Les sonneries et batteries d’ordonnance ne sont pas des musiques, bien qu’ils soient joués sur des instruments de musique, mais des signaux sonores. Les musiciens d’ordonnance sont d’abord des soldats, et généralement non des musiciens. Ils apprennent et retiennent les sonneries à l’imitation par un moyen mnémotechnique qui consiste à attribuer des paroles, souvent grivoises, aux mélodies.
À l’origine, ce système d'alerte et d'informations aux populations (SAIP) date de la Seconde Guerre mondiale et visait à prévenir les populations en cas d’attaque aérienne. L'armée romaine est très hiérarchisée, avec des joueurs de cor ou "buccinatores" pour rassembler les troupes.
Lors de la réorganisation de l'armée par François 1er en 1534, des tambours et des fifres sont affectés dans les compagnies comme musiciens d'ordonnance. Il faut y voir l'acte de naissance de la céleustique moderne dans l'armée française. Il est certain que des signaux existaient antérieurement, mais pas encore de soldats réglementairement affectés à leur transmission.
En 1705, André Danican Philidor dit « l’aîné », compositeur et musicien de Louis XIV, en charge de la garde de la Bibliothèque de la Musique du roi, établit le recueil des batteries et sonneries militaires en usage dans l'armée. Ces partitions figurent dans les archives de la bibliothèque de la ville de Versailles.
On ne louera jamais assez le travail d’André Danican Philidor (1647-1730), dit Philidor l’Aîné, « Ordinaire de la Musique et garde de la bibliothèque de musique du Roi » Louis XIV. Issu d’une dynastie d’instrumentistes au service de la royauté, Philidor sert tour à tour comme basson (1672), tambour (1678), flûte (1682), hautbois (1690/1716), violon (1681-1729) au sein de la Chapelle de la Reine, de la Chambre et Grande Écurie du Roi et de l’Académie Royale de Musique.
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Philidor œuvra avec talent et rigueur, sous la férule de son mentor Jean-Baptiste Lully (1632-1687), surintendant de la musique du Roi-Soleil. A la demande du monarque, Lully et Philidor composèrent les premiers airs pour hautbois, et tambours dédiés aux régiments royaux : « Marche Française » , « Marche du Régiment du Roy », « Marche des Mousquetaires » , « Marche des Dragons du Roy » « Marche des Grenadiers à cheval »…
Parfois Philidor mit en musique le thème donné par Lully, ainsi il réalisa, entre autres, l’harmonisation et l’instrumentation des trois parties d’accompagnement destinées à la famille des hautbois ainsi que l’écriture de la partie de tambour, comme il l’indique de sa plume sur la partition de la « Marche des Mousquetaires » issue du recueil manuscrit daté de l’an 1705 : « Partition de plusieurs marches et batteries de tambour tant françoises qu’étrangères » : 4e, 5e, 6e airs : « Philidor en a fait les parties M. de Lully ne les ayant pas voulu faire ».
En sa qualité de garde de la bibliothèque du Roy (sa nomination en titre interviendra en 1702, Philidor occupant le poste de garde-adjoint depuis l’année 1683), André Philidor copiera les partitions d’un grand nombre d’ouvrages musicaux : œuvres lyriques, ballets, comédies-ballets, symphonies instrumentales, œuvres vocales, qui sont parvenus jusqu’à nos jours, sous l’appellation « fonds Philidor » à l’origine de la constitution du répertoire musical de la Bibliothèque de Versailles puis de la Bibliothèque nationale de France.
Pour ce qui touche à la musique aux armées, le recueil élaboré par Philidor en 1705 est une source de première main, puisque son auteur apporte le plus souvent un certain nombre de détails historiques concernant notamment la date et le lieu de la composition que ce soit pour les œuvres musicales liées à la Maison du roi, au travers des marches, airs, ordonnances et batteries, ou pour celles, support aux fastes de Versailles : ballets équestres, carrousels, célébrations religieuses etc.
En France, il faudra attendre 1636 pour voir le premier écrit traitant de la trompette en général et des « tons de guerre » en particulier. Il s’agit en effet de l’année de publication de l’ouvrage d’érudition du Père Marin Mersenne (1588-1648) : « Harmonie Universelle contenant la théorie et la pratique de la musique » (Paris, 1636). M. Mersenne développe longuement les origines de l’instrument, ses caractéristiques techniques et sonores, puis son emploi pour la guerre.
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Le père Marin Mersenne, savant religieux, nous donne pour la première fois en 1636 dans son ouvrage « L'harmonie universelle », les sonneries et batteries en usage à son époque. Développés par la suite jusqu'à devenir des airs de marche, les thèmes recensés par le père Mersenne ont servi de base aux sonneries correspondantes des ordonnances en vigueur sous Louis XV, Louis XVI et Napoléon 1er.
Le tambour dit "d'ordonnance" avait en effet pour mission essentielle d'assurer la transmission des ordres. Les diverses et nombreuses batteries avaient chacune une désignation propre et un rythme particulier qui les distinguait des autres afin d'éviter toute confusion. Elles étaient exécutées soit de pied ferme, soit en marchant par les tambours accompagnés de hautbois ou de fifres...
Les musiciens militaires forment deux catégories distinctes : le soldat, souvent recruté parmi les enfants de troupe, qui suit les unités sur le champ de bataille et le musicien professionnel, «le gagiste» engagé par le colonel sur ses fonds personnels, qui divertit l'état-major et reste à l'écart des hostilités. Les musiciens engagés par le colonel portent sa livrée. Cet usage transparaît ensuite dans les uniformes des musiciens militaires toujours plus galonnés et décorés que ceux de la troupe.
Le clairon conçu par Courtois est adopté par l'armée en 1822 pour remplacer les cornets des tirailleurs avec les sonneries composée par le chef de musique Pierre Melchior. Il est généralisé à toute l'infanterie par l'ordonnance du 4 mars 1831, étape majeure de la céleustique militaire française.
La tonalité en si, le tube conique qui donne le son plus doux du clairon le distinguent de la trompette de cavalerie au son plus éclatant et à la gamme différente, avec laquelle il est souvent confondu. La plupart des pièces jouées au clairon n'utilisent que 4 notes: fa(3), si (3), ré(4) et fa(4) (notes données en ut).
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Au XVIIIe siècle la trompette bénéficie d’une aura particulière, incarnée par sa nature à la fois divine et guerrière. N’est-ce pas l’instrument privilégié de la musique baroque dont la sonorité illumine de sa brillance les Te Deum, ou accompagne le pas des rois lors des processions ?
Les trompettes utilisées alors, dont certains exemplaires ont pu être soigneusement conservés - notamment au musée de l’Armée - sont appelées « trompettes longues » « grandes trompettes » ou encore « trompettes à boule ».
L’instrument d’une longueur théorique de 2,24 m est enroulé sur un tour. La « boule » (ou bouton), fixée pratiquement à moitié sur le tube donnant naissance au pavillon, entre les deux extrémités, est un pommeau servant à tenir l’instrument de la main droite. Le diamètre du tube cylindrique de la trompette naturelle est plus large (12mm) que celui des trompettes modernes chromatiques qui apparaîtront plus tard. Par conséquent la sonorité de l’instrument est plus ronde, plus chaude, elle se rapproche davantage de la voix humaine.
Depuis le début du XVIe siècle, la facture instrumentale liée à la fabrication des trompettes se situe principalement en Allemagne, plus précisément à Nuremberg où une importante corporation de facteurs se regroupe et se fédère un siècle plus tard, en 1625, en une guilde corporative.
Le clairon traditionnel français en si bémol est un instrument inventé par le facteur d’instruments Antoine Courtois en 1822 sur le modèle du bugle anglais. Il s’agit d’un instrument naturel, il ne possède aucun mécanisme et les sons qu’il produit ne sont que les harmoniques naturelles de la fondamentale en si bémol.
Sous l’Empire, les tirailleurs utilisaient déjà des cornets pour transmettre les ordres. Le clairon en est une amélioration. Il va rapidement remplacer le tambour comme principal instrument d’ordonnance.
Sonneries et batteries traduisent et transmettent les ordres sur le champ de bataille. C’est à partir du XIIIème siècle que date une certaine confusion entre sonneries de transmissions des ordres et musiques de marches.
Dès lors, l’authenticité de la musique transcrite doit être prise non sans discernement. Philidor a vraisemblablement transcrit musicalement les appels constituant l’air des différentes sonneries, d’après ce que les Trompettes jouaient d’oreille à cette époque, en se transmettant l’air de l’un à l’autre.
Les "bruits de guerre", c'est l'appellation ancienne des sonneries qu'exécutaient les Trompettes pour transmettre les ordres durant le combat.
En campagne, tous les ordres peuvent être donnés au clairon ou à la trompette : charge, retraite, etc. Chaque Instrumentiste connaît l'ensemble des sonneries ou batteries selon son instrument.
Voici ce qu’écrit A. Manesson-Mallait : « La Trompette est un des plus agréables instruments militaires que nous ayons ; elle est faite d’argent, de rosette, ou de cuivre rouge, et le plus souvent d’airain. Le corps de la Trompette est formé d’un long tuyau doublement courbé, comme il est marqué en A. Chaque compagnie de Cavalerie doit avoir son Trompette, qui porte la livrée du Prince ou du Colonel à qui appartient le Régiment. Il doit toujours être logé ou campé avec la compagnie.
Dans son instruction pour le tambour-major, l’ordonnance du 4 mars 1831 précise que « le nombre des batteries est fixé à vingt, non compris les batteries particulières à chaque régiment ». Suit l’énumération de ces batteries. A la page suivante : « le nombre des sonneries est fixé à vingt-six, non compris la marche particulière à chaque régiment ».
Liste des sonneries de l’ordonnance du 4 mars 1831 :
Au quartier ou à la caserne, au poste de garde, un clairon (ou trompette) de permanence rythme le cours de la journée ( le réveil, les couleurs, le courrier, le rapport, la soupe, l'appel des punis, les ordres au pas de tir, l’extinction des feux...) ou appelle précisément un gradé ou un groupe de permanence (le sergent de semaine de telle compagnie ou le piquet d'incendie...).
Á André Philidor revient le mérite d’avoir noté les premières sonneries « modernes » de la cavalerie française, à une période d’ailleurs où la transmission du savoir musical de manière orale était encore très ancrée, notamment au sein des troupes.
Le travail de Philidor n’est certes pas complet, mais les exemples cités suffisent cependant à établir une filiation directe relative au matériau thématique entre ces sonneries et celles rassemblées plus tard par le lieutenant-colonel Lecocq-Madeleine, officier du Régiment d’Egmont, dans son manuel « Service ordinaire et journalier de la Cavalerie - Paris 1720 ».
Elles comportent d’ailleurs un certain nombre d’erreurs de notes. Philidor a vraisemblablement transcrit musicalement les appels constituant l’air des différentes sonneries, d’après ce que les Trompettes jouaient d’oreille à cette époque, en se transmettant l’air de l’un à l’autre.
Dans l'infanterie, la transmission des ordres se fait au tambour depuis le XVe siècle. Mais l'évolution de l'armement, l'augmentation de la puissance de feu impose d'améliorer la mobilité des tirailleurs et donc de les doter d'un instrument plus maniable que le tambour.
Le résultat d'une révision générale des batteries et sonneries en usage dans l'Armée Française fut consacré par les ordonnances royales de 1754, 1764 et 1766. Le code des signaux sonores s'y trouva considérablement augmenté par rapport à la période précédente: Dans la cavalerie, les trompettes obéissaient au commandement verbal d'un officier.
Lorsque la Convention, en 1792, dissout les musiques régimentaires, les musiciens du régiment des Gardes françaises ouvrent l'École gratuite de musique de la ville de Paris. David Buhl compose les sonneries pour trompette, en se basant sur l'existant mais en améliorant la qualité musicale des morceaux.
En 1831, les corps de troupe furent donc dotés de clairons, et le chef de Musique Melchior composa un répertoire complet des sonneries règlementaires pour clairon dont la plupart étaient basées sur les rythmes des batteries de tambours correspondantes. Elles pouvaient ainsi être exécutées soit par les tambours seuls, soit par les clairons seuls, soit par un ensemble de tambours et de clairons, suivant les nécessités du service.
Dans son instruction pour le tambour-major, l’ordonnance du 4 mars 1831 précise «le nombre des batteries est fixé à vingt, non compris les batteries particulières à chaque régiment» puis « le nombre des sonneries est fixé à vingt-six, non compris la marche particulière à chaque régiment» et énumère ces batteries et ces sonneries.
Après la révolution de 1830, le roi Louis-Phillipe fait interdire l'usage du tambour qui avait servi à ameuter la population. Sans cet instrument, la conquête de l'Algérie va poser des difficultés au commandement des troupes.
A leur création, les bataillons de chasseurs à pied n’ont que des clairons pour transmettre leurs signaux. Les 21 et 22 septembre 1845 avec le combat de Sidi-Brahim, le clairon contribue à forger les traditions des chasseurs à pied.
Le clairon Guillaume Rolland du 8e bataillon de chasseurs à pied réussit à s’enfuir après sept mois de captivité, à son retour à Tlemcen, le général Cavaignac l'honore en lui faisant faire le tour du camp assis sur un affût de canon devant les troupes présentant les armes. Il est décoré de la Légion d’honneur dès 1846.
Si le clairon Rolland est honoré à sa libération, le rôle de l’instrument avec l’épisode de la sonnerie de La charge au lieu de La retraite n’existe pas dans les premiers récits. Il n’intervient que tardivement.
En mars 1869, une note ministérielle établit qu’à côté des trois caporaux-tambours de chaque régiment d’infanterie, il y aura aussi un caporal-clairon. Le 13 août, une décision ministérielle prescrit aux régiments de cavalerie de se doter de deux clairons d’ordonnance afin « d’exercer sur ces instruments quelques trompettes aux sonneries règlementaires dans l’infanterie ».
Dans ses Chants du soldat, Paul Déroulède publie les paroles d’une chanson sur Le Clairon qui est interprétée par Amiati dès 1873. Après la défaite et dans l’esprit de revanche qui s’impose après la défaite de 1870, cette chanson sur le clairon, et non pas sur le tambour, va beaucoup contribuer à populariser l’instrument.
L’adoption de nouveaux moyens de transmission (téléphone et radio) va progressivement reléguer les sonneries d’ordonnance au cérémonial où elles sont cantonnées aujourd’hui.
Depuis la grande guerre, on ne charge plus au son du tambour ou du clairon, comme il était de règle lorsque les troupes en formation de combat devaient évoluer sur le champ de bataille, et qu'il n'y avait pas d'autre moyen de transmettre les ordres. Toutefois les anciens de 14-18 ont conservé un souvenir ému de la sonnerie du cesser le feu du 11 novembre 1918.
Le tambour conduit les soldats à l'entrée de la guerre de 1914, mais dans les premières semaines, il est déjà déclassé par le clairon, moins inadapté aux nouvelles techniques de combat.
Si le tambour d'ordonnance disparait dès août 1914, pour autant ce n'est pas l'avènement du clairon. Certes, il est conservé pour la transmission des ordres tout en étant irrémédiablement condamné par les nouvelles technologies que sont le téléphone et la radio.
La dernière sonnerie entrée dans le cérémonial officiel est la sonnerie Aux morts composée en 1932 par Pierre Dupont, chef de musique de la Garde Républicaine, pour le ravivage de la flamme à l'Arc de triomphe.
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