En ces temps d’une morosité plombante pour l’activité des salles obscures, « Le Moine et le Fusil », le deuxième film du réalisateur bhoutanais Pawo Choyning Dorji souffle un véritable vent de fraîcheur. Sorti le 26 juin 2024, ce film est une fenêtre ouverte sur le Bhoutan, un pays en mutation.
Le film raconte comment les habitants de ce pays aux rites ancestraux opèrent un virage radical de la monarchie absolue vers la démocratie. Le pays s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision... et la démocratie.
2006. Le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision... et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des "élections blanches". Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Dans une province montagneuse reculée, un moine décide d'organiser une mystérieuse cérémonie le jour du vote et charge l'un de ses disciples de trouver un fusil.
Au cœur d’une région isolée du Bhoutan, une envoyée gouvernementale s’est vue chargée d’apprendre à la population locale comment voter en organisant des élections blanches. Pendant ce temps, notre moine d’une simplicité et d’une bonhomie exemplaires s’est mis en quête de ces armes. Il va se trouver confronté à un américain qui, accompagné de son guide, est à la recherche d’un fusil très rare, qu’il est prêt à payer très cher.
Pawo Choyning Dorji jette avec ce film un regard à la fois amusé et tendre sur son pays, si singulier, dans lequel la démocratie est instaurée sans violence, sans même que le peuple ait exprimé son désir de changer un régime séculaire qui semble lui convenir. "Les gens apprennent encore à être en désaccord, ce qui ne va pas de soi dans notre culture" explique Pawo Choyning Dorji.
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Gentiment, avec humilité, Pawo Choyning Dorji nous dit que ce qui nous paraît bon et indispensable n’est pas forcément la panacée pour d’autres. En prenant de la hauteur avec un humour bon enfant empreint de candeur, il pointe avec délicatesse les défauts des qualités de notre humanité.
Une vieille femme commente la venue de la démocratie en disant : "pourquoi vous nous apprenez à être impolis ?" lorsque le chargé de mission exhorte l’attroupement de villageois à ne pas être d’accord et à s’opposer les uns aux autres. Idem lorsque la femme d’un fervent partisan du candidat du développement industriel rétorque qu’ils sont déjà heureux face à ces élections censées leur apporter le bonheur.
Dans un pays où l'on mesure la richesse en "Bonheur National Brut", les habitants, très attachés à leur souverain, et respectueux de l'enseignement et à la spiritualité bouddhiste, ne comprennent pas bien l'intérêt d'instaurer la démocratie, ni les enjeux d'une élection. "Nous n'avons pas besoin de la démocratie", déclare une villageoise, avant d'ajouter "Nous sommes déjà heureux".
La poursuite du « bonheur » peut être considérée par certains comme une abstraction, ou comme un vœu pieux. Pour les Bhoutanais, il ne s’agit pas d’un gadget marketing, mais bien d’une ligne directrice, ancrée dans leur culture et leur spiritualité. Le Bonheur National Brut est le principe directeur de leurs activités de développement, et il est la vision à laquelle leur peuple et leur nation aspirent.
Déployé comme une fable moderne, ce film ouvre une fenêtre sur une culture aux antipodes de la culture occidentale, et sur un pays qui adopte par nécessité des fonctionnements qui lui sont étrangers, sans révolte, mais en y intégrant ses propres codes, ses propres rituels, sa propre culture. Le dépaysement est cependant garanti et il ne faut pas bouder son plaisir devant ce film modeste et charmant.
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Le film montre qu’un pays doit évoluer tout en gardant ses traditions. Une humanité à l’ingénuité confondante irradie ce conte qui mêle avec grande justesse une culture ancestrale et l’incursion d’une contemporanéité importune.
En effet, le film montre qu’un pays doit évoluer tout en gardant ses traditions. D'ailleurs, son premier film L’Ecole du Bout du Monde sorti en 2019 opposait déjà une culture ancestrale avec le monde moderne. Son deuxième film, Le Moine et le Fusil, est une savoureuse illustration de l’intrusion d’une frange de modernité au sein d’un monde préservé.
La musique a été composée par Frederic Alvarez.
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