Le Vieux Fusil, réalisé par Robert Enrico, est un film qui a marqué le cinéma français. Sorti en 1975, il continue de susciter des débats et des émotions fortes.
On ne peut être insensible à l’histoire du film Le Vieux Fusil. C’est l’un des films marquants - et sans doute aussi controversés - du cinéma français des années 70.
Il s’agit de la deuxième (et dernière) collaboration entre le réalisateur Robert Enrico et le scénariste Pascal Jardin, dans la foulée de leur travail sur Le Secret (dont Jardin avait signé les dialogues) et c’est à Jardin qu’on doit l’idée du Vieux Fusil. Ou plus précisément au récit effrayant que lui avait confié un ami, de ce jour de la Seconde Guerre mondiale où, enfant, il avait vu un jeune soldat allemand dormir à côté de la femme qu’il avait violée et tuée.
Pascal Jardin, impressionné, décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Quand l’écrivain se met à concevoir son récit, c’est seulement la troisième fois que le cinéma évoque Oradour après 10 juin 1944, le court métrage de Maurice Cohen, récompensé du Prix Jean Vigo en 1962 et Le Sauveur, un long métrage signé Michel Mardore en 1971 avec Horst Buchholz.
Mais Pascal Jardin, Robert Enrico et leur coscénariste Claude Veillot décident de changer le lieu du récit et choisissent de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.
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Au début, le film de Robert Enrico nous entraîne à Montauban en 1944. Montauban, 1944. Le chirurgien Julien Dandieu y mène une vie paisible avec sa femme, Clara, et leur fille Florence. Cependant, l’invasion allemande ne peut le laisser indifférent : préférant les savoir éloignées des tourments de cette guerre, Julien demande à son ami François de les conduire à la campagne, où cette famille possède un château.
Philippe Noiret incarne le docteur Dandieu, un médecin dont la profession est forcément bouleversée par la guerre et l’Occupation. Au milieu de ce contexte difficile, la seule consolation de Dandieu, c’est sa petite famille, sa mère, sa fille, et surtout sa femme Clara. Romy Schneider est exceptionnelle dans ce rôle.
Ce Julien Dandieu, chirurgien, arrive à son château et découvre des scènes d’horreur qui rappellent évidemment les massacres commis à Oradour-Sur-Glane par une division blindée SS qui remontait vers la Normandie. Son réflexe face à cette situation : se venger. Il a alors pour but de tuer tous les soldats présents dans son château, quitte à le détruire.
Meurtres, scènes de crimes, de viols, sur des enfants, des femmes, hommes sont au rendez-vous dans Le Vieux Fusil. Ce que l’on retient, ce sont les conséquences de ces actes qui sont terriblement dramatiques ; on les vit au travers des yeux du personnage principal.
Ce classique du cinéma hexagonal est porté par l’interprétation de Philippe Noiret et de Romy Schneider. Pour incarner ce médecin, plusieurs noms circulent. Celui d’Yves Montand tout d’abord qui vient de terminer Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau. Après son refus, Lino Ventura sera immédiatement pressenti. Robert Enrico le connaît bien.
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Mais lui aussi décline, sans que l’on sache exactement pourquoi car, à ce sujet, les explications divergent. Pour Enrico, son refus provient de sa répugnance à jouer les scènes de coup de foudre. Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve, sa partenaire dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau et Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri.
Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée. Mais dans cette scène - comme tout ce qu’elle fera au long de ce tournage qui se déroule entre Paris, Biarritz (la scène de la plage), Montauban -, Romy Schneider impressionne toute l’équipe par son implication totale. Plus tard, au moment où les Allemands poursuivent son personnage, la violent avant de l’achever au lance-flammes, ses cris furent même si déchirants qu’Enrico choisit de les enlever au montage final par peur que ce passage déjà difficilement regardable devienne proprement insoutenable.
Lorsque l’ennemi approche, Julien ne prend pas de décision. Il laisse François décider pour lui et va le regretter puisqu’il ne reverra plus jamais ni sa femme, ni sa fille. Il se refait le film des événements. S’en veut. Les femmes de sa vie, celles qu’il se devait de protéger, sont mortes par sa faute. Il les a abandonnées. Sa culpabilité est énorme, sa colère sourde.
Cet homme qui a pour habitude de sauver des vies condamne désormais les bourreaux de sa femme et de sa fille à la peine de mort. Il devient le vengeur, machine à broyer l’ennemi. Julien pousse le vice jusqu’à mentir aux Partisans pour mieux en finir avec les Nazis, seul. Julien fait le ménage. Il liquide tous les Nazis de sang froid, sans dire un mot.
Si Le Vieux fusil reste fidèle aux thématiques du cinéma de Robert Enrico, c’est qu’il raconte l’histoire d’un type ordinaire, en apparence parfaitement équilibré, qui bascule malgré lui dans la violence et la folie. Pourtant, Le Vieux fusil s’inscrit dans un double contexte particulier.
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Les années 70 sont celles où le pays commence à regarder en face son comportement pendant la Seconde Guerre mondiale et à pointer du doigt le fait que les Français ne furent pas tous des héros ou des résistants mais aussi des collabos. Forcément, cette violence dérange.
Une partie de la critique parle d’indécence, choquée par l’aspect insoutenable de cette chasse à l’homme que le cinéaste assume pleinement et que le public (et les professionnels) salueront de concert.
Le Vieux Fusil s’ouvre et se clôt sur la même image : un homme, une femme et une enfant se promenant en vélo sur un petit chemin de campagne, accompagnés d’un chien. Mais si la scène est identique, le sentiment éprouvé par le spectateur est très différent. Car entre-temps, le spectateur a été témoin de choses dures, éprouvantes.
En fait, cette vengeance est désabusée, en tuant ces Allemands Julien Dandieu ne va pas vraiment en retirer quelque chose. Par la perte de ses proches, on comprend que ce personnage est profondément gentil. Cela se voit avec le casting ; on a un Philippe Noiret au visage rond, au ventre légèrement bedonnant et aux lunettes rondes. S’il peut avoir des expressions sévères, on lui donne facilement confiance.
Ce que je retiens du film Le Vieux Fusil, c’est aussi sa photographie poussée ; la composition des plans a un vrai sens et donne une dimension supplémentaire au film. La scène qui l’exprime le mieux est selon moi celle-ci ; attendant de tuer les soldats occupant son château, Julien Dandieu reste, dans le noir, seul et fatigué.
Durant la vengeance du personnage principal, ce dernier va vivre des flashbacks. Ils vont l’amener à se remémorer des souvenirs principalement de joie, de bonheur (moments en famille) ; datant d’il y a quelque années, quelques mois. Ils permettent surtout de comprendre sa relation avec sa femme, incarnée par Romy Schneider, toujours magnifique. Une histoire débutée un peu par hasard, qui ne devait être qu’une histoire d’un soir, d’une nuit. Une histoire d’amour qui s’est transformée en mariage ; sa femme, il la trouvait magnifique, imprévisible. D’un moment à l’autre, il la perd tragiquement.
Dans Les Cahiers du Cinéma, Jean-Pierre Oudart parla à la sortie d’un « film abject », relayé des années plus tard par Louis Skorecki, dans Libération, évoquant « les indécences obscènes » du film. Leur lecture du film, qui bien que assez sommaire trouve encore aujourd’hui des souscripteurs, le réduisait à une chasse à l’homme dans lequel un « gentil » se rendait justice lui-même en tuant des « méchants », associant de fait le film aux œuvres de « justicier » telles qu’on pouvait alors les voir alors aux Etats-Unis, par exemple sous les traits de Charles Bronson dans la série des Death Wish.
Ceci appelle deux commentaires sous forme d’évidences : d’une part, quand bien même il ne s’agirait que de cela, traiter un tel sujet n’est pas un interdit formel (décrété par ?), et quelques grands cinéastes s’y sont attelés en de multiples occasions (Bergman, Kazan, Peckinpah ?) ; au cinéma, nous y reviendrons, l’important n’est souvent pas tant ce qu’on raconte que comment on le raconte.
Mais au-delà de considérations qualitatives, le fait de décrire ce processus « justicier » chez un personnage n’implique pas forcément une adhésion morale (du film, de son auteur, de ses participants) au principe général de la « loi du talion », et l’une des vocations de l’art (en particulier du septième) est justement de donner à voir de telles situations en dehors de la réalité. D’autre part, il existe probablement une différence notable, liée au contexte du récit, entre le principe des films de justice expéditive façon Death Wish (qui prétendent dénoncer l’inefficacité des organes légaux de maintien de l’ordre ou de la justice) et celui du Vieux fusil...
En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs. C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France. Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique. Le temps confirmera cet engouement. En 1985, Le Vieux fusil sera élu comme César… des César par la même profession.
Selon l’angle avec lequel on l’aborde, Le Vieux fusil est un film qui a parfois figé ses commentateurs dans la posture, que celle-ci soit d’ailleurs pour sa défense ou violemment à charge. Le Vieux fusil, qu’est-ce, finalement ? Un revenge movie ? Un film de guerre ? Un document historique ? Un mélodrame en temps de guerre ? Ou un film signé Robert Enrico ? Un peu tout cela, peut-être.
Si le film donne une vision peut être trop manichéenne de son histoire, il raconte très bien les massacres commis par les SS remontant vers le nord de la France, voyant la défaite arriver.
Ce film a bouleversé la France. À l'époque, on ne s'attendait pas à ça de la part de Robert Enrico. Le souvenir qu'il a laissé dans le cœur du public ne risque pas de s'éteindre.
A la fin du film, récupéré par son ami François, Julien lui parle comme si ce qui venait de se produire n’avait pas eu lieu, comme si les choses étaient comme avant... La violence, dans le cinéma vigilante, a quelque chose de libératoire, d’exutoire et de résolutoire ; dans Le Vieux fusil, elle acte la perte (de raison, voire d’humanité) du personnage, et son emprisonnement dans l’illusion de l’ « avant ».
Julien ne redeviendra jamais lui-même : il s’est définitivement égaré dans ces ruines dévastées.
Tableau des Récompenses et du Succès Commercial
| Catégorie | Détails |
|---|---|
| Spectateurs en 1975 | 3 365 471 |
| Classement au box-office France en 1975 | 5ème |
| César du Meilleur Film | 1976 |
| César du Meilleur Acteur (Philippe Noiret) | 1976 |
| César de la Meilleure Musique (François de Roubaix) | 1976 (à titre posthume) |
| César des César | 1985 |
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