C’est l’un des films marquants - et sans doute aussi controversés - du cinéma français des années 70 : Le Vieux fusil fête ce 20 août 2020 son 45ème anniversaire. Sorti sur les écrans français le 27 août 1975, le chef d’œuvre de Robert Enrico (1931-2001), qu’il a coécrit avec Pascal Jardin et Claude Veillot, aura attiré plus de 3,3 millions de spectateurs dans les salles.
Il s’agit de la deuxième (et dernière) collaboration entre le réalisateur Robert Enrico et le scénariste Pascal Jardin, dans la foulée de leur travail sur Le Secret (dont Jardin avait signé les dialogues) et c’est à Jardin qu’on doit l’idée du Vieux fusil. Ou plus précisément au récit effrayant que lui avait confié un ami, de ce jour de la Seconde Guerre mondiale où, enfant, il avait vu un jeune soldat allemand dormir à côté de la femme qu’il avait violée et tuée.
Pascal Jardin, impressionné, décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Quand l’écrivain se met à concevoir son récit, c’est seulement la troisième fois que le cinéma évoque Oradour après 10 juin 1944, le court métrage de Maurice Cohen, récompensé du Prix Jean Vigo en 1962 et Le Sauveur, un long métrage signé Michel Mardore en 1971 avec Horst Buchholz.
Mais Pascal Jardin, Robert Enrico et leur coscénariste Claude Veillot décident de changer le lieu du récit et choisissent de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.
Pour incarner ce médecin, plusieurs noms circulent. Celui d’Yves Montand tout d’abord qui vient de terminer Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau. Après son refus, Lino Ventura sera immédiatement pressenti. Robert Enrico le connaît bien. Il l’a déjà dirigé à trois reprises dans Les Grandes Gueules, Les Aventuriers et Boulevard du Rhum. Mais lui aussi décline, sans que l’on sache exactement pourquoi car, à ce sujet, les explications divergent.
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Pour Enrico, son refus provient de sa répugnance à jouer les scènes de coup de foudre. Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve, sa partenaire dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau et Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri.
Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée. Le premier rendez-vous de travail à trois est pour le moins tendu. Romy Schneider arrive deux heures en retard. Excédé, Philippe Noiret lui jette alors un : « Ah l'Autrichienne ! On commençait à se languir de vous. Pardonnez-moi mais je dois partir » avant de lever le camp devant le réalisateur blême qui réussit pourtant à rattraper tant bien que mal son acteur quand Romy Schneider lui explique qu’elle ne peut pas jouer avec un tel goujat.
Mais dans cette scène - comme tout ce qu’elle fera au long de ce tournage qui se déroule entre Paris, Biarritz (la scène de la plage), Montauban -, Romy Schneider impressionne toute l’équipe par son implication totale. Plus tard, au moment où les Allemands poursuivent son personnage, la violent avant de l’achever au lance-flammes, ses cris furent même si déchirants qu’Enrico choisit de les enlever au montage final par peur que ce passage déjà difficilement regardable devienne proprement insoutenable.
Si Le Vieux fusil reste fidèle aux thématiques du cinéma de Robert Enrico (qui va des Grandes gueules aux Aventuriers en passant par Pile ou face ou Fait d’hiver) c’est qu’il raconte l’histoire d’un type ordinaire, en apparence parfaitement équilibré, qui bascule malgré lui dans la violence et la folie.
Pourtant, Le Vieux fusil s’inscrit dans un double contexte particulier. Les années 70 sont celles où le pays commence à regarder en face son comportement pendant la Seconde Guerre mondiale et à pointer du doigt le fait que les Français ne furent pas tous des héros ou des résistants mais aussi des collabos. Le Vieux fusil sort un an après Lacombe Lucien de Louis Malle qui avait fait polémique.
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Mais le film d’Enrico est aussi l’une des rares incursions françaises dans un genre qui fait alors florès aux Etats-Unis : les films de justice expéditive, popularisés par Charles Bronson (Un justicier dans la ville en 1974) et Clint Eastwood avec la saga des Inspecteur Harry.
Forcément, cette violence dérange. Une partie de la critique parle d’indécence, choquée par l’aspect insoutenable de cette chasse à l’homme que le cinéaste assume pleinement et que le public (et les professionnels) salueront de concert. En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs.
C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France derrière La Tour infernale, Peur sur la ville, On a retrouvé la 7ème compagnie et Histoire d’O mais loin devant Le Sauvage, Dupont Lajoie et Sept morts sur ordonnance. Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique (à titre posthume pour François de Roubaix, disparu peu avant). Le temps confirmera cet engouement. En 1985, Le Vieux fusil sera élu comme César… des César par la même profession.
Dix ans plus tard, Le Vieux fusil est à nouveau récompensé par le César des Césars, récompense cinématographique d’honneur décernée par l’Académie des arts et techniques du cinéma de façon exceptionnelle.
Montauban, 1944. Le chirurgien Julien Dandieu y mène une vie paisible avec sa femme, Clara, et leur fille Florence. Il ne fait pas de politique et soigne des blessés sans se soucier de leur origine. Mais lorsque ses malades sont communistes ou saboteurs cela peut être lourd de conséquences, et les menaces sont nombreuses...
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Julien décide alors d'écouter les conseils de son ami François et emmène sa femme Clara et sa fille Florence, 13 ans, à la Barberie, lieu retiré et encore calme semble-t-il où elles pourront attendre la fin, que l'on espère proche, de la guerre. Cinq jours après leur départ, Julien, fou d'inquiétude, prend sa voiture, traverse la ville, passe le pont que la Wehrmacht se prépare à détruire, un poste de contrôle, les barbelés... et arrive en vue de la Barberie.
Là, pressentant une catastrophe, il se cache et aperçoit des tueurs SS... Il comprend alors qu'il ne reverra plus celles qu'il aime, et les souvenirs d'un passé heureux se précipitent dans son esprit Julien, armé d'une barre à mine et d'un vieux fusil de chasse va exterminer les bourreaux, un à un... méthodiquement.
Le Vieux fusil n’est pas un film de guerre ou une vendetta. C’est une histoire d’amour brisée en pleine course. L’histoire est connue de tous et pourtant l’œuvre de Robert Enrico n’a rien perdu de sa force grâce entre autres à la mise en scène sans cesse inspirée du réalisateur. Le spectateur reste encore abasourdi par la violence implacable du film, notamment lors de la séquence clé où les allemands, lors d’une expédition punitive, assassinent par balle la fille du personnage principal et sa femme au lance-flammes, incarnée par la magnifique Romy Schneider, qui n’a peut-être jamais été aussi belle que dans Le Vieux fusil.
Les effets visuels demeurent très impressionnants, la musique expérimentale, inoubliable et angoissante de François de Roubaix participe à cette éprouvante reconstitution inspirée par le massacre d’Oradour-sur-Glane survenu en juin 1944.
Philippe Noiret, exceptionnel, incarne un chirurgien dont le cœur penche pour la Résistance - il soigne des maquisards dans son hôpital malgré les menaces de la Milice - mais qui préfère ne pas faire de politique. Après le terrible massacre dont ont été victimes sa femme et sa fille, il s’empare de la vieille arme de chasse de son père pour se venger froidement et méthodiquement, à travers les dédales de son château. Malgré la violence absolue du film qui prend aux tripes et le drame de cet humaniste qui va se transformer en vengeur impitoyable, c’est surtout l’histoire d’amour passionnelle, émouvante, construite sous forme de flashbacks, qui reste avant tout dans les mémoires.
La séquence de la rencontre entre Julien et Clara reste l’une des plus belles du cinéma français et de la carrière des deux immenses comédiens. Le regard de Philippe Noiret laisse pantois d’admiration.
Le Vieux fusil est probablement l’un des films français à avoir connu le plus d’existences différentes sur support physique. En 1999, l’œuvre de Robert Enrico apparaît tout d’abord en DVD chez Opening, avant de passer dans l’escarcelle de DVDY Films en 2001, puis en Édition simple et limitée chez MGM en 2010 qui proposait une version remasterisée pour le 35ème anniversaire du film.
C’est en 2013 que Le Vieux fusil débarque chez LCJ Editions & Productions, en DVD et pour la première fois en Haute-Définition. Quatre ans plus tard, l’éditeur proposait un Coffret prestige collector numéroté limité à 1000 exemplaires 4K Ultra HD + Blu-ray + DVD + Livret + une plaque plexiglass collector numérotée contenant un morceau de pellicule originale 35mm. En 2018, les éditions DVD, Blu-ray et 4K UHD étaient disponibles à l’unité.
LCJ Editions & Productions dévoile ici la restauration 4K du Vieux fusil, réalisée par les laboratoires Eclair. Un master Full HD (HEVC - HDR10). La copie affiche une propreté digne de ce nom, impressionnante, indéniable, une clarté des séquences diurnes fort plaisante, un piqué mordant à plusieurs reprises et un grain cinéma respecté sans aucun lissage excessif.
Dans un premier temps, LCJ Editions reprend quatre petits reportages provenant de l’INA, que l’on retrouvait sur leur ancienne édition, Bruniquel, tournage du film - extrait du JT de Toulouse (20 mars 1975, 4’), Sortie du film (17 septembre 1975, 4’), La Nuit des Césars (4’), Interview de Pascal Jardin (1er février 1976, L’Invité du jeudi, 3’). Ces archives dévoilent quelques images de tournage, proposent quelques interviews de Robert Enrico, Romy Schneider et Philippe Noiret sur le plateau.
L’extrait issu de la première cérémonie des Césars (3 avril 1976) montre Jean Gabin, alors Président de la cérémonie, en compagnie de Michelle Morgan, remettre le César du Meilleur film à Robert Enrico. Le scénariste Pascal Jardin revient sur la « chronologie des émotions » dans un court entretien datant de février 1979.
Pour cette nouvelle édition, LCJ a pu dégoter trois autres archives, à savoir deux interviews de Philippe Noiret, réalisées en janvier 1988 et en octobre 2002, durant lesquelles le comédien déclare dans un premier temps qu’il aime beaucoup le film, avant de dire quinze ans plus tard qu’on lui en parle sans arrêt et que cela a entraîné une légère lassitude…dans les deux entretiens, Philippe Noiret s’exprime aussi sur sa partenaire Romy Schneider, « une femme dont on ne pouvait que tomber amoureux », en racontant notamment le trac qui a envahi l’actrice le premier jour de tournage, au point de rester cloîtrée dans sa loge pendant près de quatre heures.
L’autre nouveau supplément est un extrait de la Cérémonie des César datant du 2 mars 1985, où Le Vieux fusil se voit décerner le César des Césars. Un instant très émouvant où Philippe Noiret ne peut retenir ses larmes quand on évoque le décès de Romy Schneider, Pascal Jardin et François de Roubaix.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce, une galerie de photos et des filmographies du réalisateur et du couple vedette.
Cérémonie | Récompense | Lauréat |
---|---|---|
César 1976 | Meilleur film | Le Vieux Fusil |
César 1976 | Meilleur acteur | Philippe Noiret |
César 1976 | Meilleure musique | François de Roubaix (à titre posthume) |
César 1985 | César des Césars | Le Vieux Fusil |
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