À Onnaing, derrière une maison gris-bleu qui tranche avec les traditionnelles briques rouges du nord, se trouve une petite impasse. Le club est dans la ville. Sur le stand de tir semi-abrité, la pelouse s’éclaire, de temps en temps, au rythme du soleil qui joue avec les nuages.
Le visage d’un athlète d’exception, qui pratique à très haut niveau un sport qu’il n’a commencé qu’à l’âge adulte. À 42 ans, Le Lillois Christophe Tanche connaîtra, à Tokyo, ses deuxièmes Jeux Paralympiques. Le summum de la compétition. Justement, la compétition, il adore. Il aime quand tout se joue au mental. Sur de l’infiniment petit. La précision chirurgicale. Quand il faut composer avec la lumière, l’air, le vent. Sa distance préférée ? Le tir à 50 mètres, à la carabine.
Nous sommes au début des années 2000. Il a 21 ans ce matin d’une banalité absolue, quand retentit, comme tous les matins, le coup de sonnette du facteur qui apporte le courrier dans la maison familiale. Ce dernier pratique le tir sportif et au détour de la conversation, il propose au père de Christophe d’essayer. « Jusque-là, l’idée de faire du tir ne m’avait même pas traversé l’esprit ! Cinq ans plus tard, Christophe Tanche est déjà champion d’Europe de tir à la carabine ! C’est une nouvelle vie, une nouvelle passion qui commence.
Pendant toute son adolescence, Christophe a pratiqué l’athlétisme. 100 m, 200 m, longueur, triple saut. Il a même disputé, une année, les championnats de France dans les quatre disciplines. Un peu plus tôt, il avait été surclassé de minime en cadet pour … les championnats de France de badminton ! Il a ensuite joué au tennis. Dingue de sport, celui qui défoule. « Tout ce qui bouge », dit-il. Puis tout s’arrête, brutalement. Accident de scooter, peu avant ses dix-huit ans. Il ne roulait pas vite, la chute n’est pas brutale. Mais les conséquences sont graves. Lésion de la moelle épinière. Paraplégie. Alors la découverte du tir, quelques années plus tard est comme une renaissance. Christophe renoue avec son amour de toujours. « Pour moi, le sport rime avec compétition. Je ne le conçois pas comme un loisir. Le jour où j’arrête ma carrière de tireur, je ne pense pas continuer juste pour le plaisir… Sauf si j’enseigne.
Cela lui manque, d’ailleurs, en cette année de crise sanitaire. Il ne peut plus entrainer les enfants en situation de handicap, le mercredi matin. Il leur a fait découvrir le tir et y a pris goût. Alors plus tard, pourquoi ne pas entrainer des tireurs confirmés, les faire progresser. Et certainement dans son club de toujours. Sur le stand de tir du 50m, les petits drapeaux rouges en forme de ruban s’agitent. Ils jalonnent le parcours jusqu’à la cible et indiquent le sens et la force du vent, donnée indispensable pour le tireur. Et il y en a souvent, du vent, dans ce département du Nord que Christophe Tanche n’a jamais quitté. Il doit composer avec les conditions climatiques. C’est surtout dès que la balle sort de la carabine, puis dans ses premiers mètres, que le vent influence sa trajectoire. Comme la balle a une rotation gauche-droite et que le vent vient de gauche, il la « poussera » en bas à droite. « Il faut tenir compte du vent mais la pluie est aussi très gênante car elle mouille les drapeaux. Ils sont donc plus lourd, volent moins et donc n’indiquent plus fidèlement la force du vent. Mais les conditions, chez nous, sont souvent bien moins compliquées à négocier qu’au stand de tir de Bordeaux, par exemple, où les tireurs à 50 mètres doivent aussi tenir compte des marées !
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Jean-Marc Gabelle, vice-président du club d’Onnaing, aide son ami à enfiler sa veste de tir. Au décès du père de Christophe, en 2014, Jean-Marc est devenu naturellement l’assistant du champion. Il l’aide à décharger sa voiture, à sortir son énorme sac de plus de vingt kilos, à porter la valise aux deux carabines, encore plus lourde. « C’est un aide indispensable au quotidien ! Il a succédé à mon père. Il m’accompagne sur les compétitions régionales et nationales. Mais c’est moi qui conduis la voiture ! Pendant le confinement, surtout celui de l’année dernière, il était la seule personne que je voyais, pratiquement mon seul contact… ! Jean-Marc Gabelle est formel. En vingt ans de « quasi » vie commune, Christophe ne s’est jamais plaint de son handicap, n’a même jamais évoqué l’accident de scooter. Au contraire. « Il est fan de l’émission Top Chef, sur M6 ! Sur la route, nous parlons souvent cuisine. Mais aussi de politique ou de foot. Son ami de jeunesse, Marc Boulongne, lui aussi Valenciennois, ne s’intéresse pas du tout au foot. Il ne lui tient donc pas rigueur de cette préférence. « Il était impressionnant sur le triple saut. Il faut de sacrés appuis et il était très fort.
Quand il ne tire pas, Christophe Tanche est commercial pour une entreprise de fournitures de bureau, Lyreco à Marly, tout près de Valenciennes. Il y travaille un peu plus d’un mois par an. Avec Marc Boulongne, ils se sont retrouvés en études de technique de commerce. « Il a de sacrés atouts pour le métier de la vente. Il a du bagout, il s’exprime très bien. Et il a une grosse culture, de l’Histoire de France notamment. Ces derniers mois, Christophe Tanche se consacre exclusivement à l’entrainement. Tantôt à l’INSEP, la maison du sport de haut niveau dans le bois de Vincennes à Paris, l’équivalent de dix jours par mois.
« L’approche est complètement différente. J’ai une préférence pour le 50. « Il commence à peine sa carrière sur 50 m ! Handisport pour rejoindre celle du Tir, début 2017, tout s’est professionnalisé. Nous travaillons avec des entraineurs spécialisés, nous bénéficions de plus de moyens et d’outils comme le SCATT… Christophe a l’avenir devant lui ! Jouer avec les éléments, Christophe Tanche aime ça. Il est dans le défi. En revanche, il n’est pas un grand fan de la préparation mentale. « Je ne suis pas du genre à me poser et faire des exercices mentaux. Je suis plutôt dans l’échange avec l’entraîneur.
Eric Viller, entraineur fédéral de la carabine n’hésite pas à élever la voix. « C’est lui qui, spontanément, a tenu à m’appeler « coach ». J’ai trouvé que c’était une belle marque de respect. Question surnom, « coach » en a trouvé un à son élève. Si Christophe était peintre, celui de « Picasso » serait un compliment dans la bouche de son entraineur. Mais en l’occurrence, c’est une petite pique qu’il lui lance régulièrement. Elle fait référence au SCATT, instrument d’analyse sur ordinateur du bougé de la carabine. Le tracé vert qui reproduit le mouvement à l’entrée en cible n’est pas très rectiligne et évoque plutôt la peinture déconstruite du grand maitre espagnol ! Car Christophe marche aux sensations. « En revanche, il n’hésite pas à essayer, à modifier, à tenter de nouvelles choses. Cela va avec son caractère.
Comme après chaque séance d’entrainement, Christophe Tanche nettoie son canon, qui s’encrasse très vite et peut modifier la précision de la balle. « Son défaut, c’est le lâcher, c’est-à-dire la pression sur la détente. Christophe reviendra demain, puis tous les autres jours où ira à Paris, bois de Vincennes. « Le dimanche ! Je me repose. Notamment les épaules. Surtout la gauche, celle qui soutient la sangle et donc la carabine. Et qui est, déjà, très sollicitée pour tourner les roues du fauteuil pour tous les actes de la vie quotidienne. Mais pas question de se plaindre. « Le handicap ? Je n’y pense plus. Surtout à l’approche de ce qu’il aime par-dessus tout. La compétition.
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