Le Vieux Fusil est un film marquant - et sans doute aussi controversé - du cinéma français des années 70. Ce classique du cinéma hexagonal, multi césarisé, est porté par l’interprétation de Philippe Noiret et de Romy Schneider.
Le film fête son 45ème anniversaire. Il s’agit de la deuxième (et dernière) collaboration entre le réalisateur Robert Enrico et le scénariste Pascal Jardin, dans la foulée de leur travail sur Le Secret. C’est à Jardin qu’on doit l’idée du Vieux Fusil, plus précisément au récit effrayant que lui avait confié un ami : ce jour de la Seconde Guerre mondiale où, enfant, il avait vu un jeune soldat allemand dormir à côté de la femme qu’il avait violée et tuée. Pascal Jardin, impressionné, décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Robert Enrico décide de déplacer l’intrigue ailleurs et choisit de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.
Montauban, été 1944 : le chirurgien Julien Dandieu essaye de continuer son travail, malgré la pression de la Milice, en préservant son épouse Clara et sa fille Florence. Afin de mettre celles-ci à l'abri jusqu'à la fin de la guerre, il les envoie se réfugier dans le château familial de la Barberie. Or, quand il veut les rejoindre, il découvre avec horreur que la division SS Panzer Das Reich a massacré tous les habitants du village voisin. Le bon docteur retrouve les cadavres de sa femme et sa fille. Fou de colère, Dandieu retourne au village où il élimine les Nazis l’un après l’autre.
Dans le cadre d’un exercice d’appréhension critique d’une œuvre cinématographique, il est nécessaire d’avoir à l’esprit les quelques questionnements complémentaires qui vont guider l’analyse :
Selon l’angle avec lequel on l’aborde, Le Vieux fusil est un film qui a parfois figé ses commentateurs dans la posture, que celle-ci soit d’ailleurs pour sa défense ou violemment à charge.
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Le Vieux fusil, qu’est-ce, finalement ? Un revenge movie ? Un film de guerre ? Un document historique, en ce qu’il commente des faits historiques avec le regard rétrospectif de son époque ? Un mélodrame en temps de guerre ? Ou un film signé Robert Enrico ? Un peu tout cela, peut-être.
Dans Les Cahiers du Cinéma, Jean-Pierre Oudart parla à la sortie d’un « film abject », relayé des années plus tard par Louis Skorecki, dans Libération, évoquant « les indécences obscènes » du film. Il est reproché au film de faire la promotion de la loi du talion.
En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs. C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France derrière La Tour infernale, Peur sur la ville, On a retrouvé la 7ème compagnie et Histoire d’O mais loin devant Le Sauvage, Dupont Lajoie et Sept morts sur ordonnance. Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique.
Apologie de l’autodéfense, le long métrage repose sur des arguments détestables : Dandieu utilise les mêmes procédés que ses ennemis, jusqu’à leur dérober un lance-flammes pour immoler le chef de ces assassins. Ainsi, les enjeux de la guerre sont clairement évoqués en privilégiant un schéma cathartique, où le bon Français se débarrasse du méchant Allemand, le but étant de caresser dans le sens du poil la bonne conscience d’un pays dont le gouvernement officiel collabora avec l’occupant. Ici, l’émotion envahit tout, détermine chaque geste, chaque plan, chaque parole, pour construire une sorte d’infernal chantage lacrymal.
L’action du film se déroule dans le Sud de la France durant l’été 1944, après le débarquement américain, et s’inspire des exactions monstrueuses commises par la division SS Das Reich lors de sa remontée sanglante vers la Normandie, et en particulier des massacres de Tulle, d’Argenton-sur-Creuse et d’Oradour-sur-Glane, les 8, 9 et 10 juin 1944. A cet instant-là, et compte tenu à la fois de la confusion structurelle (qui représente la « justice », alors, en France ? l’occupant ? la collaboration de Vichy ? la Résistance ?) et de l’incertitude en l’avenir (le film montre bien l’inquiétude alors des Allemands), s’établit une situation particulière de non-droit, voire de béance dans le cours de la civilisation.
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Tout d’abord, le film est tourné, au milieu des années 70, à une époque où la France commence à interroger son passé d’une manière un peu différente : au niveau cinématographique, notamment, des films comme Lacombe Lucien de Louis Malle, ont fait polémique en remettant à plat les comportements individuels durant le conflit. Non, tous les Français n’étaient pas résistants, tous les Français n’étaient pas des héros, tous n’ont pas eu une attitude morale irréprochable face à l’Occupation. Dandieu, par un prisme différent, incarne lui aussi cette reconnaissance de l’inexemplarité individuelle : il n’agit probablement pas comme il faudrait qu’il le fasse, mais (sempiternelle question) qui sait comment il faut se comporter face à l’ignominie et - plus encore - qui sait comment il ou elle se comporterait en telle situation ?
Philippe Noiret évoque dans sa Mémoire cavalière sa déception de ne pas avoir vu ce sujet délicat traité avec plus de retenue ou de subtilité. Robert Enrico ne cherche pas spécialement à prendre des pincettes quand il s’agit de décrire ou les massacres perpétués par la division nazie ou la séquence d’assassinats vengeurs de Dandieu : il y opte à la fois pour des mécaniques de film de genre (avec une représentation explicite des choses, y compris les plus sanglantes) et de mélodrame (en opérant sur le contraste entre la violence des actions et la douceur des souvenirs, pour mieux susciter l’émotion).
Dans les premières minutes du film, Dandieu nous est présenté d’emblée comme un Français quelconque : ni collabo ni résistant, il continue de travailler, et ce n’est de toute façon pas un personnage politisé, ni même engagé, à titre individuel, dans ce conflit. De fait, parce qu’il adopte un strict point de vue individuel, Le Vieux fusil est un film qui envisage beaucoup moins de considérations générales sur l’humanité que ce que l’on a voulu lui attribuer, en bien comme en mal d’ailleurs. Et c’est précisément ce qui explique, également, sa forme mélodramatique (pathétique, même) : les dédales, portes dérobées, vitres sans tain qui peuplent ce château ne sont pas là que pour alimenter (de façon tout à fait palpitante) la manière romanesque du récit, ils traduisent l’état mental d’un personnage qui (littéralement) erre dans les méandres de ses souvenirs ou qui, face à un miroir, ne parvient même plus à se voir.
La séquence essentielle, traumatisante, qui déclenche cette violence : celle où Dandieu, découvrant les corps de son épouse et de sa fille, « voit » ce qui s’est passé. Il ne s’agit alors pas forcément tant d’un flash-back que d’une « vision », une manière de faire entrer dans l’esprit du personnage. Et c’est là que le rôle de Robert Enrico, que l’on a jusqu’ici pas forcément présenté de la manière la plus estimable qui soit, se définit plus précisément. Ancien élève de l’IDHEC (section mise en scène) et monteur à ses débuts, Enrico sait aussi bien que quiconque que le cinéma est un art des images et des sons, qui prend du sens par la manière dont ceux-ci s’agencent les uns avec les autres.
Pour des générations entières de spectateurs, Le Vieux fusil, c’est la séquence du lance-flammes, et les frissons que son souvenir procure inévitablement. Sans cette séquence, le film n’aurait pas été le même, et il n’aurait, sans aucun doute, pas eu la même postérité. On peut, lorsque l’on porte en haute estime les moyens cinématographiques, trouver qu’il s’agit là d’une forme de manipulation peu glorieuse.
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La violence, dans le cinéma vigilante, a quelque chose de libératoire, d’exutoire et de résolutoire ; dans Le Vieux fusil, elle acte la perte (de raison, voire d’humanité) du personnage, et son emprisonnement dans l’illusion de l’ « avant ». Julien ne redeviendra jamais lui-même : il s’est définitivement égaré dans ces ruines dévastées.
Au niveau du casting, le personnage de Dandieu devait initialement être confié ou à Yves Montand ou à Lino Ventura. Face à lui, irradie le charme incomparable de Romy Schneider, filmée comme un être solaire, habité simultanément d’une joie de vivre et d’une tristesse renversantes.
Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve. Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée. Mais dans cette scène - comme tout ce qu’elle fera au long de ce tournage qui se déroule entre Paris, Biarritz (la scène de la plage), Montauban -, Romy Schneider impressionne toute l’équipe par son implication totale. Plus tard, au moment où les Allemands poursuivent son personnage, la violent avant de l’achever au lance-flammes, ses cris furent même si déchirants qu’Enrico choisit de les enlever au montage final par peur que ce passage déjà difficilement regardable devienne proprement insoutenable.
Si Le Vieux fusil reste fidèle aux thématiques du cinéma de Robert Enrico c’est qu’il raconte l’histoire d’un type ordinaire, en apparence parfaitement équilibré, qui bascule malgré lui dans la violence et la folie.
Le Vieux Fusil s’ouvre et se clôt sur la même image : un homme, une femme et une enfant se promenant en vélo sur un petit chemin de campagne, accompagnés d’un chien. Mais si la scène est identique, le sentiment éprouvé par le spectateur est très différent.
Le Vieux Fusil est un grand film. Philippe Noiret est exceptionnel. Il est parfaitement secondé par un Jean Bouise qui a toujours été un des meilleurs seconds rôles du cinéma français. La présence de Romy Schneider évite au film, avec justesse, de sombrer dans le désespoir absolu en lui apportant la lumière et la grâce.
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