Les conditions météorologiques ont joué un rôle important pendant la Première Guerre mondiale, en particulier la pluie et la boue dans les tranchées. « Ce simple mot, pluie, qui ne signifie rien pour un civil ayant un toit au-dessus de la tête, contient à lui seul toute l’horreur pour un soldat sur le champ de bataille », écrivait Blaise Cendrars dans le journal de tranchées L’Horizon de juillet 1918. Les années 1915 et 1916 ont été parmi les plus pluvieuses depuis 1877.
Dénombrement des jours de pluie : 648 jours sur les 1 563 du conflit, près de la moitié du temps. Une journée sur trois fut même très arrosée, avec un cumul d’averses supérieur ou égal à 3 mm, soit 3 litres par mètre carré. Au total, une vingtaine de ces épisodes sur plus d’une centaine fut singulièrement perturbée, avec des précipitations abondantes et un vent fort. Ce fut, entre autres cas, celui de décembre 1914 (…). Ce type de temps s’est répété en janvier 1915, avec une intensité plus marquée du 1er au 17 de ce mois (…). »
Dans certains secteurs du Front, cette pluie engendrait la boue, sale et gluante, hideuse et épaisse : « Pour peu que le sol s’y prêtât, le piétinement des hommes et des chevaux détruisait la terre, la malaxait avec le sable et avec l’eau pour en faire une sorte de soupe plus ou moins épaisse et parfois profonde de plus d’un mètre.
Adieu le sol sec et sablonneux des Vosges, la poussière de Champagne, ici, c’est la boue qui règne en maîtresse, enlise les guetteurs, empêche tout mouvement. La boue happe les blessés. Collé au sol par la glaise, le fantassin ne peut bouger ; souvent l’eau gèle autour de ses jambes. Il faut geler là, mourir là. La fusillade infernale n’arrête ni jour, ni nuit.
Le caporal Louis Barthas témoigne lui aussi sur le secteur de Vermelles, dans le Pas-de-Calais en novembre 1914 : « Je vis arriver venant des lignes trois habitants des tranchées. Je les regardai avec effroi ; ils étaient couverts de boue de la pointe de leurs souliers à la calotte de leur képi, comme s’ils venaient de traverser un lac de vase. Mais voilà qui est bizarre, ces trois revenants de l’âge des cavernes me font des signes ! Ils m’appellent par mon nom. Je suis stupéfait, ils me serrent les mains, m’embrassent.
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« Enfin le jour parut, il nous semblait être délivrés d’un danger terrible. Ce n’était pas une pluie fine, tranquille, une bonne pluie d’hiver, comme on dit chez nous, mais une pluie battante, cinglante à grosses gouttes d’orage, à croire que Dieu déclenchait un second déluge pour éteindre la folie de ses créatures. Et la pluie tombait toujours, elle tomba toute la nuit ; les parois de la tranchée s’éboulaient et, malgré la pente très vive, en certains endroits l’eau s’accumulait, arrêtée par les éboulements. Au fond le ruisseau montait, les eaux s’étendaient, s’avançaient vers nous en un vaste étang, les sentinelles ne veillaient plus, fuyant cette inondation, cet enlisement.
« Hélas ! en même temps la température baissait effroyablement […]. Nos capotes, nos couvertures mouillées se raidissaient en gelant, nos pieds devenaient inertes de froid, je dus me déchausser en dépit de la défense formelle et me les frictionner vigoureusement avec un peu d’eau-de-vie tenue en réserve, puis les envelopper dans le coin le plus sec de ma couverture. A la pointe du jour le ravitaillement ne put nous servir le jus si impatiemment attendu : il s’était gelé dans le bidon en chemin. (Voir notre page sur les souffrances dans le froid des tranchées) »
Ces planches assemblées - les caillebotis - et les chemins de rondins alignés au-dessus des caniveaux selon le procédé du schlittage assuraient la circulation dans les tranchées et boyaux et autour des baraquements.
Louis Barthas témoigne : « Le 29 février [1916], notre bataillon partit à six heures du soir pour aller en première ligne relever un des bataillons qui s’y trouvaient. A partir du village, il fallut traverser une plaine marécageuse sur des pistes en caillebotis et cela sur une longueur de plusieurs kilomètres. Cette marche sur ces planches boueuses, glissantes, en mauvais état, rendait notre marche très dure et plus d’un piqua une tête dans la neige ou la boue.
Cet « hiver particulièrement humide, très pluvieux et venteux, qui participa à la dégradation de l’état physique et moral de dizaines de milliers d’hommes mal préparés à supporter ces premiers mois d’une guerre nouvelle.
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Il pleut à verse sur Neuville-St-Vaast : « C’est une longue journée abrutissante qui brise plus qu’un jour fiévreux de combat. Il pleut à verse, et le boyau de Neuville devient le torrent de Neuville. La canonnade est incessante. Il fait froid, on est trempé jusqu’aux os et couvert de boue sur tout le corps ; tout l’attirail de guerre qu’on traîne après soi (fusil, sac, équipement) nage dans un liquide gluant et froid, et les éclats d’obus ne cessent de pleuvoir autour du boyau. Tous nos abris sont intenables, les uns sont écroulés, les autres sont transformés en petite citerne, et l’eau ruisselle sur nos épaules. Le canon est implacable, et départs et éclatements se succèdent sans interruption. Les blessés sont affreux à voir ; ils se réunissent au pied du calvaire qui est l’intersection de nombreux boyaux, et, là, la mare de boue se teinte de sang.
Un an plus tard, un autre exemple de trêve a lieu dans les mêmes conditions. Il a été relaté par le colonel Despierres du 239e R.I. : Journée du 4 octobre 1916 : ” Je vais faire la tournée du secteur en suivant la première ligne. Je ressens une impression inimaginable ; des deux côtés, boche et français, les tranchées sont envahies par l’eau. Il y a une profondeur de près d’un mètre. C’est dire que ces tranchées ne peuvent plus être occupées par les éléments de première ligne. Tout le monde est sur le parapet. Les Boches à dix mètres nous regardent avec indifférence. C’est une véritable trêve qui paraît être conclue entre les deux partis. On ne cherche qu’une seule chose, c’est vivre comme on peut et surtout échapper à cette humidité croissante qui, par les froids qui commencent, devient impossible à supporter.
D’abord interdits à cause de leur couleur… « Le 18 avril [1916] à huit heures du matin nous quittâmes Villers-le-sec. Comme par dérision la pluie tombait à fortes averses ; chacun se protégeait comme il pouvait, la plupart nous avions des imperméables anglais que les « Tommies » nous avaient vendus ou échangés, d’autres mettaient un capuchon, une toile de tente. Tout à coup je crus avoir mal entendu ; on faisait passer l’ordre d’enlever les imperméables et cela au moment où la pluie redoublait. Il s’était sans doute souvenu tout à coup qu’une circulaire parue il y avait quelques jours interdisait le port d’imperméables qui ne seraient pas de la couleur bleue, seule tolérée à l’instigation sans doute de quelque fournisseur.
« Un jour avec mon escouade, je fus chargé d’aller au P.C. du colonel prendre des vestes imperméables huilées ou goudronnées. Nous portâmes tout cela au P..C. du capitaine qui se trouvait dans un tunnel. […] Dans un des nombreuses pièces, notre capitaine s’était installé, passant ses nuits à ronfler et ses journées à jouer, boire et manger. Il était sans doute dans l’intention très louable de ceux qui qui avaient envoyé ces bottes qu’elles étaient destinées en premier lieu aux sentinelles obligées de rester immobiles des heures entières aux postes d’écoute, les pieds dans la boue ou la neige, mais officiers, adjudants, sergents, ordonnances, etc., se jetèrent sur ces bottes comme un vol de corbeaux sur une proie, sous l’œil complice du capitaine qui avait lui-même donné ce scandaleux exemple.
La première toile de tente n’arrive que fin novembre 1914 : « Enfin on nous avait distribué une toile de tente à trois, sans nous dire s’il fallait la tirer au sort, en jouir un jour chacun, ou la partager en trois.
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« Le soir, à nuit close, notre bataillon devait aller occuper les premières lignes. A l’heure fixée nous partîmes en suivant ce boyau « Rascas » qui bientôt ne fut plus qu’un petit fossé boueux, comblé par endroits. Pourquoi et comment l’ordre vint-il de s’arrêter en cet endroit ? Comme si ce n’était pas assez de cette attente énervante, la pluie se mit à tomber drue et serrée ; l’eau ne tarda pas à s’infiltrer dans le fossé, à submerger les souliers ; les casques se transformaient en compte-gouttes ; de notre sac de petites cascades dégoulinaient sur les reins, les épaules, le long des bras, et il faut attendre encore on ne sait qui ou quoi ; la nuit était tout à fait noire. Allait-on nous laisser englués dans ce bourbier ? »
« La température, loin de s’améliorer, devenait effroyablement froide ; à des bourrasques de neige succédaient des averses de pluie. IL fallut renoncer à épuiser l’eau des tranchées, il y en avait en certains endroits d’une hauteur de cinquante à soixante centimètres. Pour passer, certains se déchaussaient, relevaient leurs pantalons comme des pêcheurs d’écrevisses, d’autres s’enveloppaient les jambes et les pieds avec plusieurs sacs à terre. Ces souffrances inouïes exaspérèrent les soldats. Un vent de révolte souffla ; à la fin, c’était trop. »
- Mon capitaine, intervient Martin timidement, il y a d’autres obstacles. Quand nous avons attaqué en septembre, le temps était à la pluie et les fusils, recouverts de boue, refusaient tout service. Ils étaient deux fois plus lourds au portage et leur mécanique s’enrayait. « Jean vient de faire la preuve que tout homme solide, en possession de ses moyens, peut tirer normalement au FM, à condition de « décaler le corps » […] Dans toute équipe de trois - le tireur et ses deux assistants -, chacun doit pouvoir démonter et nettoyer. Lutter contre la boue est le premier devoir. Tenir l’arme propre est une sauvegarde.
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