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Le fondateur de la troupe des Chiens de Navarre, Jean-Christophe Meurisse réalise, entre la comédie et le film d’horreur social, une comédie déjantée sur l’obsession des faits divers. Après avoir réalisé le film politiquement acerbe Oranges sanguines en 2021, le réalisateur Jean-Christophe Meurisse revient avec une comédie osée et méta sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès.

Faire de l’affaire Dupont de Ligonnès un véritable objet de cinéma, quel programme ! C’est Jean-Christophe Meurisse qui s’en charge, avec toute la folie qui caractérise son cinéma depuis Apnée (2016). Bien que le scénario s’inspire de la fameuse affaire française, l’angle que choisit le réalisateur pour en parler est tantôt tragique tantôt comique.

Ce qui intéresse le cinéaste au-delà du mystère autour de ce fait divers retentissant, c’est la fascination qu’il exerce et les comportements irrationnels qu’il suscite. Les Pistolets en Plastique prend le contre-pied - et on pouvait s’y attendre vu le pedigree du cinéaste ! - de tous les documentaires, téléfilms et autres séries déjà produits sur le sujet. L’affaire n’est qu’un prétexte pour une succession de sketchs aux personnages hauts en couleur.

En effet, ici, c’est Paul Bernardin qui a zigouillé toute sa famille pour ensuite mettre les voiles on ne sait où. Les Français se passionnent pour l’affaire dite Bernardin et deux enquêtrices amatrices se rendent sur les lieux du crime pour trouver des indices. Pendant ce temps, les médias annoncent son arrestation à l’aéroport de Copenhague.

Bon, même en brouillant les pistes, il est facile, même pour un non connaisseur de la véritable affaire, de voir en quoi l’intrigue du film reprend à l’identique les quelques rebondissements de la tuerie de Nantes. C’est même d’ailleurs un point positif jusqu’au dernier tiers du récit puisque l’on prend plaisir à recoller les morceaux entre la réalité et la fiction.

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Un Mélange de Tons Réussi

Ce mélange de ton est très intéressant car il permet d’obtenir, lors de plusieurs scènes, des bascules de registre qui donnent du cachet à cette comédie. Par exemple, lors de la première scène du film, nous avons une discussion entre deux médecins légistes en train de disséquer un corps. Ils parlent de la fascination de notre époque pour les meurtres et crimes en tous genres.

Les blagues ne tombent pas toujours juste mais, néanmoins, le réalisateur s’essaye à beaucoup d’expérimentations différentes, ce qui fait que nous ne sommes jamais sur le même registre. Le sentiment qui persiste après le visionnage du film, c’est à la fois l’utilisation de la violence et la critique de la complaisance qu’on peut avoir face à celle-ci. C’est ce qui advient de plus en plus dans les affaires criminelles en France.

Cet humour est toujours au service d’un message acerbe sur des problématiques liées à la police ou au désir humain d’obtenir justice par tous les moyens. Pendant une heure et demie, nous sommes baladés entre plusieurs groupes de personnages qui vont inexorablement se rencontrer.

Une Farce Noire sur la Société Française

L’affaire Dupont de Ligonnès inspire à Jean-Christophe Meurisse une farce noire sur une France assoiffée de violence, alternant le jouissif et le stérile. Deux légistes (incarnés par Fred Tousch et Jonathan Cohen) papotent autour de leur table de dissection, où gît un cadavre ouvert comme une grenouille. Entre deux coups de scalpel et de sécateur de jardin, ils déplorent le voyeurisme morbide du public français : « non mais les gens sont complètement accros à la violence, il n’y a que ça qui marche… »

Ironie bourrine de la contradiction texte-image, séduction instantanée de la plus grande star comique du moment, annonce grossièrement méta du programme à venir : Jean-Christophe Meurisse n’a pas son pareil pour introduire un film, installer dans un grand fracas son second degré, son euphorie sanglante, et mettre joyeusement les pieds dans le plat.

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Les Pistolets en plastique est moins, comme on a pu le lire, un film sur l’affaire Dupont de Ligonnès qu’un film sur la France dont a accouché cette affaire. Un homme vient de massacrer sa famille : le pays est sur les dents. Entre un danseur de country dénoncé par erreur à l’aéroport comme le coupable en fuite, un duo de mémères enquêtrices amatrices éprises de justice sauvage, et la cavale du véritable meurtrier en Argentine, l’auteur d’Apnée reconstitue un éventail de conséquences de l’horreur, et déploie un continuum de conflits et de violence qu’il filme comme une sorte de partouze nationale.

Tout l’hexagone est électrisé par le crime : qu’on s’en indigne, qu’on s’en indiffère, qu’on en soit injustement accusé ou qu’on l’ait soi-même commis, on n’échappera pas à son empire, c’est-à-dire à une sorte de spirale collective de sado-masochisme. Le crime, ou plutôt le true crime - c’est-à-dire le récit et la religion du crime -, fonctionne comme un accélérateur de pulsions dans lesquelles Meurisse plonge avec une voracité de cartooniste.

Des Pistolets en plastique pour un monde où la violence captive et où le vrai et le faux tendent à se confondre… Après Oranges sanguines, Jean-Christophe Meurisse, le chef de file des Chiens de Navarre, poursuit sa satire au vitriol de notre société. Il nous la peint ici friande de faits divers, de préférence sanglants, à travers l’histoire de Paul Bernardin, double à peine déguisé de Xavier Dupont de Ligonnès.

Une Structure Narrative Complexe

L’intrigue se tisse à partir de trois fils parallèles qui vont, peu à peu, se rejoindre. Deux femmes, « enquêtrices web » fraîchement récompensées par un diplôme FB, se lancent sur les traces de Paul Bernardin, qui a tué toute sa famille avant de disparaître. Un homme - Michel Uzès - , identifié par un indic comme étant l’assassin, est arrêté à son arrivée à l’aéroport de Copenhague par la police danoise. Pendant ce temps, le vrai Paul Bernardin, nouvellement marié, coule des jours heureux en Argentine.

Se déploie ainsi toute une galerie de portraits, mettant en scène des personnages aussi bouffons qu’inquiétants, qui tendent un miroir grossissant à notre goût pour le sensationnel, à notre fascination voyeuriste, en même temps qu’à notre propension à banaliser la violence. Ici sont mis au premier plan deux enquêtrices un peu simplettes qui, sur le lieu des crimes, se répandent en commentaires sur la déco ; des policiers danois au comportement surréaliste face à des policiers français incapables ; deux médecins-légistes déplorant le goût du public pour les serial killers héros des séries de Netflix ; un suspect colérique qui perd les pédales, une voisine qui débite un interminable monologue raciste.

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Les pistolets en plastique pose la question des raisons de l’attraction qu’exerce le crime sur beaucoup d’entre nous mais aussi celle du vrai et du faux, de la violence et de sa représentation. Entre le vrai Bernardin et le faux - Michel Uzès - qu’y a-t-il de commun ? Notre entendement est-il si débile qu’il nous conduise, contre toute évidence, à prendre le faux pour le vrai et à ignorer le vrai quand il se présente à nous ? Quant au spectacle de la violence, a t-il une fonction autre que celle de satisfaire nos instincts les plus bas ? Et ne contribue-t-il pas à sa dangereuse banalisation ? Ou, au contraire, a-t-il une valeur cathartique ? Exorcise-t-il nos terreurs ? Mieux, nous évite-t-il de passer à l’acte ?

La mise en abyme de la représentation de la violence dans Les pistolets en plastique nous incite à nous interroger sur l’utilité du spectacle sanglant, grand-guignolesque, qu’il nous offre et que son outrance tourne à la dérision. N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie à flatter le goût du spectateur pour la violence alors même qu’on prétend la dénoncer ?

La rupture que marque la sobriété glaçante de la scène du meurtre familial nous rappelle brutalement à la réalité : plus de grand-guignol, mais une tragédie tout entière concentrée dans les gestes, les regards, le bruit des détonations.

Distribution

Avec : Laurent Stocker, Delphine Baril, Charlotte Laemmel, Gaëtan Peau, Nora Hamzawi, Jonathan Cohen...

Interprétation :

  • Laurent Stocker (Paul Bernardin)
  • Delphine Baril (Léa Blanchard)
  • Charlotte Laemmel (Christine Valet-Dubreuil)
  • Gaëtan Peau (Michel Uzès)
  • Nora Hamzawi (La femme enceinte)
  • Jonathan Cohen (Johnny le légiste)

Réception

On sait depuis Oranges sanguines que Jean-Christophe Meurisse se rêve comme le sale gosse du cinéma hexagonal, n’hésitant pas à pousser le plus loin possible les curseurs de l’outrance pour brosser un portrait satirique de la société française. Avec Les Pistolets en plastique, le cinéaste persiste et signe en s’inspirant cette fois-ci de l’affaire Dupont de Ligonnès, qu’il déplie en plusieurs trames narratives : la première suit deux enquêtrices amatrices lancées à la recherche du tueur de Nantes, une autre l’arrestation d’un faux coupable et la dernière se focalise sur l’exil de de Ligonnès en Argentine.

Si le point de départ saugrenu intriguait, il ne sert finalement que de prétexte pour resservir le même programme qu’Oranges Sanguines : une succession de séquences étirées qui confondent comédie et hystérie, en mêlant regard ricanant sur la France périphérique, explosion gratuite de violence, sketches d’humoristes en vogue arbitrairement intégrés à l’ensemble (Vincent Dedienne, Nora Hamzawi, Aymeric Lompret, Jonathan Cohen succèdent à Blanche Gardin - on a tout de même vu plus punk que de débaucher la moitié des chroniqueurs de France Inter), le tout fondu dans une esthétique boursouflée (ralentis, regard caméra, travelling à rallonge, etc.) rythmée par de la variété française (Dalida remplace Barbara).

Ce bric-à-brac pourrait être simplement pénible s’il ne se révélait pas par endroits détestable. Au-delà du grotesque, Jean-Christophe Meurisse vise aussi à installer une forme de malaise qui pose davantage question. En témoigne une séquence particulièrement longue, où les deux détectives en herbe rencontrent une voisine de de Ligonnès qui se met à débiter un interminable monologue d’injures racistes et homophobes. À la fois convenu et paresseux, le « gag » invite à se moquer de la France moyenne (il récidive par la suite, avec un voisin au visage déformé à la Elephant Man).

Il est difficile de ne pas voir dans l’étirement de cette tirade une forme d’autosatisfaction un peu crasse à l’idée de choquer le spectateur. Cette tendance à la provocation facile et puérile atteint son acmé avec la reconstitution aberrante de la tuerie, qui tombe comme un cheveu sur la soupe vers la fin du film.

Ce qui caractérise précisément le cinéma de JC Meurisse c’est une impudence insituable moralement. Toutes nos fascinations névrotiques sont catapultées, condensées et torpillées dans ce qui pourrait s’apparenter à des sketches (façon les Vamps pour le duo d’enquêtrices du web génialement interprétées par Delphine Baril et Charlotte Laemell) ou numéros d’acteurs éblouissants (et ce serait déjà énorme!) si le réalisateur se contentait d’une juxtaposition de scènes choc. Ce n’est pas le cas. Le film jubile d’une esthétique forte corollaire de l’extravagance du propos et d’acteurs tous en majesté.

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