Rien ne prédestinait ce modeste fils d’ouvrier à devenir ce tueur extraordinaire, « le plus abouti » selon les mots de l’expert psychiatre Daniel Zagury.
Son histoire ordinaire débute un 4 avril 1942, dans la ville occupée et en grande partie détruite de Sedan, dans les Ardennes. La plupart des habitants ont fui avec l’exode de 1940. Michel Fourniret est le petit dernier d’une fratrie de trois enfants d’une famille très modeste. Il naît rachitique et conservera une petite taille, 1,68 m, qui le complexera.
Son père, métallurgiste ajusteur, est un laborieux raviné par les excès de boisson depuis son retour du STO (service travail obligatoire) en Allemagne. Il casse parfois des manches à balai contre les murs. Sa mère, fille de paysan, orpheline à la naissance, a été élevée cachée par une tante et sans cesse traitée de « bâtarde ». Pendant l’Occupation, son emploi de femme de ménage à la Kommandantur avait suscité des rumeurs d’adultère. Elle a ensuite trimé à la filature locale. À la fin de la guerre, les parents ne s’entendent plus.
Les scènes de ménage sur fond d’alcool provoquent l’explosion du couple. Le divorce est prononcé en 1954, le jour du douzième anniversaire de Michel Fourniret. Élevé par sa mère dans une stricte éducation religieuse, il la vénère comme Notre-Dame. Il porte également aux nues sa sœur Huguette, qui a trois ans de plus que lui, et forme avec elle, selon André, l’aîné, « un couple de faux jumeaux ».
L’été de ses 13 ans, en colonie où il passe ses vacances avec les fils d’ouvriers des aciéries lorraines, Michel rencontre un moniteur qu’il admire, un séminariste érudit, et lui confie son désir de devenir curé.
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Au collège de Sedan, ça ne va pas fort en sixième et cinquième pour le « petit Fourniret », ainsi raillé par ses camarades à cause de son allure chétive. Il se tient toujours un peu à l’écart des autres mais il se ressaisit en filière technique, classe de quatrième mathématiques. Il décroche même le certificat d’études primaires avec mention, et passe au lycée technique Bazin de Charleville-Mézières.
Interne et boursier, il excelle en travaux pratiques à l’atelier et dans les matières classiques. Il n’est pas peu fier de son statut de chef de table au réfectoire, mais ne se vante pas de son côté chapardeur. En effet, certains élèves le décrivent comme un fourbe qui leur pique en douce des stylos, des livres et des sous.
Ces vols à répétition conduisent le surveillant à fouiller le dortoir et à mettre la main, au fond de l’armoire de Fourniret, sur un sac de sport rempli de beaux livres et de quelques billets. Un week-end sur deux, le lycéen rentre chez sa mère où il retrouve sa collection de photos d’avions collées dans des cahiers.
Mais ses études prometteuses sont stoppées net par les difficultés financières de sa mère. À 17 ans, le voilà qui entre en apprentissage et décroche son CAP de fraiseur et d’ajusteur sur matrice. Il se fait embaucher à Vrigne-aux-Bois, dans une usine ardennaise spécialisée dans les presses hydrauliques. Il devient tourneur-fraiseur. Mais il veut gagner plus et vise la région parisienne.
Il répond à une petite annonce pour un emploi à Sartrouville (Yvelines), et intègre à 19 ans la fabrique de pièces de véhicules Catoire, où il donne toute satisfaction. Son patron, qui lui inculque les valeurs du travail, du respect des autres et du bel ouvrage, reprendra d’ailleurs l’excellent ouvrier Fourniret comme chef d’équipe après son service militaire.
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Il effectue ses classes à Bremgarten, en Allemagne, en 1961. À la faveur d’une permission, il croise à l’hôpital Manchester de Charleville-Mézières, où sa mère est alitée, une jolie infirmière, Annette, dont il s’éprend. Mais il doit repartir sous les drapeaux, en Algérie, dans l’aviation selon ses dires. Il fête ses 20 ans dans le djebel à guetter les fellaghas. Il envoie à l’infirmière des lettres chavirantes et des fleurs séchées, des textes « poétiques et lyriques » qui la séduisent plus que l’homme : « Il a ce trait qu’il écrit bien et parle aussi très bien », expliquera Annette.
À son retour d’Algérie, en 1963, Michel Fourniret épouse cette fille de bonne famille des Ardennes à l’église. Il a 21 ans, elle en a 27. Elle dévoilera longtemps après son intimité avec ce premier mari : « Il avait des absences psychologiques que j’ai mises sur le compte de la guerre. Il était introverti, manquait d’affection. C’était un travailleur acharné qui voulait réussir, qui avait un potentiel entre ses mains, je voyais l’avenir assez attrayant. »
Michel Fourniret s’occupe alors du terrain de 6 300 mètres carrés qu’ils ont acheté à Floing, construit un atelier et trace « les plans de la future maison ». Il passe un CAP de dessinateur industriel par correspondance. Il lit. Il écoute de la musique classique. Il cherche à s’instruire et apprend en autodidacte l’allemand, le russe et le français littéraire. Selon un de ses collègues de l’usine, il avait les capacités « pour devenir ingénieur ».
Un fils naît en juillet 1964. « Il n’était pas très affectueux avec le bébé mais pouvait se montrer gentil, prévenant avec moi », poursuit Annette. Même si leur sexualité est très ordinaire, elle le trouve alors « attachant » et « plein de qualités » : « C’était pas n’importe qui. » Femme « indépendante » et devenue cheffe d’un service de 80 soignants, Annette a de l’autorité sur son mari : « C’est sûr qu’il n’aurait pas eu d’ascendant sur moi, je ne l’aurais pas supporté. » Une fois seulement en fin de grossesse, elle a refusé ses assauts et a fini par céder à contrecœur pour accomplir ce qu’elle nomme son « devoir d’épouse ».
Mais un jour de 1966, Annette découvre un étrange courrier dans la boîte aux lettres : une convocation de son mari au commissariat de Sedan. Elle lui réclame des comptes. Il lui assure qu’il ne comprend pas de quoi il s’agit. Elle l’accompagne chez les policiers et apprend sur place qu’il a fait monter la fillette d’un de ses aides-soignants dans sa 2 CV et qu’il est soupçonné de l’avoir touchée.
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Un dimanche matin, vers la statue de la Vierge de Floing, ce bon père et travailleur émérite a croisé une enfant de 11 ans sur le chemin de l’épicerie, et a stoppé net sa 2 CV verte. Ce monsieur à moustache qui présente bien demande à la petite son chemin pour aller au lieu-dit « L’Algérie ». Elle explique que c’est facile. Mais l’homme la prend alors par la main et la fait monter en douceur dans sa voiture : ce sera plus simple si elle le guide. Elle grimpe sur le siège passager, sans aucune crainte. Il conduit jusqu’à L’Algérie. Et puis à la lisière d’un bois, tout à coup, il lui lance : « Tu es toute pâle, tu dois être malade, enlève ta petite culotte. » Là, elle prend peur, prie la Sainte Vierge et rétorque : « Mon papa sait mieux que vous, il travaille à l’hôpital. »
Sans un mot, l’automobiliste ramène illico la gamine en haut de sa rue. Mais elle se confie aussitôt à son père qui dépose plainte à la police et signale la 2 CV verte de l’agresseur. C’est ainsi que Michel Fourniret est identifié et doit se rendre au commissariat. Annette se sent « tellement choquée » qu’elle décide tout de suite de se séparer de son mari « pour protéger [son] fils.
Déjà, Michel Fourniret minimise son acte, évoque une « dépression » suivie de « voyeurisme » et, pour la première fois, sa quête de la virginité. Il explique alors : « Ignorant ce qui caractérise la virginité, j’avais tenté de voir la réponse auprès d’une enfant. » Cet attentat à la pudeur lui vaut huit mois d’emprisonnement avec sursis. C’est la première chute du chasseur, à 24 ans.
Le délinquant sexuel s’expatrie alors dans le Berry en 1967. Son patron, Georges Catoire, qui monte un gros atelier à Martizay, dans l’Indre, réembauche le minutieux Michel Fourniret. Le « môme » ardennais, comme l’appellent ses collègues, ne compte pas ses heures pour dessiner, usiner et terminer une pièce de voiture ou d’avion. Habillé d’une blouse, coiffé d’une casquette et chaussé de brodequins, le jeune ouvrier aux cheveux ras très noirs habite seul dans une maison à l’écart du bourg et ne fréquente pas le bistrot.
Il se réfugie dans la lecture et les sonates de Bach. Il se promène avec sa chienne boxer. Il fait ses courses de célibataire chez l’épicière Louisette, âgée de 30 ans, qui a le béguin pour ce garçon bien élevé et galant, mais il la trouve trop vieille pour lui et repousse ses avances : « Je n’aime que les vierges ! » Il jette son dévolu sur une plus jeune aux longues nattes brunes, Solange, 20 ans qui sort du pensionnat. C’est la fille du menuisier.
Pour la voir plus souvent, Michel Fourniret entreprend de faire construire une niche pour son chien et revient sans cesse chez le menuisier avec des nouveaux plans. Un jour, sur l’un d’eux, il a retranscrit pour Solange un poème d’Aragon, Il n’y a pas d’amour heureux. Selon le livre de Roger Maudhuy, qui a interviewé Solange, Michel lui a alors glissé « avec un drôle de regard, qu’il aimait son boxer, une femelle, comme il aimerait une femme ».
Elle le sent « différent des autres garçons, secret, mystérieux », mais elle préfère sortir en boîte avec des copains plus drôles. Puis Solange est partie à Paris. Sujet à des insomnies, Michel Fourniret multiplie les virées nocturnes avec son boxer à bord de sa Citroën ID 19. Il cambriole les maisons vides des Parisiens le long de la Claise, la rivière locale.
Et puis un soir de 1968 - comme le révèlent dans un livre Fabienne Ausserre et Alain Hamon, journalistes de l’agence Credo spécialisés dans les faits divers, qui ont échangé des lettres avec l’intéressé -, Michel Fourniret sort d’une séance de cinéma où il a vu La Guerre des boutons et remarque une fille à la peau pâle qui monte dans une voiture. Il la suit au volant de sa Citroën, sur une départementale, dans la nuit. Il la dépasse puis se rabat. À son tour, la conductrice veut le doubler mais Fourniret l’en empêche, se met en travers de la route, et provoque un accident. La voiture de la fille se retrouve dans le fossé et l’homme de l’ID 19 s’enfuit sans lui porter secours.
La victime ayant noté le numéro d’immatriculation du chauffard, les gendarmes sont venus lui passer les menottes. Fabienne Ausserre et Alain Hamon, les auteurs du livre, ont retrouvé la trace d’une hospitalisation de Michel Fourniret dans une clinique psychiatrique à Pont-Chrétien-Chabenet, dans l’Indre, pendant plusieurs semaines après cet accident de la route. Après « un traitement à l’insuline », selon Fourniret, et une initiation au jeu d’échecs, il en ressort sans plus de soins et retrouve sa chienne Douchka chez son collègue Roger, qui le croyait en prison. Il postule alors comme gardien de phare mais reçoit une réponse négative. Il projette de s’exiler en Amérique latine, ou au Canada et, prétendument pour ne pas la laisser seule en France, donne la mort à sa bien-aimée Douchka.
Si l’on en croit son ami Roger et sa femme, la fin du boxer ne s’est pas passée ainsi. Furieux que sa chienne ne lui obéisse pas, Michel Fourniret l’a abattue dans un accès de rage, d’un coup de fusil dans le crâne.
Finalement, ses rêves de voyages s’écroulent et son époque berrichonne s’achève. Le dessinateur industriel atterrit à Paris, dans un bureau d’études pour l’aéronautique. Il se dépeint comme « un juif errant de 23 à 27 ans », jusqu’à sa rencontre, en 1969, sur un quai de la gare de l’Est, avec Nicole, qui part en vacances dans ses Ardennes natales.
Cette dessinatrice formée aux arts appliqués tombe à son tour sous le charme épistolaire de Michel, sans passion. Il lui dissimule son passé, prétend que sa première femme le trompait et qu’il est parti pour ça. Elle le croit. Il lui dit qu’il a séjourné dans une maison de repos après une dépression. Elle l’admet. Ils se marient en 1970. Ils ont un fils en 1971 et des jumelles en 1972. Ils restaurent une maison de famille appartenant à Nicole à Clairefontaine-en-Yvelines, et remboursent un crédit de 130 000 francs sur quinze ans.
Selon Nicole - interrogée trois décennies plus tard par les juges -, « les berceaux des enfants sont à côté des brouettes de gravats ». « Tout allait bien » sauf « quand le ciel s’assombrissait d’un coup de colère ». Il a tendance « à provoquer certaines personnes pour les rabaisser et les humilier, j’en ai eu honte. Il était orgueilleux et voulait être dominant ». Un jour, Michel lui dit : « Toi, je ne te posséderai jamais entièrement. »
En famille, Michel Fourniret n’est pas très joueur avec ses enfants mais peut leur faire plaisir en « rapportant quatre cornets de glace de la ville voisine d’une main en conduisant de l’autre, tout était fondu ». Il les éduque avec autorité. Sa fille Anne se souvient des règles strictes imposées lors des repas : « Il fallait lever le doigt pour parler, poser les mains et non pas les coudes sur la table, et ne jamais parler pour ne rien dire. »
Celui qui désobéit est puni, au coin ou avec une serviette sur la tête pour garder le nez dans son assiette. Anne, qui a chipé des bonbons dans la voiture de son père, a été attachée à la niche du chien pendant trois heures.
Selon Nicole, Michel Fourniret se montre toutefois bien plus « affectueux avec ses deux filles » qu’avec son fils aîné, Nicolas, perçu comme un « rival ». Il lui reproche durement de ne « pas avoir les mêmes mains de travailleur que lui ». Il le rabroue et le rabaisse. Pour sa seconde épouse, « Nicolas a voulu prouver qu’avec ses mains ...
Du 13 au 16 novembre, Michel Fourniret comparaît devant la cour d’assises des Yvelines pour assassinat et recel de vol, aux côtés de sa troisième épouse, Monique Olivier, jugée pour complicité. En 1988, il a trucidé la femme d’un voyou qui l’avait pourtant protégé en prison pour s’emparer d’un magot de braqueurs, 50 kilos d’or enfouis à côté d’une tombe. « L’amitié est une chose, les affaires en sont une autre », expliquera sans état d’âme Michel Fourniret. Il s’agit du seul crime crapuleux de celui qui restera l’un des pires tueurs en série de l’histoire du crime français.
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