L'activité des gouvernements fournit chaque jour de nouveaux éléments à leur histoire, et les moyens que la science et l'industrie modernes ont imaginés pour faciliter et multiplier les rapports des peuples semblent avoir redoublé l'intensité de la lutte des intérêts et des influences.
Il n'est plus en Europe ou en Amérique un seul état pour qui l'immobilité soit possible, et bientôt la force d'inertie des vieux empires de l'Asie cédera, on doit le croire, aux efforts des puissances qui veulent les rattacher au mouvement général.
Dès maintenant nous avons à raconter ces efforts, et les affaires de la Chine devront sans doute occuper désormais une place importante à côté de celles de l'Europe et de l'Amérique.
En Europe, nous nous retrouvons d'abord en présence des questions qui se rattachent directement à la paix de Paris.
Notons pour mémoire le travail de la vérification des frontières de la Russie et de la Turquie en Asie : il avait dû être terminé l'année même de la signature du traité de Paris; mais les circonstances ne l'avaient pas permis, et les commissaires n'avaient pu être rendus sur les lieux qu'au printemps de 1857.
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Leur mission s'accomplit sans incident, et un document qui modifiait sur quelques points la délimitation antérieure au moyen de compensations fut signé à Constantinople le 5 décembre de la même année.
Au mois d'avril 1858, la conférence de Paris se réunit pour recevoir communication de ce document, dont elle se borna à donner acte à la Russie et à la Porte.
Les plénipotentiaires des grandes puissances étaient à la veille de discussions plus retentissantes : ils allaient avoir à s'occuper de l'organisation des principautés de Moldavie et de Valachie.
Nous avons indiqué précédemment les causes qui avaient retardé l'arrivée de la commission chargée de cette tâche à Bucharest; les commissaires ne devaient s'y présenter que le jour où les troupes de l'Autriche et de la Turquie, qui occupaient les deux provinces, en auraient entièrement évacué le territoire.
Or ce mouvement de retraite, qui devait être accompli dans un délai de six mois à partir de la conclusion de la paix, avait été différé contre toute attente par les dissentimens qui avaient suspendu outre mesure le travail de la commission appelée à déterminer les nouvelles frontières en Bessarabie.
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D'accord avec l'Angleterre, qui ne voulait pas quitter la Mer-Noire avant que la destination à donner à l'île des Serpens eût été décidée, l'Autriche se refusait à quitter les principautés avant que l'affaire de Bolgrad eût été résolue et que la délimitation eût été fixée.
Les commissaires pour l'organisation des principautés, qui étaient déjà réunis à Gonstantinople, y restèrent pendant plusieurs mois dans l'inaction.
Ce n'est qu'au mois d'avril 1857 que leurs travaux purent commencer sur les lieux mêmes.
Les commissaires avaient reçu à Constantinople la communication du firman électoral, rédigé par la Porte de concert avec les ambassadeurs et ministres des puissances signataires du traité de Paris.
Malheureusement ce firman, qui avait été combiné loin du pays, bien que fort remarquable dans ses dispositions essentielles, renfermait dans les détails plusieurs points dont l'application soulevait des doutes ; ce fut la source de nouvelles difficultés.
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La voie à laquelle on eut recours pour les résoudre ne fit que les compliquer, et cette question, qui semblait posée dans des termes si simples au premier abord, prit bientôt les proportions d'un conflit diplomatique européen.
Les commissaires furent d'avis que les auteurs du firman avaient seuls qualité pour en fixer le sens.
Ces doutes avaient été élevés par le caïmacan de la Valachie, le prince Ghika, qui n'avait pas cru pouvoir dresser les listes électorales sans être éclairé à cet égard.
M. Vogoridès, caïmacan de Moldavie, qui ne doutait de rien, et qui, après avoir offert, dit-on, ses services à la France en faveur de l'union, s'était enrôlé au service de l'idée contraire, déclara qu'il n'avait pas besoin d'attendre l'interprétation que les commissaires avaient demandée à Constantinople, et qu'il allait publier les listes électorales afin de procéder immédiatement aux élections.
La question, déférée à la Porte et aux représentais des puissances, devenait par cela seul fort complexe et très embarrassante pour eux, dans l'état de division où ils se trouvaient respectivement par rapport à l'idée de l'union.
Les adversaires de l'union pensaient qu'il était de leur intérêt de laisser le champ libre à M. Vogoridès, qui avait tout préparé pour obtenir des élections conformes à leurs voeux et qui répondait du succès.
Telle était notamment la manière de voir du ministre d'Angleterre, lord Redcliffe, et de M. le baron de Prokesch, internonce d'Autriche, entre les mains desquels le grandvizir Rechid-Pacha n'était qu'un instrument passif.
Les représentans de la France, de la Russie, de la Sardaigne et de la Prusse devaient au contraire se préoccuper vivement de la conduite et des intentions de M. Vogoridès; ils pensèrent que son zèle excessif pour fausser les élections et les tourner contre l'union était formellement contraire aux voeux du congrès, à l'esprit du firman électoral, et les considérations qu'ils exposèrent en ce sens à leurs collègues offraient un caractère si frappant d'évidence, que ceux-ci consentirent à une conférence, qui eut lieu le 30 mai 1857, en vue de s'entendre sur les dispositions les plus propres à ramener le caïmacan de Moldavie à l'exécution du firman.
On convint dans cette conférence que la commission de Bucharest serait chargée d'interpréter, d'accord avec le caïmacan de Valachie, les points qui lui avaient paru douteux, et que cette interprétation serait communiquée à M. Vogoridès, afin que le firman fût appliqué par lui aussi exactement que possible, sauf les cas particuliers à la Moldavie.
Toutefois ce personnage ne crut pas devoir attendre le résultat des délibérations de la commission européenne : avant même que ce résultat fût connu à Iassy, le caïmacan avait publié les listes électorales, employant tous les subterfuges imaginables, même la violence ouverte, pour préparer des choix qui lui fussent agréables, et soulevant contre lui l'opinion à peu près unanime du pays.
Ce scandale, contre lequel s'élevaient de toutes parts les protestations, mit les représentais de la France, de la Russie, de la Prusse et de la Sardaigne à Constantinople dans la nécessité de faire une démarche auprès de la Porte, afin de réclamer la stricte exécution des résolutions arrêtées en commun dans la conférence du 30 mai.
Ils demandaient à cet effet que les élections, auxquelles M. Vogoridès annonçait l'intention de procéder immédiatement, fussent retardées de quinze jours, et que ce délai fût employé à la rectification des listes électorales d'après l'interprétation fixée à Bucharest.
Tel était aussi l'avis de la Porte, le conseil des ministres avait même pris une décision en ce sens, lorsque l'ambassadeur d'Angleterre et l'internonce d'Autriche, usant de l'influence absolue qu'ils possédaient sur Rechid-Pacha et affectant une attitude comminatoire, décidèrent le grand-vizir à abandonner cette décision, bien qu'elle eût été communiquée à l'ambassadeur de France.
En même temps lord Redcliffe et le baron de Prokesch annonçaient officiellement à la Porte qu'ils acceptaient la responsabilité qui pourrait rejaillir sur elle d'un refus d'ajournement.
Rechid-Pacha ne comprit pas l'atteinte que sa rétractation et l'espèce de tutelle que s'arrogeaient ainsi les représentais de l'Angleterre et de l'Autriche portaient à'sa propre considération et à la dignité de son pays.
Il se mit à la discrétion de ces deux agens, et le caïmacan de Moldavie put procéder en toute liberté à des élections si manifestement dérisoires, que luimême fut consterné du résultat.
Cet incident créait une situation extrêmement grave.
La dignité du gouvernement français et des autres cabinets qui avaient suivi la même ligne de conduite était en jeu.
Le ministère ottoman avait manqué à ses obligations envers eux; les agens de l'Angleterre et de l'Autriche s'étaient eux-mêmes affranchis des arrangemens convenus dans la conférence du 30 mai : ils l'avaient fait en usant, à l'égard de la Porte, d'une violence morale qui avait tout le caractère d'un protectorat impérieux, et qui rendait encore cet état de choses plus blessant pour le cabinet des Tuileries.
La Porte et les deux ambassadeurs qui l'avaient engagée de force, pour ainsi dire, dans cette voie ne s'étaient pas rendu un compte exact de la position de la France en Europe depuis la guerre, et de la fermeté qu'elle était en mesure de montrer dans tous ses actes.
Une année s'était à peine écoulée depuis que le sang de plus de soixante mille soldats français avait coulé pour sauver l'empire ottoman d'une ruine imminente; le gouvernement auquel il devait son salut ne pouvait accepter l'échec que l'on voulait infliger à sa diplomatie.
Penser le contraire, c'était faire preuve de la plus complète imprévoyance, et l'aveuglement de la passion peut seule expliquer une semblable méprise de la part de lord Redcliffe et du baron de Prokesch, deux hommes si remarquables d'ailleurs à tant de titres.
Heureusement leur personnalité, si marquée en toute occasion, avait dominé en cette circonstance leurs instructions; leurs cours étaient beaucoup moins compromises qu'euxmêmes dans la lutte qu'ils avaient engagée avec tant de feu contre leur collègue de France, et le cabinet français, en s'adressant à ces deux cours afin de les ramener à ses propres appréciations, pouvait plus facilement faire appel à leur raison.
La mesure de ses exigences était indiquée par celle des engagemens auxquels on avait manqué envers lui.
Il avait demandé, selon son droit, l'ajournement des élections; puisque l'on avait passé outre, il pouvait et devait demander l'annulation de ces élections véritablement scandaleuses.
C'est la résolution qu'il prit sans hésiter.
La Russie, la Prusse, la Sardaigne, se joignirent à lui, et les agens des quatre puissances furent invités par leurs gouvernemens à faire de l'annulation l'objet d'un ultimatum dont le rejet entraînait la rupture des relations.
Le grand-vizir Rechid-Pacha, auquel revenait la responsabilité de cette crise, succomba devant cette attitude énergique des quatre cours; mais sa chute ne pouvait satisfaire la France, qui n'avait pas demandé un changement de ministère, ni posé une question de personnes.
Le gouvernement français ne pouvait transiger sur le point spécial des élections, et aucun expédient qui ne fût pas allé droit au but n'avait de chances d'être agréé par le cabinet des Tuileries.
D'autre part, lord Redcliffe et son collègue d'Autriche persistaient à donner les mêmes conseils à la Porte, et cette malheureuse puissance, écoutant plus volontiers le langage qui flattait ses préjugés et ses illusions que celui qui s'adressait à sa raison, s'opiniâtrait à répondre par des faux-fuyais à une demande qui ne comportait qu'une acceptation pure et simple ou un refus de la même nature.
La rupture des rapports diplomatiques devenait dès lors inévitable; elle eut lieu le 5 août pour la France, la Prusse et la Sardaigne, et le lendemain pour la Russie.
L'ambassadeur de France avait déployé dans ces pénibles conjonctures toutes les ressources d'un talent supérieur, et il aurait certainement triomphé des résistances de la Porte, si elle n'avait été aveuglée par les calculs et les préoccupations les plus erronés.
L'affaire en étant venue à ce point, il fallut l'intervention de l'empereur Napoléon lui-même pour trancher une difficulté qui pouvait autrement prendre des proportions inquiétantes pour la paix générale.
Avant que cette crise éclatât, l'empereur des Français avait annoncé l'intention de rendre visite à la reine d'Angleterre dans sa résidence d'Osborne, et l'on a dit même qu'au moment où il avait conçu cette pensée, son intention aurait été de profiter de cette circonstance pour conférer avec son alliée sur l'affaire de l'union.
Cependant, bien que le Journal de Francfort, dans des lettres de Constantinople qui paraissaient émaner d'une source diplomatique, ait prétendu que tel avait été en effet le sujet spécial des entretiens d'Osborne, et qu'en outre le gouve...
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