La famille des signes en arbalètes et arbalétiformes pose des problèmes intéressants en raison de leur caractère exemplaire pour une grande partie du corpus des gravures linéaires.
À lire les auteurs qui se sont penchés sur le sujet, il apparaît que la famille des signes en arbalètes et arbalétiformes pose deux problèmes que leur caractère exemplaire pour une grande partie du corpus des gravures linéaires rend particulièrement intéressants.
Le premier est d’ordre chronologique. Après avoir longtemps considéré les signes en arbalète comme des marqueurs de l’Âge du Bronze puis de la fin de l’Âge du Fer, on admet aujourd’hui, dans le sillage de Lucien Gratté puis de Pierre Bellin, la possibilité de représentations médiévales et même modernes de véritables arbalètes.
Voilà dès lors le second problème posé : que représentent les motifs en arbalète et, par extension, que signifient-ils ? Alors qu’il y a trente ans à peine, on refusait de reconnaître l’arbalète, même lorsqu’elle était dessinée de façon très réaliste et dans la main d’un personnage, on aurait tendance aujourd’hui à tirer un trait sur les interprétations trop symboliques de l’Abbé Glory, qui ne voyait dans les signes en arbalète que des représentations d’archer - et pour cause, puisqu’il les datait de l’Âge du Bronze.
Les mauvais services rendus à l’étude du sens des gravures par des propositions de datation souvent précipitées et pour lesquelles nous ne disposons encore que de trop peu d’éléments, nous ont incité à ne considérer que l’aspect formel et sémantique de la question. Ce parti-pris nous semble d’autant plus justifiable que, pour tenter d’établir une chronologie, il faut en préalable avoir défini son objet. Or, de ce point de vue aussi, le travail reste à faire. Ayant nommé les signes, arbalète, arbalétiforme, arciforme, nous croyons les connaître. Mais nous nous complaisons en fait dans l’ambiguïté que le manque de rigueur des termes entretient, ambiguïté confortable qui nous dispense encore de nous prononcer.
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Car la question du sens des signes en arbalète - et par extension de la totalité des gravures - pose à l’archéologue un problème épineux. Lui, que sa vocation porte vers l’étude des indices matériels, la trouve ou trop évidente pour être traitée, s’il ne s’agit que de l’arme, ou impossible à résoudre, si le symbolisme entre en jeu. Qu’il s’y risque seulement et le premier dictionnaire des symboles lui prouvera que tout est dans tout et réciproquement, et qu’il n’y a donc rien à espérer de ce côté-là.
Puisque l’approche de ces motifs s’annonce aussi décevante par le biais du code trop lâche de la symbolique universelle que celui de la chronologie, nous proposons une étude « de l’intérieur » qui visera, après une étape consacrée au problème de l’ambiguïté des termes, à disséquer les motifs pour essayer de comprendre leur construction. Cette démarche nous conduira à nous interroger sur les mécanismes selon lesquels le système de communication des gravures rupestres « signifie » et sur les limites d’une comparaison avec le langage. Dans la mesure où elle seront posées, nous nous servirons de quelques outils linguistiques au sens large pour étayer notre analyse et parvenir à quelques hypothèses de signification.
Pierre Bellin, dans un article intitulé « La question des fossiles directeurs dans l’art schématique protohistorique » pose de la manière suivante la question des signes en arbalète : d’un point de vue chronologique, il apparaît aujourd’hui que l’hypothèse selon laquelle cette famille de signes a pu être considérée comme un fossile directeur de l’art schématique du Néolithique à l’Âge des métaux est révolue. Renvoyant à l’ouvrage de Lucien Gratté qui confirme les doutes émis par lui-même dès 1974, il attire l’attention sur « la répétition de ces motif - que l’on trouve aussi au Moyen Âge - à travers la Protohistoire et l’Histoire ».
En matière de signification, la fusaïole d’Arnoux, mais aussi la fréquence des signes en arbalètes tenues en main par des anthropomorphes doivent inciter à revenir sur l’interprétation quasi unanime du signe en arbalète comme anthropomorphe. « Le signe en arbalète, lu souvent comme un anthropomorphe en arbalète [...] est dans bien des cas une arbalète vraie, dit-il. En fait, des anthropomorphes ont parfois été appelés signes en arbalètes qui n’auraient dû l’être. Des figurations humaines schématiques et des figurations d’arbalètes vraies ont été confondues sous le même vocable qui ne convient pas ni aux unes, ni aux autres ».
Laissons de côté les questions chronologiques posées par Pierre Bellin, et intéressons-nous de plus près à ces dernières lignes, qui mettent en évidence les contradictions engendrées par l’imprécision du vocabulaire.
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Définir un motif comme « signe en arbalète » ou « arbalétiforme », relève de la description : il est en forme d’arbalète. « Lire » un signe en arbalète comme un « anthropomorphe » ou une « arbalète vraie » constitue une autre opération effectuée à un autre niveau, celui de l’interprétation du sens du motif. La confusion vient du fait que les mêmes termes sont employés lors des deux phases de l’analyse : arbalétiforme sensu stricto en forme d’arbalète finit par signifier aussi « à sens d’arbalète ». La situation se complique encore lorsqu’on oppose deux termes aussi équivoques que « arbalétiforme » et « anthropomorphe ». Car, comme l’arbalétiforme, l’anthropomorphe recouvre deux notions : représentation en forme d’homme et/ou représentation de l’homme. L’amalgame se produit alors inévitablement lors de la combinaison - aléatoire - des différents sens de ces deux termes.
L’étude du cas des arboriformes, plus familier, permet d’élargir le débat. Jean Abélanet y voit, à la suite de l’Abbé Breuil, « une schématisation poussée de la silhouette humaine : tête, bras, jambe, ornements corporels devenus autant de branches de l’arboriforme ». La confusion est ici introduite par l’emploi du terme de « schématisation ». Sur le plan graphique, un arboriforme ne peut en effet résulter que de la schématisation de l’arbre et s’il « rappelle » la figure humaine, il n’en est issu que par déformation et glissement de sens. Cette définition de l’arboriforme comme schématisation de la figure humaine permise ici encore par la confusion entre sens et forme du motif sous un même vocabulaire et sur un même niveau, conduit immédiatement à faire des arboriformes un sous-ensemble des anthropomorphes. Or, il arrive que le terme désigne aussi des palmettes ou d’éventuels motifs à « sens d’arbres ».
La même imprécision des termes, en empêchant de distinguer clairement forme et sens, aboutit paradoxalement chez Pierre Bellin et chez Jean Abélanet, à deux résultats opposés. Pierre Bellin, reprochant de « confondre sous un même vocable, qui ne convient ni aux unes, ni aux autres » des figurations humaines schématiques et des figurations d’arbalètes, voulait dissocier totalement les deux ensembles des anthropomorphes et des arbalétiformes. Jean Abélanet, assimilant arboriformes et anthropomorphes par le biais d’une schématisation, faisait des premiers un sous-ensemble des seconds.
La reconnaissance de l’ambivalence de chacun de ces termes permet de dépasser cette contradiction. Si sur le plan formel, les trois ensembles des arbalétiformes, des arboriformes et des anthropomorphes s’excluent, comme sur le plan du sens, la projection d’un plan sur l’autre fait apparaître des « intersections » et permet de comprendre comment un arbalétiforme et un arboriforme peuvent être anthropomorphes, au sens d’anthroposémiques.
Cette distinction de deux plans de perception du dessin, l’un formel, l’autre sémantique, doit imposer, dans l’étude des signes gravés, le respect d’un principe : ne pas mélanger les niveaux d’analyse. C’est alors à la morphologie qu’il faut accorder la priorité, puisque la forme, donnée concrète, matérielle, se prête à un examen objectif. La recherche du sens, le plus souvent caché, ne peut venir qu’en second lieu.
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Une telle démarche requiert une redéfinition des termes arbalétiforme, arbalète, arciforme, arc, etc., outils de travail dont les attributions doivent désormais se limiter à décrire la forme des motifs, sans préjuger de leur signification (la tournure « à sens de » ou le suffixe -sémique seront utilisés pour indiquer l’analyse du sens du motif).
L’origine de l’arbalète est revendiquée par deux pays : la Chine et la Grèce. Pour ce dernier, les témoignages ne portent que sur des catapultes, techniquement très proches de l’arbalète, qui apparaissent vers 400 avant J.-C. En Chine, des mécanismes de détente en bronze ont été découverts lors de fouilles archéologiques : ils dateraient du début du IIe siècle avant J.-C. En France, la présence d’arbalète avant l’ère chrétienne est attestée au moins à deux reprises. L’une sur la fusaïole d’Arnoux, à Dardes dans l’Ardèche, l’autre sur le cippe funéraire de Solignac déposé au musée Crozalier du Puy-en-Velay et qui daterait des alentours du IVe siècle avant J.-C. Bien que beaucoup plus récente que l’arc, l’arbalète aura marqué le paysage guerrier du « monde civilisé » dès l’Antiquité et jusqu’à l’apparition des armes à feu. Elle connaît son apogée militaire au Moyen Âge, alors qu’elle est restée très discrète aux précédentes périodes.
Malgré son évolution au cours du temps, l’arbalète se caractérise par des critères techniques très précis et se compose, en règle générale, de six éléments principaux :
Au Moyen Âge, deux sortes de systèmes mécaniques permettaient de tendre des arcs de grande puissance. Le premier se composait d’un petit treuil à manivelles fixé à l’arrière du fût. Le deuxième, conçu à partir d’un engrenage appelé craquelin, apparut au début du XVe siècle. C’est alors que l’arbalète, pourtant à l’apogée de sa technique, perd du terrain devant la concurrence des armes à feu.
L’origine de l’arc n’est pas connue avec certitude ; il est probablement né presque simultanément en plusieurs points du globe. Certains le considèrent comme le descendant direct du propulseur du Paléolithique et en situent l’invention à la fin de cette période. Ce qui est sûr, c’est que, dès le Ville millénaire, on trouve dans de nombreux sites archéologiques des pointes de flèches en silex, qui prouvent indiscutablement sa présence au Mésolithique. Il ne cesse alors de se développer et demeure très répandu au Moyen Âge.
Dans l’art rupestre, les plus anciennes représentations de l’arc sont connues en Espagne vers 6000 ans avant J.-C., sur les sites du Levant espagnol. D’un point de vue chronologique, surtout sur les roches gravées, l’arc reste un très médiocre indicateur en raison de sa longue perduration dans le temps. Dans les fouilles archéologiques, le problème se pose différemment. Bien que les éléments qui constituent l’arc lui-même ne se conservent pas, les armatures de flèches, généralement taillées dans du silex, sont pratiquement indestructibles. Leur typologie très affinée offre alors d’excellentes possibilités de datation.
Établir la fiche technique de l’arc se résume à énumérer deux éléments : l’arc lui-même « tige souple » et la corde attachée à ses deux extrémités.
En nous référant aux caractéristiques de nos modèles - les armes véritables - nous définirons de la manière suivante les motifs de la famille des signes en arbalète.
Il faut bien comprendre que ces deux définitions s’entendent au niveau formel, graphique. Elles sont en effet, établies par référence au degré de ressemblance entre « l’objet-arbalète » et le « dessin-arbalète » (ou arbalétiforme), sans préjuger de son sens. Ainsi, un dessin classé parmi les arbalètes et donc figuratif par rapport à l’objet-arbalète peut, en fait, représenter par métaphore ou allégorie, un homme. À l’inverse, un arbalétiforme muni d’un arc inversé et sans mécanisme de détente pourrait - maladresse du dessinateur ou déformation volontaire - représenter l’objet-arbalète, malgré le manque de réalisme du dessin.
Reste maintenant à traiter du terme « arciforme », selon nous peu justifié. Jean Abélanet l’utilise pour nommer un arbalétiforme sans jambe latérale. Or, la différence technique fondamentale entre l’arc et l’arbalète ne réside pas dans cet accessoire qu’est le mécanisme de détente mais...
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