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INTRODUCTION

Du jazz manouche, on connaît en général Jean-Baptiste “Django” Reinhardt (1910-1953), quasi-inventeur du style, figure légendaire à laquelle l’histoire a accordé le statut de génie. Pourtant, en dépit de ces quelques vitrines, le jazz manouche demeure assez mal connu. On a tôt fait de le ranger négligemment au rayon des musiques de répertoire pour guitaristes virtuoses, une musique pour techniciens qui aurait perdu l’essentiel de son âme à la mort de son créateur. Il n’y a pas de fumée sans feu et ces reproches ne sont pas tout à fait infondés. Mais l’apparente uniformité du genre cache une scène active riche de différents courants. Pour mieux en apprécier la diversité, il aura auparavant été utile de s’attarder sur la carrière de Django Reinhardt, tant l’influence de celui-ci est grande. Et comme le jazz manouche n’est pas apparu ex nihilo un beau jour de 1934, nous commencerons par rappeler brièvement les origines du genre et le contexte musical dans lequel il est apparu.

1. DÉFINITION ET ORIGINES

Django le Manouche a rencontré le jazz au début des années 30. De leur union est né un style nouveau, une façon bien particulière d’interpréter le jazz qui a fait école. C’est ce que nous allons retracer dans cette première partie.

Jazz manouche ou swing gitan ?

L’expression “jazz manouche” semble s’imposer depuis quelques années pour qualifier la musique de Django Reinhardt et de ses suiveurs. Mais, de “jazz tsigane” à “swing gitan” en passant par “gypsy swing”, les ouvrages, articles et rayons des disquaires voient se côtoyer différentes expressions. Toutes désignent plus ou moins la même chose. Un peu d’histoire permet cependant de comprendre d’où viennent ces mots et d’en nuancer la signification.

Aux alentours du Xème siècle, des groupes de nomades ont quitté le nord de l’Inde pour se diriger vers l’ouest. Les raisons et les conditions de cette migration demeurent floues. Toujours est-il qu’au cours des siècles suivants, les descendants de ces tribus (appelés Tsiganes car amalgamés aux Athingani, membres d’une secte d’Asie Mineure) se sont dispersés à travers le Proche-Orient, l’Europe de l’Est puis l’Europe occidentale où leur présence est relatée dès le XVème siècle. Ils étaient appelés Bohémiens, c’est-à-dire “ceux qui arrivent du Royaume de Bohême” (partie occidentale de l’actuelle République Tchèque), ou Egyptiens car on les supposait originaires de Petite Egypte (qui correspond aujourd’hui à l’Epire, région de Grèce proche de la frontière albanaise). “Egyptien” a donné Gypsy en anglais, Gitanos en espagnol, termes utilisés pour désigner les Tsiganes dans leur ensemble.

En français, on a donc naturellement tendance à employer “Gitan” comme synonyme de “Tsigane”. Cela peut pourtant prêter à confusion quand on sait que différentes communautés se sont formées au sein du peuple Tsigane : Sinti du Piémont, Gitans d’Espagne et du Sud de la France, Manouches d’Alsace… Pour compliquer un peu plus les choses, notons que des représentants de ces différents groupes, réunis en congrès en 1971, ont choisi “Rom” comme terme générique quand le français l’applique à un groupe bien précis d’Europe centrale… On voit donc l’ambigüité de l’expression “jazz gitan”, l’adjectif pouvant englober l’ensemble des Tsiganes ou désigner une communauté bien précise de cet ensemble. Parler de jazz tsigane semblerait plus adéquat.

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En 1959, Michel-Claude Jalard publiait ainsi dans les Cahiers du jazz une étude intitulée “Django et l’école tsigane du jazz”. Un rapide parcours des bibliographies établies sur ce thème montre que l’expression a rencontré les faveurs de la critique jusqu’au début des années 90. Par la suite, on l’a dit, le “jazz manouche” a supplanté le “jazz tsigane”. Effet de mode ? Marketing ? Peut-être. Evolution de la valeur des mots aussi, en particulier des connotations péjoratives dont certains d’entre-eux (“manouche”, par exemple) ont parfois été chargés. Si “Jazz manouche” présente également le défaut de faire référence à un groupe, au moins ce groupe est-il celui auquel appartenait Django Reinhardt, ce qui lui confère une certaine légitimité historique. Même si on retrouve des Gitans dans la généalogie de ce style…

Enfin, swing ou jazz ? Le swing est une particularité de la musique plus qu’un style, ou bien évoque le jazz classique des années 30. En employant swing, on peut paraître n’aborder que les musiciens faisant explicitement référence à ces années et laisser de côté l’esprit aventureux du jazz, qui reste pourtant bien présent dans ce style tout au long de son évolution… Au fil des pages suivantes, nous parlerons donc de jazz manouche. Pour préciser ( ?) la définition que nous en avons faite, ajoutons que les artistes adeptes du genre pourront être Manouches, Tsiganes mais pas Manouches, voire gadjé (c’est-à-dire non-Tsiganes) !

Particularités des musiques tsiganes

La musique des Tsiganes n’a pas attendu de croiser le jazz pour se mêler à d’autres genres. C’est même une de ses caractéristiques principales : sa capacité à intégrer des éléments propres à la culture du pays d’accueil tout en préservant une identité forte. En Andalousie par exemple, ils ont adopté la guitare et la langue espagnole mais, par des effets vocaux particuliers, ont teinté leur flamenco d’une émotion qui distingue le style gitan du style andalou. En Hongrie, les musiques de danse (czardas) ou de recrutement militaire (verbunkos) ont été à l’origine de la musique dite tzigane. Cette musique de restaurant s’est développée en Europe centrale, puis s’est répandue dans toute l’Europe après l’abolition de l’esclavage des Tsiganes de Roumanie vers 1855, la mode gagnant les cabarets parisiens après la révolution russe de 1917. Au sein d’orchestres comprenant cymbalum et contrebasse, les primas, violonistes le plus souvent, enchantaient les spectateurs par leur virtuosité et leur expressivité. Que la musique soit jouée sans partition et que l’improvisation y tienne une grande place ajoutait au charme et à l’étonnement.

Ces traits (virtuosité instrumentale, expressivité affective, improvisation) sont propres à toute la musique tsigane et on en retrouvera également la trace dans le jazz manouche. Particularités d’autant plus facilement entretenues et transmises au sein d’une communauté que celle-ci est bien souvent rejetée par la population autochtone. Le sentiment d’appartenance au groupe s’en trouve accru et la musique acquiert un fort pouvoir identitaire qui contribue a en perpétuer les singularités.

Alain Antonietto, grand spécialiste des musiques tsiganes, souligne que la musique tzigane à la mode dans les années 20 s’est probablement introduite dans les roulottes des nomades par le biais des 78 tours et des phonographes. Il ne faut pas oublier que le genre avait conquis nombre de compositeurs classiques qui en réintroduisaient les échos dans leurs propres œuvres (Maurice Ravel et sa rhapsodie “Tzigane”, Pablo de Sarasate…). De plus, même si Django Reinhardt n’a jamais été un musicien tzigane, d’autres guitaristes qu’il côtoyait dès les années 20 se sont produits avec des orchestres de brasseries. On pense en particulier à Matelo Ferret, qui interprétera par la suite les deux compositions à l’accent véritablement tzigane composées - mais jamais enregistrées - par Django, ainsi que des thèmes traditionnels ou personnels “slavisants”.

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De la virtuosité

On veut parfois ne voir en Django qu’un musicien aux dons innés, archétype du Bohémien inculte mais naturellement doué pour son art. Cliché nourri par la méconnaissance et le mépris dont les Tsiganes sont souvent l’objet, ainsi que par la fascination que leur mode de vie génère dans une population depuis longtemps sédentarisée. Certes, Django Reinhardt fut un musicien précoce : avant l’âge de 6 ans, il jouait du violon dans l’orchestre familial qui parcourait les routes de la Belgique au sud de la France, interprétant sans doute des airs populaires et folkloriques, des valses et des chansons tsiganes. N’oublions pas toutefois que, comme beaucoup de Tsiganes, il a grandi dans la musique, celle-ci accompagnant les noces, baptêmes et autres événements de la communauté. Initiés dès leur plus jeune âge à un instrument, qu’ils pratiquent plusieurs heures par jour, les plus doués atteignent rapidement une technique effectivement impressionnante. L’enseignement étant dispensé essentiellement de façon orale par les membres de la famille, beaucoup (c’était le cas de Django) ne connaissent pas la théorie de la musique, ce qui entretient le mythe des musiciens prodiges. Quand Django réapprend la guitare avec une main blessée, il nous rappelle aussi la part de travail (de souffrance) et de volonté qui entre dans son jeu.

Un terreau fertile : la valse musette

A la fin de la première guerre mondiale, la famille Reinhardt, que le père de Django a quittée un peu plus tôt, installe sa roulotte près de Paris, porte de Choisy, dans ce qu’on appelle alors la Zone. Quartier insalubre, fait de bric et de broc, ou des cabanons branlants jouxtent les nombreuses roulottes des Tsiganes. Dans la capitale, outre la musique tzigane évoquée plus haut, la vogue est au musette. Si les accordéonistes sont les rois des bals et des guinguettes, ils trouvent des accompagnateurs de talent chez les banjoïstes Gitans. L’intérêt des Tsiganes pour les valses n’est pas nouveau. Les musiciens tziganes les ont inclus en nombre à leur répertoire. Sans doute familiarisés au style par leurs aînés et par l’intermédiaire du phonographe (le violoniste virtuose Fritz Kreizler, qui composait lui-même des valses, était très apprécié des Tsiganes), les Gitans vont naturellement intégrer les orchestres des accordéonistes musette : Mattéo Garcia est aux côtés d’Emile Vacher ; Gusti Malha, son gendre, créateur de la célèbre “Valse des niglos”, lui succédera avant d’accompagner d’autres stars du piano à bretelles (Louis Péguri, Fredo Gardoni, Albert Carrara…). Citons également les frères Ferret (Jean “Matelo”, dont on a déjà parlé, Pierre “Baro” et Etienne “Sarane”, dont on reparlera plus loin). Le jeune Django fait également partie de la bande. Il a appris le banjo et la guitare, perfectionnant sa technique auprès de Poulette Castro, Gitan légendaire, joueur de guitare et de bandura. Sa réputation de prodige du banjo croît dans le milieu du musette. Les accordéonistes Jean Vaissade et Marceau lui permettent d’enregistrer en 1928 ses premiers disques comme accompagnateur.

La valse musette va se trouver quelque peu bousculée par l’accompagnement de ces musiciens tsiganes, qui introduisent liberté rythmique et richesse harmonique dans un style plutôt “raide”. Tout le monde cependant n’apprécie pas leur fantaisie. Alain Antonietto rapporte que le directeur artistique de la maison de disques Gramophone avait reproché à Jean Vaissade son banjoïste “trop bruyant” ! Gitans et Manouches vont contribuer à l’éclosion d’un courant plus proche du jazz baptisé swing musette, illustré notamment par Gus Viseur et Tony Murena. Parmi les guitaristes, Baro Ferret s’est distingué dans ce répertoire.

La rencontre

Toujours en 1928, Django est contacté par Jack Hylton, alors à la tête d’un orchestre anglais de “jazz”. Néanmoins, il semble proposer au Manouche un contrat suffisamment alléchant pour le convaincre de rejoindre sa formation afin d’y tenir à la fois le banjo et la guitare. Le sort en décide autrement. La nuit même de sa rencontre avec Hylton, la roulotte de Django est détruite dans un incendie. Le musicien est sauvé de justesse, mais il est grièvement brûlé. Il échappe de peu à l’amputation d’une jambe et sa main gauche reste en partie paralysée. La musique semble désormais exclue pour lui… Pendant son hospitalisation qui durera un an et demi, il va pourtant réapprendre la guitare, élaborant une technique qui lui permet de composer les accords avec les trois doigts valides de sa main gauche (pouce, index, majeur). Peu après sa sortie, il part pour Toulon retrouver son frère Joseph “Nin-Nin”, avec qui il joue dans les rues pour gagner quelques sous. C’est là qu’aura lieu la rencontre déterminante avec la musique syncopée des Afro-américains. Au cours d’un séjour dans la préfecture varoise, le peintre Emile Savitry entend les frères Reinhardt. Il les invite à écouter quelques disques de jazz qu’il possède : Duke Ellington, Louis Armstrong, ainsi que le duo violon-guitare Eddie Lang et Joe Venuti. Pour Django, c’est une révélation.

2. PARCOURS DE DJANGO DANS LE JAZZ

Le jazz dans les années 30

“C’est l’exposé d’un thème (blues ou chanson) et une succession de variations improvisées (les chorus) sur les harmonies de ce thème ; le tempo est régulier” (Patrick Williams). Il est tentant de faire un parallèle entre la musique des Tsiganes et celle des Noirs d’Amérique du Nord. Parallèle historique : déracinement, esclavage, persécution, rejet, nécessité de reconstruire une identité propre à partir d’éléments de la culture ambiante ; parallèle musical avec le rythme régulier très marqué et cette place centrale accordée à l’improvisation. Du reste, des Tsiganes étaient présents en Amérique du Nord au moment de l’éclosion du jazz et il est probable que, parmi les nombreux ingrédients que ce style a fusionné, figurent quelques airs tsiganes… Néanmoins la musique des Tsiganes n’a pas atteint la dimension universelle du jazz, qui nourrit des cultures tout à fait différentes de celle dont il est issu. Elle reste une musique “que pratiquent entre eux les membres d’une communauté et en laquelle ils se reconnaissent” (Patrick Williams, encore).

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Né au début du XXème siècle à la Nouvelle-Orléans, le jazz est introduit en France par les soldats américains en 1917, après que les Etats-Unis se soient engagés dans le premier conflit mondial.

Gus Viseur : Un Pionnier de l'Accordéon Jazz Manouche

Contemporain de Jo Privat, Gus Viseur est l’un des premiers et des plus influents accordéonistes de jazz. Il nous a laissé des compositions merveilleuses, en particulier des valses swing musette dont les accordéonistes de cette époque ont le secret. Gus Viseur naît en 1915 à Lessines, en Belgique. La passion de l’accordéon lui vient de son père, lui même accordéoniste, qui fait donner des cours à ses enfants. En 1922, la famille s’installe en bord de Seine et Gus suivra des cours d’accordéon à Suresnes. Dès 8 ans, on le retrouve avec sa première formation instrumentale, le « Jojo Jazz ».

Gus Viseur a une appétence toute particulière pour le jazz, qu’il partage notamment avec l’accordéoniste Charles Bazin. Ensemble ils fréquentent les guitaristes jazz manouche et perfectionnent leur maîtrise de l’improvisation. En 1937, Gus Viseur enregistre son premier album et entre au Hot Club de France (dont le célèbre quintet est mené par un certain Django Reinhardt !). Gus Viseur, très proche du style jazz manouche, jouera notamment avec les frères Ferret, qui ont accompagné Django.

Peu après la guerre, son succès est moindre et il émigre au Canada en 1960 pour finalement revenir en France en 1969. Gus Viseur fait partie des premiers accordéonistes à pratiquer le jazz manouche et l’improvisation, des styles jusqu’alors quasi-exclusivement réservés aux guitaristes. Il propose ce swing si particulier que seul l’accordéon apporte, et qui influencera des générations d’accordéonistes.

Joseph Reinhardt : Un Héritage Familial

Né le 1er mars 1912 à Paris, Joseph Reinhardt est le frère de Django. En 1932-1933, il joue dans divers orchestres "Hot", notamment avec des pointures comme Arthur Briggs ou Coleman Hawkins. Il remplace parfois son frère comme soliste.

En 1934, il devient l'accompagnateur officiel du Quintette du Hot Club de France. Mais en 1937, il quitte le quintette du Hot Club, joue dans les orchestres d'Aimé Barelli et d'Alix Combelle, et enregistre ses premiers soli (avec Viseur, Combelle, Rostaing,...). En 1943, il enregistre sous son nom avec Claude Laurence (alias André Hodeir). En 1947, il enregistre à la guitare électrique dans le Hot Four de Stéphane Grappelli.

En 1957, Joseph reprend la guitare et tente d'achever la fameuse "Messe gitane" de Django. En 1958, il tourne dans le film "Mon pote le gitan" et participe à sa bande originale avec Jacques Verrières. Il enregistre un premier 25 cm, "Le quintette de Joseph Reinhardt joue Django" avec Pierre Ramonet au violon. Il apparait aussi dans le documentaire "Django Reinhardt" de Paul Paviot, et dans un court-métrage de J.C. Averty.

En 1961, il apparait dans "Paris-blues" de Martin Ritt. En 1965, il enregistre deux LP en trio et en quintet avec le violoniste Vivian Villerstein. Il n'enregistrera plus jusqu'à sa mort en 1982. En 1991, John Larsen a l'excellente idée d'éditer chez Hot Club Records un "Live in Paris" inédit, enregistré en 1966 à Paris par Alain Antonietto.

Tableau Récapitulatif des Figures Clés du Jazz Manouche

Nom Instrument Contribution
Django Reinhardt Guitare Inventeur du style jazz manouche
Gus Viseur Accordéon Pionnier de l'accordéon jazz manouche et du swing musette
Joseph Reinhardt Guitare Membre du Quintette du Hot Club de France, frère de Django
Matelo Ferret Guitare Interprète de compositions tziganes et collaborateur de Django

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