Jamais depuis 1960, depuis que le FBI tient ce genre de statistiques, les États-Unis n’avaient connu ça : une hausse de près de 30 % du nombre d’homicides en un an. Plus de 21500 Américains ont été tués l’année dernière, soit près de 5000 de plus qu’en 2019.
Dans un pays qui compte plus d’armes à feu que d’habitants, les écoliers apprennent à s’accroupir pour éviter les balles, des héros se jettent sur des assaillants et les élus offrent leurs « pensées et prières ». Le constat chiffré est implacable : aux Etats-Unis, les fusillades de masse sont en augmentation constante depuis plus de 20 ans, dans un contexte plus récent de hausse généralisée des homicides. Les tueries se produisent dans les écoles, les églises, les supermarchés ou au travail. Et rien ne semble pouvoir les endiguer.
Trois fusillades et 21 morts en quatre jours. Les attaques dans un dancing de Los Angeles pour le nouvel an lunaire, dans une exploitation agricole au sud de San Francisco, et dans une station-service dans l’Etat de Washington ont fait les gros titres des journaux. Mais leur fréquence n’a rien d’exceptionnel : cela fait trois années consécutives, depuis 2020, que les Etats-Unis dépassent les 600 fusillades de masse par an, selon les statistiques compilées par le site Gun Violence Archive, qui les définit comme des attaques par arme à feu faisant au moins 4 morts ou blessés, sans compter le tireur.
Le FBI, lui, comptabilise des événements plus rares excluant l’essentiel de la violence des gangs et du trafic de drogue : les incidents avec un tireur « actif », qui nécessitent une réponse en temps réel des forces de l’ordre pour stopper la menace. Un mal américain en progression constante depuis les années 1980, et qui s’accélère. Le nombre d’incidents a été multiplié par cinq depuis le début des années 2000 : d’une douzaine par an en moyenne (2000-2008) à 60 en 2021. Ces tireurs sont presque exclusivement des hommes, le plus souvent jeunes (33 ans en moyenne). Et si près de sept sur dix sont blancs, cela reflète la démographie globale de la population américaine.
Pendant longtemps, cette poussée de fièvre des fusillades de masse constituait un paradoxe : depuis les plus hauts des années 1990, le taux de meurtres a baissé de manière constante pendant 25 ans. Mais il a augmenté de plus de 50 % depuis 2014, avec un bond en 2020. A 6,9 meurtres pour 100.000 habitants, les Etats-Unis sont revenus aux niveaux de 1997, avec un taux cinq fois plus élevé qu’en France. Au total, il y a eu près de 23.000 meurtres aux Etats-Unis en 2021, à 80 % par arme à feu.
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Cette année 2023 s’est achevée avec 656 fusillades aux États-Unis, dont 40 tueries de masse, pour un total de plus de 48.000 morts selon les dernières données des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains. Juste derrière 2021 et ses 689 tueries, l’année 2023 aura été particulièrement meurtrière.
Prévalence des armes, santé mentale mal prise en charge, inégalités économiques qui se creusent, pandémie du Covid-19… De nombreux facteurs sont listés par les experts pour expliquer une hausse des fusillades encore mal comprise. Mais pour Jillian Peterson et James Densley, chercheurs et cofondateurs du Violence Project, « ces tueries ne sont pas des actes aléatoires de violence mais plutôt les symptômes d’un problème sociétal plus profond : la hausse continue des ''morts du désespoir'' ». Un terme qui inclut notamment les suicides et les overdoses de la crise des opiacés, qui touche particulièrement les hommes blancs. Et a contribué, avec les morts du Covid-19, à faire baisser l’espérance de vie des Américains de 2,7 ans entre 2019 et 2021.
Jillian Peterson, psychologue et professeure de criminologie, et James Densley, qui enseigne le droit pénal, ont examiné 50 ans de données sur les fusillades, et livrent leurs résultats dans le New York Times :« Presque tous les tueurs sont des hommes, souvent isolés socialement de leurs familles ou de leurs communautés, qui se sentent marginalisés. Une fusillade de masse est un moyen de forcer les autres à être témoin de leur douleur en essayant de mettre fin à leurs jours d’une façon qu’ils contrôlent ».
Que les assaillants soient abattus par la police, retournent leur arme contre eux ou passent la fin de leurs jours en prison, il s’agit, selon eux, « d’une forme de suicide ». S’ils militent en faveur d’une réforme globale de l’accès aux armes à feu, ces experts estiment que les élus « doivent trouver des moyens de réduire l’isolation sociale et d’améliorer la prise en charge de la santé mentale ».
La Californie, l’un des États ayant déjà la juridiction la plus stricte concernant l’utilisation des armes à feu, a décidé de durcir à nouveau les conditions du port d’armes. Dans l’Illinois, la fusillade de masse d’Highland Park qui avait fait sept morts et 46 blessés en 2022, a poussé son gouverneur Jay Robert Pritzker à appliquer des restrictions sur la vente d’armes à feu. Les semi-automatiques, y compris les fusils AK-47 et AR-15, et les chargeurs de plus de 10 balles pour les fusils et de plus de 15 balles pour les armes de poing sont désormais interdits. L’État du Colorado a de son côté légiféré en matière de production d’armes artisanales, les «armes fantômes» fabriquées à l’aide de kits dénués de numéro de série.
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En 2022, malgré une fusillade qui avait fait 21 morts dans une école primaire du Texas, la Cour suprême a consacré le droit au port d’armes hors du domicile pour les citoyens américains. Dans un pays où le lobby des armes est aussi puissant, les tueries de masse ne semblent pas faire changer l’orientation législative à l’échelle du pays.
Chaque mois, les États-Unis sont endeuillés par de nouvelles fusillades. Ce terme de « fusillades de masse » (mass shootings en anglais) désigne des tueries faisant au moins quatre victimes, mortes ou blessées. D’après un rapport publié en septembre 2022 par Gun Violence Archive, les victimes ont atteint un total de 1 420 depuis le 1er janvier 2022, dont 293 morts et 1 127 blessés.
Mais ces mass shootings ne sont que la partie visible du chaos engendré par les armes à feu. En effet, bien que les fusillades de masse dans les écoles/supermarchés/églises attirent davantage l’attention des médias, les dégâts causés par les armes à feu sont bien plus nombreux au sein des foyers et des maisons. Les armes à feu sont donc un véritable fléau aux États-Unis (qui connaît un taux d’homicide par armes à feu en moyenne 25 fois plus élevé que celui d’un autre pays développé). Il est aujourd’hui nécessaire de faire face à cette violence. Au cours des 145 premiers jours de 2022, les États-Unis ont connu 213 fusillades de masse. Le fait d’avoir accès aux armes à feu aux États-Unis triple le risque de suicide.
Les États-Unis assistent tout de même à une vague de criminalité particulièrement importante depuis plusieurs années. Plusieurs facteurs sont identifiés :
La Covid a favorisé l’isolement et la prise de position sur de nombreuses questions et a ainsi divisé les concitoyens. Or, lorsque l’empathie pour les autres citoyens décline, la criminalité augmente. Mais il y a aussi eu une certaine rupture entre les citoyens et le gouvernement. En effet, d’après Gallup, 80 % des citoyens ne sont pas satisfaits par la direction du pays pendant la pandémie. Certains affirment même que cette relation singulière que les États-Unis tiennent vis-à-vis des armes à feu relève d’une forme sombre de l’exceptionnalisme américain.
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La première est d’appliquer des « buyback programs ». C’est-à-dire des programmes destinés à racheter les armes qui sont actuellement en circulation aux États-Unis. Cela permettrait de diminuer le nombre d’armes à feu disponibles et ainsi de faciliter leur contrôle. La seconde est de vérifier plus efficacement les antécédents (Effective background checks) pour résoudre l’une des grandes failles du système américain, souvent appelée « three-day loophole ».
Le gouvernement américain a donc décidé de sévir contre les fusils artisanaux achetés et vendus sans registre. On estime que le nombre de ce que l’on appelle les « ghost guns » a été multiplié par dix en cinq ans (entre 2016 et 2021). Alors même que ce type d’armes à feu a été utilisé lors de plusieurs tueries de masse.
Ces mesures visent à renforcer la sécurité des écoles, à assurer un meilleur contrôle de la vente illégale d’armes, à limiter l’accès des personnes dangereuses aux armes à feu et enfin à financer des programmes de soutien psychologique.
Année | Nombre de Fusillades de Masse | Nombre Total de Morts |
---|---|---|
2021 | 689 | >48,000 |
2023 | 656 | >48,000 |
Depuis le 1er janvier 2022 (jusqu'en septembre) | N/A | 293 |
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