C’est l’un des films marquants - et sans doute aussi controversés - du cinéma français des années 70 : Le Vieux fusil fête ce 20 août 2020 son 45ème anniversaire.
Il s’agit de la deuxième (et dernière) collaboration entre le réalisateur Robert Enrico et le scénariste Pascal Jardin, dans la foulée de leur travail sur Le Secret (dont Jardin avait signé les dialogues) et c’est à Jardin qu’on doit l’idée du Vieux fusil.
Ou plus précisément au récit effrayant que lui avait confié un ami, de ce jour de la Seconde Guerre mondiale où, enfant, il avait vu un jeune soldat allemand dormir à côté de la femme qu’il avait violée et tuée.
Pascal Jardin, impressionné, décide très vite de développer un récit en s’inspirant également d’un des épisodes les plus terrifiants de ce conflit, le massacre perpétré par les SS à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944.
Quand l’écrivain se met à concevoir son récit, c’est seulement la troisième fois que le cinéma évoque Oradour après 10 juin 1944, le court métrage de Maurice Cohen, récompensé du Prix Jean Vigo en 1962 et Le Sauveur, un long métrage signé Michel Mardore en 1971 avec Horst Buchholz.
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Mais Pascal Jardin, Robert Enrico et leur coscénariste Claude Veillot décident de changer le lieu du récit et choisissent de raconter l’histoire d’un médecin qui part venger la mort de sa femme et de sa fille, sauvagement assassinées par des SS, juste après le débarquement de juin 1944.
Pour incarner ce médecin, plusieurs noms circulent. Celui d’Yves Montand tout d’abord qui vient de terminer Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau.
Après son refus, Lino Ventura sera immédiatement pressenti. Robert Enrico le connaît bien. Il l’a déjà dirigé à trois reprises dans Les Grandes Gueules, Les Aventuriers et Boulevard du Rhum.
Mais lui aussi décline, sans que l’on sache exactement pourquoi car, à ce sujet, les explications divergent. Pour Enrico, son refus provient de sa répugnance à jouer les scènes de coup de foudre.
Dans la foulée de leur première collaboration sur Le Secret, Philippe Noiret est donc de retour devant la caméra de Robert Enrico qui pense un temps l’associer à Catherine Deneuve, sa partenaire dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau et Touche pas à la femme blanche ! de Marco Ferreri.
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Mais le cinéaste porte finalement son choix sur Romy Schneider qu’il n’a jamais dirigée. Le premier rendez-vous de travail à trois est pour le moins tendu.
Romy Schneider arrive deux heures en retard. Excédé, Philippe Noiret lui jette alors un : « Ah l'Autrichienne ! On commençait à se languir de vous. Pardonnez-moi mais je dois partir » avant de lever le camp devant le réalisateur blême qui réussit pourtant à rattraper tant bien que mal son acteur quand Romy Schneider lui explique qu’elle ne peut pas jouer avec un tel goujat.
Mais dans cette scène - comme tout ce qu’elle fera au long de ce tournage qui se déroule entre Paris, Biarritz (la scène de la plage), Montauban -, Romy Schneider impressionne toute l’équipe par son implication totale.
Plus tard, au moment où les Allemands poursuivent son personnage, la violent avant de l’achever au lance-flammes, ses cris furent même si déchirants qu’Enrico choisit de les enlever au montage final par peur que ce passage déjà difficilement regardable devienne proprement insoutenable.
Si Le Vieux fusil reste fidèle aux thématiques du cinéma de Robert Enrico (qui va des Grandes gueules aux Aventuriers en passant par Pile ou face ou Fait d’hiver) c’est qu’il raconte l’histoire d’un type ordinaire, en apparence parfaitement équilibré, qui bascule malgré lui dans la violence et la folie.
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Pourtant, Le Vieux fusil s’inscrit dans un double contexte particulier. Les années 70 sont celles où le pays commence à regarder en face son comportement pendant la Seconde Guerre mondiale et à pointer du doigt le fait que les Français ne furent pas tous des héros ou des résistants mais aussi des collabos.
Le Vieux fusil sort un an après Lacombe Lucien de Louis Malle qui avait fait polémique. Mais le film d’Enrico est aussi l’une des rares incursions françaises dans un genre qui fait alors florès aux Etats-Unis : les films de justice expéditive, popularisés par Charles Bronson (Un justicier dans la ville en 1974) et Clint Eastwood avec la saga des Inspecteur Harry.
Forcément, cette violence dérange. Une partie de la critique parle d’indécence, choquée par l’aspect insoutenable de cette chasse à l’homme que le cinéaste assume pleinement et que le public (et les professionnels) salueront de concert.
En 1975, Le Vieux fusil réunit 3 365 471 spectateurs. C’est le cinquième meilleur résultat de l’année au box-office France derrière La Tour infernale, Peur sur la ville, On a retrouvé la 7ème compagnie et Histoire d’O mais loin devant Le Sauvage, Dupont Lajoie et Sept morts sur ordonnance.
Le film triomphera lors de la toute première cérémonie des César en remportant trois statuettes : meilleur film, acteur et musique (à titre posthume pour François de Roubaix, disparu peu avant). Le temps confirmera cet engouement.
En 1985, Le Vieux fusil sera élu comme César… des César par la même profession.
Apologie de l’autodéfense, Le vieux fusil est un long métrage cathartique qui ne s’embarrasse pas d’une mise en scène subtile.
Le vieux fusil est finalement le genre de revenge movie que Charles Bronson tournait dans les années 70. Un médecin, dont la femme et la fille ont été tuées dans des conditions atroces, décide de se faire justice lui-même en piégeant un à un les nazis responsables de ces crimes.
Robert Enrico, un des pires tâcherons du cinéma français, ne s’embarrasse pas d’une structure complexe : quelques analepses ressuscitent le passé heureux, le présent est le temps du châtiment et le long métrage se déploie selon une chasse à l’homme savamment orchestrée par ce mari endeuillé, qui connaît les lieux comme sa poche.
Ce classique du cinéma hexagonal, multi césarisé, est porté, selon l’expression consacrée, par l’interprétation de Philippe Noiret et de Romy Schneider.
Apologie de l’autodéfense, le long métrage repose sur des arguments détestables : Dandieu utilise les mêmes procédés que ses ennemis, jusqu’à leur dérober un lance-flammes pour immoler le chef de ces assassins.
Ainsi, les enjeux de la guerre sont clairement évoqués en privilégiant un schéma cathartique, où le bon Français se débarrasse du méchant Allemand, le but étant de caresser dans le sens du poil la bonne conscience d’un pays dont le gouvernement officiel collabora avec l’occupant.
Ici, l’émotion envahit tout, détermine chaque geste, chaque plan, chaque parole, pour construire une sorte d’infernal chantage lacrymal. A la fin, les FFI débarquent. La caméra s’attarde sur eux. En revanche, les miliciens du début passent rapidement.
Or quand il veut les rejoindre, il découvre avec horreur que la division SS Panzer Das Reich a massacré tous les habitants du village voisin. Le bon docteur retrouve les cadavres de sa femme et sa fille.
Fou de colère, Dandieu retourne au village où il détruit les idoles dans l’église. Le médecin pacifiste va se transformer en un meurtrier méthodique.
Il connait tous les recoins du chateau. Il les observe souiller jusqu’à ses films de vacances. Utilisant le vieux fusil de son père, il élimine les Nazis l’un après l’autre à coups de chevrotines.
Les FTP débarquent au village, en compagnie de François. Le chateau brûle. Julien Dandieu est un homme plutôt sympathique, tout en rondeur.
Un professionnel de santé exposé à la souffrance du quotidien. Plus il soigne et plus on lui envoie de blessés, avec toujours moins de médicaments. Il vient en aide aux blessés, sans discrimination, y compris les miliciens.
Même s’il apporte un soutient discret à la Résistance, il ne s’engage pas. Il ne sait ni danser, ni flirter. Ses lunettes sont rondes. Sa femme l’a quitté pour un autre homme et c’est lui qui hérite de sa fille.
Madame gros paquet. Sa mère se demande comment son mari a pu lui faire un gros fils pareil, une manière passive-agressive de mettre le doigt sur un problème d’obésité. Il est gentil à en devenir agaçant.
Clara le trouve laid. Julien lui offre un peu de sécurité. Elle se marie donc avec lui. La guerre est une menace permanente. J’ai toujours peur qu’elle s’en aille.
Lorsque l’ennemi approche, Julien ne prend pas de décision. Il laisse François décider pour lui et va le regretter puisqu’il ne reverra plus jamais ni sa femme, ni sa fille.
Sans le savoir, il les a données en pâture aux sauvages. Une fois. Il se refait le film des événements. S’en veut.
Les femmes de sa vie, celles qu’il se devait de protéger, sont mortes par sa faute. Il les a abandonnées. Sa culpabilité est énorme, sa colère sourde.
La barbarie de la guerre est en train de le transformer. Cet homme qui a pour habitude de sauver des vies condamne désormais les bourreaux de sa femme et de sa fille à la peine de mort. Il devient le vengeur, machine à broyer l’ennemi.
Julien pousse le vice jusqu’à mentir aux Partisans pour mieux en finir avec les Nazis, seul. Julien fait le ménage. Il liquide tous les Nazis de sang froid, sans dire un mot.
Lorsque François le retrouve, Julien est égal à lui même malgré le drame qu’il vient de traverser. Il n’a pas changé alors qu’il vient de tuer une dizaine d’hommes : il devient un monstre.
Puis il revient à lui même et retrouve son humanité l’espace de quelques secondes. Prend conscience de l’atrocité qu’il vient de subir - et de commettre. Les larmes montent. Puis sa nature reprend le dessus. La vie continue pour Julien.
Il ne se pardonne pas d’avoir perdu ses femmes. Ne s’excuse pas de s’être fait justice. La vie continue alors il s’accroche, coriace.
Année | Récompense | Catégorie |
---|---|---|
1975 | Box-office France | 5ème meilleur résultat (3 365 471 spectateurs) |
1976 | César | Meilleur film |
1976 | César | Meilleur acteur (Philippe Noiret) |
1976 | César | Meilleure musique (François de Roubaix) |
1985 | César des César | Élu par la profession |
Le film, qui alterne entre poésie et cruauté, nous subjugue du début à la fin. Un film inoubliable !
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