Peintre, sculptrice, performeuse, Niki de Saint Phalle a marqué l’histoire de l’art avec son imaginaire et ses créations percutantes, colorées et politiques. Figure incontournable du XXe siècle, elle a bousculé les codes avec ses créations monumentales et ses engagements sans compromis. À la fois plasticienne, peintre, sculptrice, réalisatrice et pionnière en matière de performance artistique, Niki de Saint Phalle fait partie des premières artistes femmes à acquérir la célébrité de son vivant, au début des années 1960.
Femme et artiste révoltée, Niki de Saint Phalle a fait de son art le lieu de nombreux combats. L’émancipation des femmes en particulier est au cœur de son travail. À partir du milieu des années 1960, elle peuple le monde de Nanas, ces figures féminines colorées aux courbes généreuses. À une époque où les femmes sont encore largement limitées dans leurs aspirations, les Nanas, optimistes, actives, représentent un imaginaire libérateur. Le dictionnaire Robert définit le féminisme, terme apparu en 1837, comme la « doctrine qui préconise l’extension des droits, du rôle de la femme ». Féministe donc, Niki de Saint Phalle ? Sans aucun doute possible.
« Je compris très tôt que les hommes avaient le pouvoir et ce pouvoir, je le voulais. Oui, je leur volerais le feu. Je n’accepterais pas les limites que ma mère tentait d’imposer à ma vie parce que j’étais une femme. » Celle qui s’exprime en ces termes n’est ni Simone de Beauvoir ni Marie Curie. Elle n’est pas non plus une pasionaria affichée du Mouvement de libération des femmes, qui se développe en France et aux États-Unis dans les années 1970. Mais bien un des plus grands sculpteurs du XXe siècle, Niki de Saint Phalle (1930-2002), femme ET artiste.
Mais peut-on naître féministe ? Sur ce point, Niki de Saint Phalle faisait mine de s’interroger, ingénue et véhémente : « Quand devient-on rebelle ? Dans le ventre de sa mère ? À cinq ans, à dix ans ? », écrit-elle dans une des merveilleuses lettres fictives publiées dans le catalogue de son exposition de Bonn, en 1992. Plus loin : « Enfant, je ne pouvais pas m’identifier à ma mère, à ma grand-mère, à mes tantes ou aux amies de ma mère. Un petit groupe plutôt malheureux. Je ne voulais pas devenir, comme elles, les gardiennes du foyer. »
Ce qui ne se discute pas ? La religion - catholique -, la supériorité des Blancs, la hiérarchie sociale. Mais Niki, qui « ne se sent ni française, ni américaine », « exposée à des influences culturelles diverses », « choisit ce qu’elle veut croire » et s’avoue « confrontée à l’énorme problème de se réinventer et de se recréer ».
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À réécouter 5 minLa trace la plus vive laissée par Niki de Saint Phalle dans la mémoire collective réside toutefois dans ses Nanas, statues de femmes monumentales et bariolées qui figurent encore dans les rues de nombreuses villes du monde entier. À l'opposée de ses Tirs aux figures dégradées, ses Nanas consistent en des silhouettes aux couleurs chatoyantes et strictement dessinées, figées dans des poses enjouées, harmonieuses et souvent loufoques. Inspirées par des proches en qui Niki de Saint Phalle accorde sa confiance et son amitié, ainsi que par des divinités antiques ou des sculptures de Vénus préhistoriques, les Nanas composent le volet le plus radieux et apaisé de son œuvre autobiographique.
Les Nanas sont certainement les œuvres les plus connues de Niki de Saint Phalle. Elles sont constituées d'armatures de fer, de résine peinte en couleurs vives et brillantes. Leur tête est petite et sans visage. Elles représentent des femmes aux formes généreuses et colorées que l’on peut voir parfois dans l’espace public, des Vénus des temps modernes, qui bousculent les canons de la beauté féminine. Elles sont géantes, noires, jaunes ou blanches, parfois enceintes, debout, dansantes ou allongées, elles sont fortes et puissantes ; pour Niki, elles sont libres et heureuses, des femmes modernes qui incarnent la féminité et célèbrent la différence.
Elles portent avant tout un message féministe, mais véhiculent aussi, lorsqu’elles sont noires, un message contre la ségrégation raciale, et marquent alors l'engagement fort de Niki aux côtés des Afro-américaines dans leur lutte pour les droits civiques. L'une des plus grandes est Hon, présentée à Stockholm en 1966 : elle se visite en y entrant par son sexe, la structure a été montée par Jean Tinguely. On parle du « corps de la femme érigée en cathédrale ».
En véritable féministe révoltée contre la prédominance masculine et le rôle de gardiennes du foyer qu'on attribue aux femmes, Niki de Saint Phalle crée des modèles qui respirent la joie de vivre et la liberté. Rapidement, apparaissent les Nanas noires, qui doublent le thème féministe d’un message contre la ségrégation raciale. Aux Nanas monumentales succèdent des adaptations aux dimensions plus réduites, ouvertement ludiques.
Débordantes de joie de vivre, ces Nanas aussi fécondes que les déesses-mères des temps archaïques sont, dit Niki, « plus grandes que les hommes pour pouvoir leur tenir tête ». Elles se répandent sur la planète, irrésistibles, volant au secours de leurs sœurs humaines et semant le scandale dans les espaces publics, invariablement ornées de décors circulaires aux couleurs éclatantes qui soulignent leurs formes généreuses.
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L’œuvre de Niki de Saint Phalle est par essence une œuvre de tolérance. Ayant grandi en partie aux États-Unis alors que la ségrégation raciale était encore en cours, l’artiste est très tôt sensible à la cause des Afro-Américains. Niki de Saint Phalle est la créatrice d’un art largement ouvert au public. Cette vision aboutit à son grand projet de vie : le Jardin des Tarots, en Toscane. Inauguré en 1998, ce parc onirique peuplé de figures féminines géantes et de créatures fabuleuses mêle architecture, sculpture, mosaïque et spiritualité.
Le Jardin des Tarots est pour Niki de Saint Phalle la réalisation d'un rêve, d'une œuvre monumentale qui marque l'achèvement de sa carrière. Elle commence à y travailler dès 1979 et le jardin sera ouvert au public en 1998. Il lui aura fallu vingt ans, aidée de son deuxième mari Jean Tinguely et de nombreux ouvriers et amis, pour accomplir cet exploit, l’œuvre de sa vie. Dessins, sérigraphies, lithographies, sculptures, etc. participent au travail préparatoire. C'est lors de son voyage en Espagne, au milieu des années cinquante, qu'elle découvre le parc Güell d'Antonio Gaudi, qui sera sa première source d'inspiration pour son parc de sculptures toscan. La visite du Palais idéal du Facteur Cheval aura aussi une grande influence sur la création de son Jardin des Tarots.
Il s'agit d'un parc de sculptures monumentales, basées sur les arcanes majeurs du jeu de Tarot : La Papesse, qui représente la force et la créativité féminines, et Le Magicien sont les deux premières sculptures réalisées ; on trouve également La Force, Le Soleil, La Mort, Le Diable, Le Monde, Le Fou, Le Pendu, La Justice, L'Injustice, Les Amants, L’Ermite, La Tour, L’Empereur, La Luxure, L’Impératrice, Le Chariot, L’Étoile, Le Jugement, La Lune et La Tempérance.
La plupart de ces sculptures monumentales sont habitables : Niki s'installe donc très vite dans L'Impératrice, sphinx de plus de quinze mètres recouvert de mosaïque de miroirs. Elle lui sert de maison et d'atelier durant toute la durée des travaux, travaillant ainsi sans relâche à la réalisation de son chef d’œuvre. Les sculptures sont construites grâce à des armatures métalliques, recouvertes de béton, puis colorées grâce à des mosaïques, des céramiques ou encore des éclats de miroir, reflétant le soleil.
Au Grand Palais, se raconte l’histoire d’un trio pas comme les autres : Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely et Pontus Hulten. Entre amitié fidèle, projets spectaculaires et goût pour la liberté, ils ont bousculé ensemble l’art du XXe siècle. Elle est représentée sur l’affiche de l’exposition et elle fait partie des réalisations monumentales de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely : "Hon". Une Nana géante, joyeuse et déroutante de 28 mètres de long !
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Couple fusionnel dans la vie comme dans la création, Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely ont fait de leur lien amoureux un moteur artistique. En jouant sur la frontière entre performance et peinture, et en mobilisant dans ses travaux les objets manufacturés de la société de consommation en plein essor, elle rejoint par plusieurs aspects les préoccupations esthétiques du Nouveau Réalisme, mouvement né sous la désignation de Pierre Restany auquel participent Yves Klein, Arman, César ou Yves Tinguely.
La Fontaine Stravinsky est située en plein cœur de Paris, à deux pas du Centre Pompidou et au pied de l’Ircam (institut de recherche et de coordination acoustique-musique). Fruit du travail commun du couple que forment Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, cette fontaine est évidemment un hommage à Igor Stravinsky, grand compositeur du XXe siècle, mais également à la musique moderne et contemporaine. Niki crée des œuvres pour l’espace public dès les années 60, phénomène encore très rare pour les femmes artistes de cette époque.
La fontaine est composée de seize sculptures qui jouent avec l’eau : sept de Niki de Saint Phalle, six de Jean Tinguely, et trois réalisées ensemble. Niki réalise comme à son habitude des sculptures en résine colorée qui contrastent avec les assemblages métalliques peints en noir de Jean Tinguely. C’est par ailleurs lui qui se charge de la motorisations de l’ensemble des sculptures, afin qu’elles soient en mouvement permanent : elles forment ainsi un ballet d’eau (en référence aux nombreux ballets de Stravinsky) et chacune émet un son distinctif.
Jeune femme issue d'un milieu très privilégié de Neuilly-sur-Seine, Niki de Saint Phalle deviendra artiste en autodidacte, au terme d'une première vie. En effet, alors qu'elle avait été mannequin, qu'elle s'était mariée au le poète américain Harry Mathews avec qui elle avait eu des enfants, elle est atteinte par une profonde dépression, et c'est au cours de son processus de guérison qu'elle commence à peindre. À la suite de cet événement déclencheur, son œuvre dépassera rapidement la seule portée thérapeutique, mais elle restera toute sa vie emplie de références autobiographiques douloureuse, voire traumatiques, ainsi que du souci de traduire sentiments et fantasmagories en des formes concrètes, où la joie fraye toujours avec l'angoisse, le jeu avec le monstre et les couleurs vives avec la profonde noirceur.
Dans sa série Tirs, l'artiste ou des personnes qui y sont invitées percent à la carabine des doses de peinture qui se répandent sur des compositions d'objets sciemment assemblés par elle-même et préalablement peints en blanc. En proposant par ce geste de "faire saigner la peinture", Niki de Saint Phalle ne propose pas seulement d'exprimer un rapport intime à la violence ou de proposer un commentaire des violences de son temps : en jouant sur la frontière entre performance et peinture, et en mobilisant dans ses travaux les objets manufacturés de la société de consommation en plein essor, elle rejoint par plusieurs aspects les préoccupations esthétiques du Nouveau Réalisme, mouvement né sous la désignation de Pierre Restany auquel participent Yves Klein, Arman, César ou Yves Tinguely.
Entre 1961 et 1963, Niki de Saint Phalle réalise une série de tableaux intitulés Tirs, que l'on peut qualifier de performances. Sur une planche de bois, elle accroche toutes sortes d'objets, des poches d'encre ou de peinture, des capsules de shampoing, parfois même des œufs ou des tomates. Le tableau ainsi constitué est recouvert de plâtre : l'artiste tire à la carabine sur les poches de couleur, qui coulent sur le plâtre et créent une œuvre originale, un "tableau surprise".
Ce processus de création, qui laisse une grande place au hasard en laissant couler la peinture, n'est pas sans rappeler la technique du dripping de Jackson Pollock, artiste qui compte parmi les influences de Niki de Saint Phalle. Ces tirs sont d'abord réalisés avec ses amis, puis en public et les spectateurs eux-mêmes sont invités à participer et à faire "saigner la peinture". Elle convie notamment le critique Pierre Restany à assister à une de ses séances de tir à la carabine sur tableaux.
Celui-ci l’intègre alors au mouvement des Nouveaux Réalistes, dont il a rédigé la déclaration. C'est grâce à lui que Niki de Saint Phalle réalise sa première exposition personnelle à Paris « Feu à Volonté ». À l'origine des Tirs, on trouve Portrait of my Lover, un premier tableau-assemblage composé d'une chemise et une cravate volées à son amant, et d'une cible figurant sa tête, sur laquelle les spectateurs étaient invités à jeter des fléchettes.
Ces premières œuvres sont non seulement féministes et engagées (en tirant sur ces tableaux, elle tire sur les injustices sociales que subissent les femmes à l'époque), mais également autobiographiques et salvatrices (Son père l'a violée alors qu'elle avait onze ans ; par le tir, elle cherche à se réparer de la violence subie).
La première Mariée de Niki de Saint Phalle est réalisée en 1963 : il s'agit d'une "sculpture-assemblage". Elle mesure plus de deux mètres et est structurée autour d'un grillage, sur lequel sont assemblés divers éléments recouverts de plâtre et de peinture blanche : de la dentelle, symbole de la robe de mariée ; poupées démembrées, référence à la maternité ; nombreux jouets en plastique, référence à l'enfance ; des éléments plus effrayants comme le serpent, qui représente la violence du viol qu'a subi Niki de Saint Phalle dans son enfance.
Comme la plupart des mariées, elle tient un bouquet de fleurs, mais chose plus étonnante, il s'agit de chrysanthèmes, fleurs du deuil. La mariée est penchée vers l'avant, comme si elle portait tout le poids du monde sur ses épaules. Sa tête, minuscule, est un peu effrayante, voire effrayée : elle ne semble pas ressentir le bonheur que le visage d'une mariée devrait refléter. Tristesse, souffrance et désespoir semblent habiter cette mariée.
À travers cette mariée et celles qui suivront, l'artiste dénonce le patriarcat et la condition féminine de l'époque qu'elle juge inacceptable. Elle critique les règles imposées par la société et les traditions : le mariage en blanc, l'obligation de devenir mère. La main de la mariée sur son ventre annonce ce destin forcé tout tracé.
L’œuvre de Niki de Saint Phalle est par essence une œuvre de tolérance. Ayant grandi en partie aux États-Unis alors que la ségrégation raciale était encore en cours, l’artiste est très tôt sensible à la cause des Afro-Américains. Niki de Saint Phalle est une artiste engagée, toutes ses œuvres en témoignent. Elle lutte contre les injustices sociales, contre le patriarcat et la condition féminine des années 60, pour l'égalité des sexes, pour la prévention du sida, pour l'écologie et contre la ségrégation raciale.
Sa Nana noire, Black Rosy ou My Heart Belongs to Rosy est un hommage à Rosa Parks, militante des droits civiques. À l'image du Black Power, elle imaginera le Nana Power. Presque trente ans après ces premières nanas noires, Niki de Saint Phalle crée la série des Black Heroes : Michael Jordan, M...
Niki de Saint Phalle est une artiste engagée ! Et c'est l'une des premières à s'engager pour la lutte contre le sida. En effet, au cours des années 80, nombre de ses amis sont touchés par la maladie. Elle réalise notamment deux ouvrages très pédagogiques, pour la jeunesse, qui expliquent ce qu'est le sida : Le sida c'est facile à éviter en 1987 et Sida : tu ne l'attraperas pas en 1990. Il est réalisé en collaboration avec un immunologiste suisse, spécialiste de la maladie, Silvio Barandun.
Ce livre rédigé et illustré avec humour et tout en couleurs, comme à son habitude, prend la forme d'une lettre écrite à son fils Philip Mathews et vise à lutter contre la désinformation dont fait l'objet cette maladie au milieu des années 80. L'ouvrage, dont les dessins sont jugés scandaleux, est assez mal accueilli, alors que de nombreux médecins en recommandent la lecture. Des exemplaires en seront distribués gratuitement dans les écoles américaines et les profits des ventes seront reversés à l'association française AIDES.
Installé sur la terrasse du Musée des Beaux-arts d'Angers, L'Arbre Serpents réalisé en résine de polyester, représente un arbre dont les branches sont douze énormes serpents. Cette sculpture monumentale et polychrome nous rappelle les Nanas de Niki de Saint Phalle. On retrouve un motif récurrent de son bestiaire, le serpent : serpent de la fontaine Stravinsky, serpent du jardin des tarots, autre arbre-serpents de 1987, page de garde de son livre Mon Secret, etc.
Dans ces œuvres, le serpent évoque le viol qu'elle a subi alors qu'elle n'avait que onze ans et qu'elle révèle dans Mon secret en 1994. Après cette épreuve, elle développe une phobie envers les serpents : les représenter au cœur de ses œuvres est un moyen pour elle de surmonter ses traumatismes d'enfance.
De forme phallique, symbole du mal dans la Bible, le serpent peut aussi être perçu dans certaines civilisations comme un symbole de puissance, de sagesse ou encore de fertilité. En jouant avec cette dualité, en donnant à cet Arbre Serpent une apparence joyeuse, il devient un arbre de vie qui mène à la résilience. « Pour moi, ils représentaient la vie même, une force primitive indomptable. En fabriquant moi-même des serpents, j'ai pu transformer en joie la peur qu'ils m'inspiraient » Niki de Saint Phalle
Les créations de Niki de Saint Phalle oscillent entre une dimension allègre, ludique, bariolée, et une inquiétude sourde qui irrigue tout son travail. Par cette tension, l'artiste a inventé une œuvre précisément autobiographique et hautement générale à la fois, engagée et résolument antipatriarcale.
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