l’on nous chasse aussitôt. Un trou de galerie abandonnée, à peine couverte nous accueille.
Elle finit par s’effondrer, nous enterrant sous ses planches et ses pierres. Mais nous nous en tirons une nouvelle fois, ne récoltant que des écorchures et blessures supertificielles. Cette galerie profonde est sûre, mais remplie d’infanterie prête à bondir. Un homme est posté à l’entrée.
Il surveille le maigre espace du ciel où, lentement, lourdement, s’amènent des mines oblongue, noires, immense, culbutent au sommet de leur trajectoire pour atterrir chez nous dans un fracas assourdissant à vous faire éclater le tympan. La sentinelle signale chaque montée par un coup de sifflet strident et saute dans l’abri. Et chaque fois le déplacement d’air causé par un de ces monstres éteint la lampe d’acétylène à l’entrée du tunnel.
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Pendant une accalmie nous nous empressons de rentrer au «logis». Mais la tempête se déchaîne à nouveau. Sur le point de parvenir au but nous voyons se briser un tronc de sapin qui s’abat sur la masure. Le toit une fois encore a tenu.
Peu de jours plus tard il nous faut déménager. Les chasseurs, regroupant leur formation ont besoin de notre bon abri. Ils nous en indiquent un autre, assez proche. Mais nous voyons sans tarder pour quelle raison il n’est pas habité: construction hâtive, légère, sans vraie protection, toiture insuffisante uniquement de troncs d’arbres, et ce qui est plus grave: 50 mètres plus haut, sur le «Jägerfelsen» ou «Elsaesserstein» est placé un lance-mines léger.
Le même soir encore ce mortier entretient un tir rapide sur les positions françaises derrière «l’Aussichtsfelsen». Chaque fois, tel l’aboiement d’un chien, un projectile quitte le mortier; placé dans la ligne de sa trajectoire on le voit disparaître comme l’éclair. Mais le fait est que notre abri se trouve exactement dans la même direction. C’est mauvais pour nous.
Les impacts aux alentours se multiplient, la forêt environnante s’éclaircit à vue d’œil. Notre abri s’est déjà mis à vaciller à plusieurs reprises, terre et poussière tombent sur notre table, la fenêtre vole en éclats.
Entre temps, le 1er mai, notre tour blindée est terminée. Mais voilà que l’inspection officielle constate le lendemain que des morceaux de barbelés, des lambeaux de sacs de sable, des éclats de bois, etc. entravent toute vue sur la tranchée en face. Nous voilà donc assis à trois au fond de la sape, à la nuit tombante, sans savoir au fond que faire.
Alors arrivent deux sous-officiers et un canonnier d’artillerie de campagne. Ils paraissent assez mal à l’aise en première ligne, quelque peu nerveux et, pour cette raison, affables: «Bonsoir, camarades, pourrons-nous bien y arriver?». Nous apprenons, ce que nous savions déjà, que la vue devait être dégagée. Nous nous redressons un peu, à hauteur du parapet et donnons notre avis. Polis à l’extrême ils murmurent: «Quelle est votre opinion, cher camarade?» «Pleinement d’accord avec vous, cher camarade».
Puis «A quelle distance se trouvent ceux d’en face?» «Entre dix et douze mètres». Déjà d’en face monte dans le ciel noir une fusée éclairante et passe lentement au-dessus de notre tour. Elle est suivie d’une autre.
Vers dix heures l’obscurité est complète. Nous pourrons tenter quelque chose. Comme aucun des trois ne bouge, nous rampons sur le toit nous-mêmes pour essayer en me servant d’un long crochet, de faire glisser à terre trois sacs de sable pourris, reste sans doute d’un parapet abandonné. De nouvelles fusées montent en l’air, puis claque un coup de fusil. Pendant ce temps monte des profondeurs de notre sape un murmure amical : Attention, prudence, Herr Kamerad, ne sortez pas trop haut, etc.
Un nouveau coup de fusil passe trop à gauche. Nous redescendons. A présent les fusées éclairantes se suivent rapidement, traînant leurs queues étoilées dans le noir firmament. Finalement les trois représentants de l’artillerie de campagne rompent le silence: «Ecoutez, Cama- rades! Nous trois, de toute façon, ne faisons que vous entraver, vous barrer le chemin. Plusilyademondeici,plusilya du bruit, naturellement. Ainsi la meilleure solution reste celle, que nous vous quittions. Vous enlèverez ces choses et vous passerez ensuite à notre abri pour nous faire savoir ce que vous aurez réalisé; nous ferons alors notre rapport au lieutenant».
Après avoir attendu encore une demi-heure nous faisons le dernier essai. Nous essayons de passer sous les barbelés, au bout d’une perche, un paquet de plusieurs grenades à main reliées par leurs manches; nous les faisons sauter au moyen d’une longue ficelle et décampons aussitôt en vitesse. Après quelques secondes suivent l’explosion, en face un fusil mitrailleur entre en action. Mais nous sommes déjà au bas de l’escalier de madriers.
Il s’avéra d’ailleurs par la suite que la tour était placée trop bas de 50 cm pour servir d’observatoire.
En attendant nous animons la «Grosse Minenstrasse» de l’époque, voie de communication horizontale qui reliait le «Ziegelrücken» au Aussichtsfelsen. Elle était protégée vers le haut par un amas inextricable de barbelés, large d’une dizaine de mètres, infranchissable - chaque impact de projectile le soulevait en tourbillons pour le laisser retomber plus ramassé sur lui encore. Mais il ne nous protège pas de ce qui peut nous arriver par les airs, à chaque instant, mines légères, mines lourdes et tout le reste, sans les violentes rafales tirées par les batteries de montagne postées au Molkenrain.
Chacun de nos passages est un risque sérieux, d’autant plus que notre travail est laborieux, lent et pénible, interrompu à chaque instant nous respirons après chaque arrivée au but, l’Aussichtsfelsen. Et comble de frayeur, le 7 mai: Nous nous trouvons très chargés d’une de ces plaques de plusieurs quintaux qui nous meurtrit les épaules, quand explose tout près un lance-mines lourd, monté dans l’angle mort près de la cime de la montagne. Fracas assourdissant; autour de nous s’abattent des morceaux de rails, des roches, des troncs d’arbres déchiquetés ayant recouvert le stand de tir du monstre; il n’en reste qu’un trou béant, mais les servants sont indemnes, il s’avère que la base de ces immenses projectiles est trop faible pour résister au lancement du projectile. Ces munitions furent d’ailleurs retirées aussitôt. Pour l’instant nos tympans à nous ont eu bien du mal.
Mais, nouvelle surprise à notre rentrée: la couverture de notre abri est défoncée par un tir survenu dans la journée. Les vitres de la fenêtre volatilisée, tout est branlant, un immense obus, non explosé, gît dans le plancher défoncé! Rien n’est libre en fait de gîtes sur ce versant. Il ne nous reste qu’à construire nous-mêmes une baraque.
A proximité de l’abri de nos 4 camarades nous repérons, près du chemin montant du «Tanzplatz» un rocher qui nous protégera vers le haut. Il se trouve dans une partie de forêt encore relativement épargnée par les obus, ce qui est bon signe. Logeant provisoirement chez les autres, nous transportons, pendant notre temps libre, mais aussi alternativement pendant notre service (personne ne nous contrôle) ce qu’il nous faut: poutrelles, planches, clous et le reste, sur notre chantier. C’est là que sera notre nouvelle tâche.
Les distances à franchir sont nettement plus grandes. Depuis notre déménagement nous empruntons le chemin à lacets menant du «Tanzplatz» à «Tangermann’s Aufstieg». Le sentier passe à travers une forêt encore debout par place. Des plaquettes luisantes sont fixées sur les arbres bordant les lacets, dans le but de faciliter la montée pendant la nuit.
L’«Aussichtsfelsen» est considéré comme un des points d’appui les plus importants à l’est du plateau. Il protège la pente entière jusque vers le Hirtzstein. On est en train de creuser à sa base une immense galerie, point de départ d’un tunnel reliant les différents points d’appui par des mouvements rapides de troupes le cas échéant.
Des mineurs de la Ruhr creusent les trous qui recevront les charges de dynamite. Ils sortent le soir de la galerie tel des vieillards, couverts de poussière grise. Nous comptons attentivement les sourdes détonations retentissant de la montagne. Surtout ne pas perdre la vie bêtement par une explosion retardée ou ratée des charges.
Puis quand s’est éclaircie l’atmosphère presque irrespirable au fond du trou béant, nous y pénétrons, chargeons sur nos brouettes de fer les éclats de pierre arrachés à la montagne à la lumière de lampes d’acétylène. Des planches sont posées sur le chaos, et l’éclairage est incertain. Les heures à charger, brouetter, et déverser le contenu de nos brouettes en bas d’une pente obscure. Les heures passent lentement, la sueur nous trempe, mais une brise fraîche nous reçoit à chaque fois sortis de notre trou noir, alors que sur nos têtes planent les fusées éclairantes et retentissent les détonations, tantôt nombreuses, tantôt plus rares. Enfin arrive la relève.
Les fusées nous aident à trouver notre chemin dans le terrain profondément bouleversé! Nous voyons tout en silhouette, rochers, arbres déchiquetés, barbelés rouillés à éviter avec soin; puis enfin on atteint les sentiers praticables nous conduisant à notre baraque.
Une nouvelle tache nous est assignée peu après: le puits vertical, qui recevra le blindage traîné par nous à la sueur de notre font, va prochainement atteindre le sommet du rocher. Il nous est demandé d’échafauder un muret sur son bord ouest. Cet ouvrage est destiné à masquer l’orifice de ce puits. Les éclats de pierres certes ne manquent pas; ce point est et reste une des cibles ...
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