L’armée de Terre s’engage sur le chemin de la robotisation pour accroître ses capacités opérationnelles, mais les systèmes robotiques militaires semi-autonomes seront déployés sous le contrôle d’un chef militaire pour des fonctions non létales. La formidable transition capacitaire que représente Scorpion est l’opportunité idéale pour permettre à l’armée de Terre de développer une capacité robotique propre à sa vision de l’action terrestre future.
Cette capacité permettra notamment de générer des effets de masse : « la robotisation et l’automatisation de certaines tâches (systèmes de surveillance, de protection de la force et de détection des menaces, flux logistiques) visent à accélérer le rythme opérationnel pour augmenter le rendement de la force. » Par système robotique militaire, elle entend système terrestre, aérien ou naval caractérisé par un champ d’action variable qui dépend du niveau d’automatisation de ses fonctions propres.
Le système est destiné à réaliser des tâches ayant pour objectif un effet d’intérêt militaire. Son emploi relève d’une décision de chef et d’une responsabilité humaine. Si l’utilisation de systèmes robotiques a et aura un impact sur la réalisation des missions de l’armée de Terre, leur degré d’autonomie pose des questions éthiques, juridiques et d’acceptabilité qu’il convient d’analyser dans le détail et de cadrer.
L’emploi de Systèmes d’armes létaux autonomes (Sala) est une ligne rouge que l’armée de Terre ne franchira pas. En revanche, d’ici 2030, nous nous fixons l’objectif de développer des robots et drones autonomes non létaux, véritables équipiers sur lequel le combattant pourra s’appuyer pour des missions extrêmement variées comme l’ouverture d’itinéraire ou encore le convoi logistique. À cette échéance, l’armée de Terre devra également maîtriser la capacité d’annihiler le robot autonome de l’adversaire, létal certainement.
Comme le soldat demeure au centre de l’acte guerrier, le chef militaire responsable assume pleinement la responsabilité de l’emploi qu’il fait des systèmes robotiques dont il dispose, à l’instar des autres unités et moyens mis à sa disposition. Si l’utilisation de systèmes de robots terrestres va se développer au sein de l’armée de Terre, celle-ci n’est pas nouvelle.
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Dès les années 1990, des robots étaient utilisés au profit des équipes de déminage (minirobot ou char de déminage télécommandé). L’opération Pamir en Afghanistan a définitivement installé l’emploi des drones préexistants (SDTI et DRAC) et introduit de nouveaux minirobots et drones du Génie (Minirogen et DroGen) déployés en urgence opérationnelle dans ces unités pour la lutte contre les Engins explosifs improvisés (IED). Plus récemment, d’autres systèmes robotisés ont été déployés en opérations comme sur le territoire national.
Ces systèmes sont des multiplicateurs d’efficacité opérationnelle. Ils participent à la compréhension de l’espace de bataille, à la performance du commandement et à l’agilité des unités. En ce sens, la robotique facilite la réalisation des missions de l’armée de Terre dans leur diversité et s’intègre plus largement dans sa vision de l’Action terrestre future.
Au service du combattant, les systèmes robotiques ont vocation à améliorer sa protection en réduisant son exposition aux dangers du champ de bataille et en préservant ainsi son potentiel. Le développement de convois logistiques semi-autonomes ou encore de « mules » déchargeant les soldats d’un groupe de combat de leur sac de vie en campagne et de munitions supplémentaires, et la diffusion des micro-drones jusqu’au niveau du groupe d’infanterie comme « jumelles de vision déportée J+N » contribueront à cet effet.
Les robots et drones participeront également à dégager le combattant des tâches réalisables par des machines pour le recentrer sur ses tâches essentielles. L’ensemble des missions de surveillance passive d’emprise militaire pourrait être ainsi réalisé par des systèmes téléopérés puis autonomes à terme. Plus largement, ces systèmes devraient permettre de produire des effets que l’homme ne parvient pas à produire et susceptibles de lui procurer un avantage sur son adversaire.
Ainsi, l’emploi de mini-drones de reconnaissance et de drones tactiques de surveillance permettant de désigner un objectif permettra à l’homme le tir au-delà de la vue directe. Dans le domaine logistique, des convois autonomes permettront d’allonger les distances et les cadences de livraison puisqu’indépendants de la fatigue humaine des équipages. Ces systèmes doivent s’intégrer dans l’ensemble des moyens mis à la disposition du chef militaire pour remplir sa mission et s’inscrire dans des doctrines d’emploi interarmes et interarmées.
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L’armée de Terre, première armée d’Europe, doit se tourner vers l’utilisation de systèmes robotiques pour tenir son rang et maintenir un tempo de développement garantissant l’interopérabilité et sa place parmi ses alliés, tout en évitant le risque de décrochage capacitaire vis-à-vis d’un adversaire qui saura utiliser toutes les opportunités offertes par le progrès et l’innovation. Les nouveaux enjeux de défense identifiés dans ATF nous offrent quelques tendances envisageables dans ce secteur.
De nombreux États comme la Russie (protection de sites nucléaires par des robots) ou encore la Chine (développement à marche forcée de l’Intelligence artificielle, IA) s’affirment comme de futurs champions du développement de robots de haute technologie. Des acteurs non-étatiques détournent, quant à eux, la technologie civile démocratisée pour développer une robotisation du pauvre. Plus globalement, les pays occidentaux devront produire des systèmes de haute technicité pour conserver une supériorité technologique indispensable mais qui ne préserve pas pour autant des capacités dites égalisatrices comme les smartphones, les drones civils transformés ou encore des petits engins explosifs au sol.
Les prochains conflits verront s’affronter sur un même champ de bataille ces objets technologiques au service de la réalisation d’une mission planifiée par un chef militaire. Dans l’absolu, l’armée de Terre doit disposer de systèmes robotiques fiables (robustesses physiques et électroniques des systèmes), résilient au brouillage et précis (capteurs) mais également employables dans des milieux et des climats extrêmes.
La résilience de ces systèmes est un enjeu majeur dans la montée en puissance des robots/drones autonomes non létaux d’ici 2030. Dans la pratique, il faudra savoir faire preuve de discernement et d’opportunisme quant aux performances selon les emplois. Le projet Éclaireur de robotique terrestre, premier projet porté par le Battle Lab Terre, a ainsi vocation à expérimenter les usages opérationnels permis par différents types de plateformes automatisées terrestres modulaires destinées à l’appui des unités au contact.
Ces systèmes doivent bénéficier à l’ensemble de l’armée de Terre dans la mesure où il n’y a pas de fonction opérationnelle robotique mais bien de la robotique dans toutes les armes. Par le biais de Scorpion, l’armée de Terre développe un combat infovalorisé dont certaines fonctions seront automatisées (sur les véhicules Griffon et Jaguar : détecteur laser, acoustique, proposition automatisée d’action de protection ou d’agression des systèmes d’armes) et à termes, couplées avec des robots et des drones.
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Cela répond à l’ensemble des besoins et missions de l’armée de Terre dans les domaines : du commandement (aide à la décision tactique, aide à l’entraînement), du combat embarqué et débarqué (aide au pilotage, riposte automatisée), de l’appui-feu (drone pour détecter et désigner des objectifs), du renseignement (capteurs fixes ou mobiles de guerre électronique, radar, multicapteurs opérant seul ou en réseau, brouillage, déception), de la logistique (convoi logistique automatisé, évacuation de blessés, drones ravitailleurs), du génie (ouverture d’itinéraire, déminage, lutte contre les IED, bréchage), des transmissions (mise en réseau via des relais radios automatisés ajustant leur position géographique en fonction de la manœuvre).
Si les systèmes robotiques militaires contribueront de manière croissante aux missions de l’armée de Terre en devenant, à terme, de véritables équipiers du combattant, la terminologie de mission, indissociable de la notion de responsabilité, continuera à relever exclusivement du champ d’action de l’homme. L’autonomie d’un système robotique sous-tend sa capacité à être gouverné pas ses propres règles. Beaucoup trop large, cette définition a dû être déclinée au sein de l’armée de Terre en semi-autonomie et pleine autonomie.
Le niveau d’autonomie d’un drone/robot peut être caractérisé par les adjectifs téléopérés, supervisés, semi-autonomes ou pleinement autonomes selon le niveau d’automatisation de chacune de ses fonctions. Un système téléopéré est un système sans équipage à bord, opéré à distance par un équipage via des moyens de télécommunication. Si les systèmes robotiques militaires sont appelés à se développer, ils demeurent des outils réalisant des tâches au profit de l’homme.
Le chef militaire doit pouvoir rester responsable de l’usage qu’il fait des moyens automatisés dont il dispose, à l’instar des unités et autres moyens mis à sa disposition. Leur emploi relève donc toujours d’une décision militaire, c’est la garantie du respect de l’éthique dans l’emploi de la force. La question centrale de l’éthique sur le champ de bataille se résume ici à comment garantir un emploi juste de ces nouvelles capacités militaires.
Sur le plan éthique également, la place de l’homme dans la guerre signifie pour la Nation la prise de risque pouvant aller jusqu’au prix du sang. Si l’homme devait être remplacé sur le champ de bataille par un système autonome, cela pourrait questionner sur la portée politique d’une telle action militaire de la France, vis-à-vis de nos alliés mais également de l’adversaire. Plus largement, la perception par la population des théâtres d’opérations de ce type de systèmes devra faire l’objet d’une réflexion. De même, la perception par la Nation de ses soldats affrontant des systèmes autonomes potentiellement létaux chez l’adversaire doit être prise en compte.
Sur le plan légal, les systèmes robotiques, même autonomes, resteront dénués de personnalité juridique. La responsabilité juridique sera donc bien humaine, c’est-à-dire celle du chef militaire employant ces systèmes sur le champ de bataille. L’usage de ces systèmes, même valorisés par l’IA, doit être éthiquement et juridiquement borné. Ceux-ci ne constituent en aucun cas une fin en soi, mais doivent faire partie de la panoplie de moyens mis à la disposition du chef militaire pour remplir sa mission.
L’engagement de systèmes automatisés tactiques seuls pourrait être une limite à leur plus-value. La complémentarité combattants-machines semble être dimensionnante pour une bonne prise en compte de la complexité d’une situation de combat. L’engagement de systèmes automatisés tactiques sera intégré à la manœuvre de manière à démultiplier les effets produits par la combinaison combattants-machines.
Dans le prolongement des systèmes de robots et de drones actuels, le plus souvent téléopérés ou supervisés, les systèmes futurs trouveront leur place en fonction de leurs capacités et de leur degré d’autonomie dans la réalisation de tâches plus ou moins complexes. Si les systèmes les plus basiques continueront à être utilisés comme des outils, les systèmes les plus aboutis pourront aussi être utilisés comme des équipiers capables d’accomplir des tâches de plus en plus complexes, et non des missions engageant la responsabilité humaine, de manière autonome.
Armée de haute technologie et de premier rang, l’armée de Terre s’engage résolument sur le chemin de la robotisation. Il s’agit aujourd’hui de consolider ses capacités, d’élargir le champ d’action des systèmes automatisés et de préparer l’avenir. Cette préparation de l’avenir doit prendre en compte la question centrale de l’éthique du champ de bataille avec des systèmes robotiques militaires futurs non létaux dont l’autonomie pourrait être sans limite.
L’armée de Terre considère donc que le robot/drone est un système qui contribue à accroître sa capacité opérationnelle sur les champs de bataille actuels et futurs mais dont le chef militaire doit maîtriser les effets pour conserver le contrôle et la responsabilité de la mission. Ainsi, si les systèmes robotiques sont porteurs d’innovation et d’opportunités opérationnelles à ne pas manquer, leur usage doit être celui d’un moyen parmi d’autres mis à la disposition du chef militaire pour remplir sa mission et vaincre l’adversaire.
Avant d’évoquer Terminator, commençons par définir les six niveaux d’automatismes d’un robot armé. Les ONG évoquent constamment les « Robots tueurs » ou Terminator sans jamais s’intéresser à la définition de l’autonomie, aux contraintes opérationnelles, aux besoins des armées, aux réalités du champ de bataille.
| Niveau | Description |
|---|---|
| L0 | L'opérateur humain téléopère à distance le système à l’aide d’une interface de pilotage déportée. Les déplacements du système sont strictement téléopérés par l’opérateur humain. Les détecteurs du système renvoient des informations à l’opérateur. La reconnaissance et l’acquisition des cibles sont exclusivement réalisées par l’opérateur humain. |
| L1 | L’opérateur humain est augmenté par un système qui l’assiste en dupliquant automatiquement ses actions. La composante de traction peut suivre et reproduire les déplacements du superviseur humain via ses capteurs. Les capteurs du système détectent les objets que l’opérateur a détectés. L’acquisition des cibles est identique à celle de l’opérateur humain via le système de visée de son arme, connecté à celui du système. |
| L2 | L’opérateur humain supervise le système en lui fournissant un plan de route et des indications de cibles. Le système choisit le meilleur chemin en fonction des indications de localisation fournies par l’opérateur. Les capteurs du système détectent automatiquement les objets et cibles potentielles. Le système suggère des objets comme cibles potentielles à l’opérateur humain qui définit les cibles à prendre en compte. |
| L3 | L’opérateur humain n’intervient que pour donner l’autorisation d’ouvrir le feu sur une cible proposée par le système. Les déplacements sont décidés par le système en fonction de sa perception du terrain et de ses objectifs de mission. Les capteurs détectent et reconnaissent les objets de manière autonome. L’acquisition de cibles s’effectue de manière automatique ou dirigée via les capteurs du système et ses capacités de reconnaissance. |
| L4 | L’opérateur humain peut désactiver et reprendre le contrôle du système pleinement autonome. Les déplacements sont décidés par le système en fonction de sa perception du terrain et de ses objectifs de mission. Les capteurs détectent et reconnaissent les objets de manière autonome. L’acquisition de cibles s’effectue de manière automatique via les capteurs du système et ses capacités de reconnaissance et d’analyse. |
| L5 | L’opérateur humain n’a pas la possibilité de reprendre le contrôle du système pleinement autonome. Les déplacements sont décidés par le système en fonction de sa perception du terrain et de ses objectifs de mission. Les capteurs détectent et reconnaissent les objets de manière autonome. L’acquisition de cibles s’effectue de manière automatique via les capteurs du système et ses capacités de reconnaissance et d’analyse. |
Le dernier niveau (L5) de ce classement correspond à celui d’un robot de type « Terminator » fortement ancré dans l’imaginaire « grand public », mais avec très peu d’intérêt opérationnel pour les forces armées. Les niveaux utiles s’échelonnent de L0 à L4 et ne disposent pas tous du même degré de maturité technologique. Le niveau L0 est celui des drones et robots pleinement téléopérés par un opérateur humain et ne disposant d’aucune fonctionnalité échappant au contrôle humain. Le niveau L1 est celui d’un système armé dupliquant automatiquement les actions et les tirs d’un superviseur (humain ou système). Les systèmes de niveau L1 existent depuis 2018 notamment en Russie avec la Plateforme MARKER. Les robots dotés de fonctionnalités activables en mode « Follow The Leader » sont de niveau L1.
Compte tenu des difficultés techniques et sociétales (réactions des ONG, par exemple) rencontrées pour l’introduction des SALA, il est prudent d’en rester encore pour un temps à des robots télé-opérés ou des SALA utilisés dans des cas où la discrimination militaire-civil ne se pose pas, afin de limiter les « bavures ». L’implication de l’opérateur humain doit donc rester importante lors de la mise en oeuvre des robots, en particulier armés, même si le niveau d’assistance automatique peut être accru afin de faciliter la tâche des opérateurs.
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