L'expression "tirs au but" est utilisée pour désigner la manière par laquelle deux équipes, qui s’affrontent dans un match à élimination directe, se départagent lorsqu’elles sont toujours à égalité à l’issue de la prolongation. Elles s’affrontent alors lors de la séance de tir au but: après un toss, qui permet de définir de quel côté la séance se déroulera et quelle formation commencera, chacune des deux équipes désigne cinq tireurs, qui se présentent successivement face au gardien adverse et tentent de marquer.
Si les deux équipes sont toujours à égalité au terme de ces cinq tentatives, la séance se poursuit à la mort subite, jusqu’à ce qu’une des deux équipes prennent l’avantage à nombre de tirs égaux. Contrairement à un penalty, le joueur dont le tir serait repoussé par le portier ne peut pas reprendre la balle. La séance de tir au but est particulièrement éprouvante nerveusement, cruelle pour l’équipe vaincue, et demande donc aux tireurs beaucoup de sang-froid. Certains gardiens sont par ailleurs des spécialistes de cet exercice.
La séance de tirs au but est une guerre psychologique. "Les tirs au but, ce n'est pas une loterie, nous renseigne Christophe Revel, ancien entraîneur des gardiens du Maroc, de l'OL, de Rennes et de Brest aujourd'hui. C'est un exercice qui se prépare techniquement et mentalement à l'aide de répétitions de gestes, de situations, se rapprochant tant bien que l'on peut de la réalité. Le plus important étant de rendre le gardien de but acteur de ce moment, de le mettre à l'aise et de lui enlever toute pression pour optimiser ses chances de réussite."
De son côté, Cédric Carrasso, deuxième gardien à avoir arrêté le plus de penalties en L1 depuis 2006, nous confie: "Je ne vois pas ça comme une loterie mais comme une opportunité pour le gardien. Il y a bien sûr une bonne part d'intuition et d'observation. On donne des renseignements au gardien, c'est une aide mais pas une science exacte. Après, moi, à partir du moment où j'entrais sur le terrain, j'observais tout. L'échauffement des adversaires, leur tendance pendant le match, est-ce qu'untel tire croisé ou pas? A partie de tout ça, je prenais ma décision."
Andrew Redmayne a une carrière tout à fait modeste dans le championnat australien et ne compte que quatre sélections, mais il est pourtant devenu un héros national le 13 juin 2022 au cours des barrages qui enverront l'Australie à la Coupe du monde au détriment du Pérou. En Australie, on l'appelle "Grey Wiggle" (ndlr : le "Wiggle gris"). Plus fourbe encore, il s'empare de la gourde du gardien péruvien où figure quelques indications sur les tireurs australiens et l'envoie balader dans les tribunes. Entré en jeu quelques secondes seulement avant la séance de tirs au but, il gesticule grossièrement sur sa ligne de but, reproduisant les mouvements d'une danse du groupe australien "The Wiggles" et gagne, au passage, un surnom pour la postérité. Le but est clair : déstabiliser l'adversaire.
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Plus original encore, Redmayne a accompagné tous les tireurs australiens jusqu'au point de penalty les protégeant des manipulations mentales adverses. Le Pérou ratera deux tentatives et regardera la Coupe du monde depuis son canapé. Mission accomplie. Redmayne s'expliquera après le match : "C'était une question de vie ou de mort alors, même si cela va à l'encontre de tous mes principes moraux d'être ce genre de personne…"
Tous les moyens sont bons comme ceux utilisés par the "Grey Wiggle" ce jour-là. Une étude, citée par The Telegraph et portant sur toutes les séances de tirs au but des Coupes du monde et des Championnats d'Europe de 1984 à 2012, a révélé qu'un gardien qui tente de déconcentrer le tireur de penalty réduit de 10% le nombre de buts marqués. Le gardien est à la fois un agent du chaos, même si une modification du règlement réduit sa marge de manœuvre aujourd’hui, et un statisticien capable de connaître sur le bout des doigts les préférences de ceux qui se présentent face à lui.
Le football français a-t-il oublié que les tirs au but n'étaient pas un jeu de hasard ? En un an, les Bleus ont perdu une finale de Coupe du monde, deux finales d'Euro et de Mondial U17 et un quart de finale de Coupe du monde féminine au terme d'une séance de tirs au but. Depuis la Coupe du monde 1998, les sélections ou clubs français ont disputé 16 séances de tirs au but dans des compétitions internationales et en ont remportées… trois (les Bleues face à l'Angleterre au Mondial 2011, Lyon face au Besiktas en Ligue Europa 2017 et les U17 en quart de finale du Mondial contre le Sénégal le mois dernier). Le problème peut venir des gardiens comme Fabien Barthez et Hugo Lloris qui n'ont stoppé aucune des 14 dernières tentatives subies dans le but des Bleus.
La semaine dernière, sur les antennes de BeIn Sport, alors même que les Bleus ont été sortis des deux dernières grandes compétitions internationales après une séance de tirs au but, Didier Deschamps rappelait pourquoi il n'insistait pas sur ce travail spécifique : "À l’entraînement, il n’y a personne à part vous. Vous n’arrivez jamais à recréer les conditions d’un match. Si c’est une finale, le côté émotionnel, le public, le positionnement des tireurs, rien ne peut être préparé. Puis entre ce que vous pouvez prévoir et ce qu’il se passe, comme la dernière séance contre l’Argentine où tous les tireurs prévus n’étaient plus sur le terrain…" Et l'entraîneur des infortunés U17, Jean-Luc Vannuchi avouait : "C'est encore une histoire de loterie, on a beau les travailler, c'est difficile."
A force, il n'est sans doute plus question de loterie mais de syndrome. Il paraît urgent de réagir car, à force d'études en tous genres et de datas à foison, le hasard n'a plus vraiment sa place dans l'équation. Bref, réduire la séance de tirs au but à un jeu de pile ou face est en 2023 une totale incongruité. Tout comme croire que la terrible série du foot français relève du pur hasard.
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Il est par exemple statistiquement prouvé qu'un attaquant a plus de chances de réussir sa tentative qu'un autre joueur de champ, qu'un tir au milieu du but est moins efficace que sur un côté (57% contre 74% lors des 30 dernières séances de tirs au but en Coupe du monde) et même qu'un joueur qui célèbre sa réussite de façon ostentatoire donne deux fois plus de chance au coéquipier qui suit de marquer (selon une étude parue en 2010 sur la contagion émotionnelle).
Il semblerait d'ailleurs que la DTN s'empare enfin du sujet. "Il ne faut pas tomber dans quelque chose qui nous paralyse, dans une forme de psychose, révélait Hubert Fournier il y a quelques jours dans L'Equipe. La gestion des émotions doit être mieux maîtrisée. Il y a sans doute des solutions, et il va falloir qu'on les trouve (…). Il est nécessaire de mettre une cellule spécialisée en place pour accompagner les joueurs sur le plan émotionnel, faire en effet appel à des psychologues. Il est important d'y réfléchir et on va le faire, croyez-moi."
Des psys au secours du football français, voilà peut-être une partie de la solution. En Allemagne, la fédération donne accès à des psychologues sportifs à toutes les sélections de jeunes. De même, les gardiens de but reçoivent un briefing penalty sur leurs adversaires avant chaque match. Luis Enrique, avant le dernier Mondial, avait demandé à ses joueurs espagnols de tirer 1000 penalties avec leurs clubs respectifs avant de prendre l'avion pour le Qatar.
Mais personne ne travaille mieux dans ce domaine que les Anglais, qui possèdent le pire ratio des grandes nations avec une réussite de 22% dans l'exercice. Leur sélectionneur, Gareth Southgate, lui-même traumatisé par sa tentative ratée à l'Euro 1996, n'a jamais caché que son équipe bossait spécifiquement l'exercice : "Comme tous les autres aspects de notre jeu, nous sommes préparés et nous avons suivi un processus - nous devons être prêts mentalement et physiquement."
Les Three Lions utilisent notamment des filets aux entraînements pour travailler les frappes dans les coins du but et toutes les statistiques d'entraînements et de match sont décortiquées pour déterminer le casting des tireurs en fin de match. La France n'attache visiblement pas la même minutie.
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"Est-ce qu'on travaille assez en France les séances de tirs au but ?, s'interroge Carrasso. On ne prend pas assez en compte la possibilité des tirs au but et on entend trop souvent les coaches dire qu'on doit gagner le match avant. Ok, mais si on n'y arrive pas? Si le mec qui s'avance tire parfaitement son penalty, le gardien n'a aucune chance et ça se travaille." D'autant que Grey Wriggle n'a pas l'intention de prendre la nationalité française. Mike Maignan, autre grand spécialiste de l'exercice, reste une vraie sécurité pour l'avenir.
Il a fallu 54 tirs au but pour que Washington (club de 10e division anglaise) s'impose face à Bedlington (3-3, 25-24 aux t.a.b.) lors d'une interminable mort subite. Un record. En Israël, à l’occasion d’une rencontre entre le SC Dimona et Shimshon Tel Aviv, le record du monde de la plus longue séance de tirs au but a été battu. Un nouveau record du monde de la plus longue séance de tirs au but établi en Israël. 56… C’est le nombre de tirs au but qu’il a fallu pour départager le SC Dimona et Shimshon Tel Aviv, en Israël, mardi 21 mai. Après un match nul (2-2) au terme de la prolongation, les deux équipes ont dû passer par la case tirs au but. Une séance qui a duré éternellement puisqu’il a fallu 23 tirs réussis au Dimona pour venir à bout de son adversaire (23-22).
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