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Le titre énigmatique Le Revolver à Cheveux Blancs de Tristan Tzara suscite des interrogations quant à sa signification profonde. Afin de mieux cerner cette œuvre, il est essentiel de comprendre le contexte de sa création et les influences qui ont marqué l'auteur.

Pourquoi L’Homme approximatif ?

Ce titre pose en réalité deux questions : d’une part, il demande comment il faut comprendre le titre du recueil de Tristan Tzara ; d’autre part, il s’interroge sur le libellé donné à l’exposition de Strasbourg, laquelle qualifie ainsi le poète lui-même.

La directrice du Musée d’art moderne et contemporain, Estelle Pietrzyk, m’écrit qu’elle l’a choisi un peu intuitivement, en considérant que L’Homme approximatif 1931 est certainement le texte qui demeurera parmi la cinquantaine d’ouvrages de l’auteur, et surtout en se souvenant de ce vers baudelairien : « homme approximatif comme moi comme toi lecteur et comme les autres » l’invitant à penser qu’il n’y est pas question uniquement d’un individu extérieur à l’auteur.

Ce qui présente, malgré tout, un avantage : à défaut d’explication, d’encadrement, de guide, le lecteur, le visiteur (qui sont souvent les mêmes) peuvent l’interpréter à leur guise : Tzara = L’Homme approximatif, c’est-à-dire l’auteur du recueil ainsi dénommé, qu’on ne connait pas totalement, quelque peu imparfait, inachevé, et donc complété par la présentation d’un poète, d’un écrivain d’art et, ce qui est moins connu, d’un collectionneur.

Mais on peut lire la formule autrement, en se disant que l’exposition sera focalisée sur cet ouvrage de la maturité du poète, son chef-d’œuvre au dire de la critique contemporaine.

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La lecture du dossier de presse, qui m’a été aimablement communiqué par la direction du Musée, nous convainc que nul commentateur ne s’est attardé sur le recueil de poésie, ni même sur le titre de l’exposition.

Il semble aussi que tous les efforts des organisateurs ont porté sur le souci, non pas d’éliminer Dada (toujours présent), mais de le réduire à sa plus simple expression, par peur de le voir tout envahir, par son énergie intrinsèque.

Circonstances du poème

C’est à partir du printemps de 1925 que commencent à paraître, en français et même en anglais, dans diverses revues d’avant-garde, plusieurs chants d’un long poème de Tristan Tzara intitulé L’Homme approximatif. Jusqu’au moment, en décembre 1929, où La Révolution surréaliste en donne un fragment, qui deviendra le dernier chant de l’édition définitive du recueil du même titre.

Le choix ne pouvait être plus judicieux, au moment où la revue officielle du mouvement interrogeait son public : « Quelle sorte d’espoir mettez-vous dans l’amour ? ».

En prélude, André Breton, directeur de cette publication, expliquait pourquoi elle avait cessé de paraitre. Son argumentaire revêtait la forme d’un manifeste : le Second Manifeste du surréalisme, publié en totalité avant qu’il ne sorte en volume, légèrement augmenté.

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Le texte de la Révolution Surréaliste

D’après ce seul fragment, nous pouvons déterminer ce qui a pu séduire les surréalistes jusqu’à fraterniser avec son auteur dissident.

Au premier chef, il y a ce fait, surprenant pour certains lecteurs, que Dada n’a pas réduit l’activité poétique à néant. Au contraire, pourrait-on dire, elle est ressortie toute neuve et comme régénérée par le traitement qu’il lui a fait subir.

La poésie de Tzara ne concède rien au lecteur. L’auteur n’accepte aucun compromis, aucun retour vers la poésie formelle ou narrative. De même, il n’accepte aucune des recettes de l’automatisme surréaliste (je dis bien recettes, et non aspirations).

De sorte qu’un ton nouveau émane de ce chant individuel, qui proclame les difficultés de l’homme à vivre au monde, au sein d’une nature fondamentalement hostile.

Comment ne pas se sentir impliqué par ce repetend 1, à la manière baudelairienne, cette sorte de refrain de trois ou quatre vers revenant à plusieurs reprises avec une variation interne :

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et rocailleux dans mes vêtements de schiste j’ai voué mon attenteau tourment du désert oxydéet au robuste avènement du feu

La suite du chant, non publiée dans La Révolution surréaliste, montre bien que, dès l’origine, il était pensé pour servir de conclusion à cette épopée lyrique en récapitulant toutes les approximations humaines, les inquiétudes et les vertiges à quoi l’homme se trouve confronté, à la mesure de ses épreuves.

L’efficacité de cette poésie ne s’apprécie pas en termes de pratique mais d’action spirituelle, d’adhésion du lecteur contemporain, je veux dire du temps de l’écriture comme du temps présent.

L'Homme Approximatif : Une Définition

Ce faisant, je n’ai pas expliqué le titre, L’Homme approximatif. Il me semblait conforme à la définition du Littré, plus exactement du Petit Littré que Tzara pratiquait assidument : « Approximatif : Qui est fait par approximation. Estimation approximative. Calcul approximatif. »

C’est dire que l’adjectif désigne des approches successives, tout en marquant sa proximité avec le vocabulaire mathématique. Apparemment, il n’y a là aucune difficulté particulière, d’autant plus quand nous savons le goût prononcé de Tzara pour cette discipline.

Dans tous ses écrits, vers et prose mêlés, il emploie approximatif 14 fois, approximative 4 fois, et 10 fois le substantif approximation (au singulier et au pluriel).

Retenons seulement cette déclaration du Manifeste Dada 1918 : « l’approximation fut inventée par les impressionnistes » (I, 360), qui nous ramène à l’univers de la création picturale.

Le Surréalisme et l'Exploration de l'Inconscient

La poésie, l’amour, la liberté, tels sont les maîtres mots des surréalistes. Au commencement est une révélation. Pour André Breton, comme il le raconte dans le Manifeste du surréalisme de 1924, qui acte la naissance officielle du mouvement, celle d’une « phrase qui cognait à la vitre ».

Ils inventent les futurs « happenings », que l’on appellerait aujourd’hui performances : ils aiment faire scandale un peu partout, avec force hurlements, jets de projectiles et bagarres dans les théâtres.

Ces jeunes révoltés découvrent, fascinés, les recherches du docteur Freud qui, de son côté, a découvert l’inconscient. Ils vont se mettre à expérimenter des transes, des rêves éveillés, des sommeils hypnotiques : le camarade poète René Crevel, qu’une voyante a félicité pour ses talents de médium, joue les initiateurs.

Dans cette entreprise de « récupération totale de [leur] force psychique », l’amour tient, aux côtés de la poésie, l’autre premier rôle.

Les femmes, dans ce groupe très, très masculin, apparaissent comme le médium privilégié de révélation de l’amour. Le hasard, la rencontre, la folie, tout est « beauté convulsive » dans cette aventure amoureuse exaltée.

Le récit de Breton dit aussi un certain tragique des femmes dans le surréalisme, tantôt femmes-fleurs ou femmes-fruits, nourricières, tantôt médiatrices et muses, mais, comme l’a montré l’écrivaine Xavière Gauthier, toujours idéalisées.

André Breton à Pantin : Sur les Traces du Surréalisme

C’est peu connu : André Breton, théoricien du surréalisme, a passé sa jeunesse à Pantin.

En 2015, j’ai appris que Breton avait vécu, entre 6 et 17 ans, au croisement de la rue Montgolfier et de la rue Étienne-Marcel, à moins de cinquante mètres de là où j’ai moi même passé les dix premières années de ma vie.

Si André Breton est né en 1896 à Tinchebray dans l’Orne, sa famille arrive en 1900 à Pantin pour suivre le père qui travaille dans une cristallerie. D’abord, les Breton emménagent dans un appartement de la rue de Paris (actuelle avenue Jean-Lolive) qui prolonge l’avenue Jean-Jaurès, et au-delà, la rue Lafayette, si essentielle dans son œuvre.

En revenant sur les lieux de mon enfance, à vingt ans, j’ai fait l’expérience d’un sentiment de déjà-vu assez vertigineux en contemplant le coin de ce bâtiment dont je ne savais pas encore qu’il était celui où avait vécu Breton. Ici, il est peut-être opportun de parler de hasard objectif, cette manière qu’a Breton d’observer les faits marquants et hasardeux de son existence, pour leur donner une signification poétique et existentielle.

« Sombres dimanches. Je ne connais rien de plus démoralisant que la fin des après-midis de dimanche dans ces patelins de la proche banlieue parisienne transformés en déserts de pavés.

Une légende, démontée par Jacques Clayssen sur le site Démarches, veut que les restes de Lautréamont y aient été transférés après l’agrandissement du cimetière de Montmartre.

« Tu ne sais pas ce qu’est la rue, qu’une usine à Aubervilliers, que la prostitution. ( …) tu ne peux pas comprendre ce que je dis là.

De même que les Auvergnats arrivent à la gare de Lyon et les Bretons à Montparnasse, de même les Pantinois arrivent-il à Paris par la gare de l’Est.

Lorsqu’il passe en classe de 5e, André Breton quitte l’école de la mairie pour rejoindre le lycée Chaptal, 45 boulevard des Batignolles, où il rencontrera son ami Theodor Fraenkel.

Le Surréalisme et les Fantômes du Passé

Passer le pont, en somme, pour laisser derrière soi les ultimes vestiges d’un dix-neuvième siècle persistant1.2Plus surprenante apparaîtra cette rencontre des fantômes, comme si le pas gagné ne préservait tout à fait d’une résurgence pour le moins effrayante du passé que l’on avait cru laisser derrière soi.

Il est vrai que les apparitions spectrales ne cessent de traverser les grands textes du surréalisme, comme vampirisant, si l’on ose dire, l’imaginaire des jeunes rebelles après la table rase dadaïste.

Naturellement, on pourra expliquer le motif obsédant par une imagerie complaisamment parcourue par les nouveaux alchimistes en quête de leurs enluminures idiotes : romans gothiques, feuilletons populaires et films fantastiques ne manquaient pas de passages fantomatiques à opposer aux présences par trop pesantes d’un roman psychologique exécré.

Plus qu’aucun autre peut-être de ses compagnons, Breton est revenu buter sur l’image du spectre, et sur l’idée d’un indépassable travail d’enfouissement d’un passé obstiné. Lier la naissance même du surréalisme à l’ombre de Jacques Vaché, c’était bien se placer sous le signe d’un fantôme, et par avance signaler derrière tous les désirs futurs l’orientation entêtée d’une hantise.

Mais en vérité André Breton, lui, n’est pas mort. Ou plutôt il n’a pas fini de mourir.4Car il est bien moins question pour lui de simplement vivre que de survivre - survivre aux disparus de la Grande Guerre, à Jacques Vaché, mais aussi bien à lui-même, tant lui est vif le sentiment d’une perpétuelle réactualisation de soi qui aussi bien a valeur d’une constante déperdition.

Comme si la part morte de soi-même laissée dans les tranchées ou près de l’ami perdu avait d’emblée enseigné qu’il n’est de présent à embrasser qu’au prix d’un deuil perpétuel ; que l’on ne se méfie jamais assez des fantômes, viendraient-ils de nous-mêmes.

Or, il se pourrait qu’écrire, pour Breton, soit encore une manière de sortir de chez soi, d’inscrire un adieu définitif à tout et de se défaire des enlacements trop insistants.

l’acte d’écrire, plus encore de publier toute espèce de livre est mis au rang des vanités » (I, 645). Vanités : écrit en italiques, le terme excéderait le seul dénigrement de la littérature familier au surréalisme, si nous y entendions une référence implicite, comme discrètement voilée, à ce genre particulier de tableaux où le spectateur est invité à reconnaître à travers divers symboles le reflet d’une mort généralisée.

Car chaque page, ici, semble porter un deuil, sans que l’on sache jamais tout à fait de quel disparu il s’agit au juste. Mais assurément nous devons en premier lieu reconnaître le deuil que l’écrivain porte de lui-même, de ses doubles morts évoqués et enterrés par l’écriture.

Ainsi le sujet ne s’affirmerait-il jamais que par la dynamique d'un deuil, naturellement confondue ici avec le mouvement de l’écriture : s’éclairerait alors l’enjeu de la longue première partie de l’ouvrage, qui diffère l’entrée en scène de Nadja et dans laquelle Breton rapporte quelques jalons de son histoire et de celle du groupe surréaliste, à la façon d’un mémorial pour le moins précoce, mais déjà nécessaire pour qui entend se délester de sa part morte.

Toujours le même ? Bien n’est moins sûr pour Breton qui ne saurait se résigner si légèrement à se perpétuer. D’emblée, le texte exhibe la distance entre le temps de la narration et le temps de l’écriture, comme s'il s’agissait de se dessaisir d’un passé accumulé pour pouvoir enfin, libéré de l’ancrage du même, coïncider avec le présent.

Il semble donc que la série d’anecdotes constituant la matière de Nadja soit rassemblée afin d’être mieux congédiée, à la manière d’une masse de souvenirs qui encombrent la mémoire, d’un amas de reliques qui contrarient la course, d’un défilé de spectres enfin qui nous masquent le vrai visage de l'aujourd'hui.

Ecrire Nadja, ce serait en somme enterrer un passé toujours trop pesant pour qui veut épouser le seul présent d’un jaillissement. Accomplir un exorcisme pour se délivrer des fantômes - que l’on pense au qui je fus hantant qui écrit, ou à ceux-là qui, en 1918, sont morts à notre place.

Nadja : Entre Vie et Écriture

Le recours soudain à la forme du journal, faussement rédigé au présent durant le mois d’août 1927, paraît s’imposer pour revivre par l’écriture l’ivresse de la rencontre avant de l’enterrer et de la laisser derrière soi. Le livre se ferait donc tombeau, le nom de la jeune femme appelé à s’écrire sur la couverture comme gravé sur une pierre tombale.

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