L'art des armures, un art majeur de la Renaissance, illustre à merveille la culture raffinée de l’époque maniériste. Les armures commandées par les princes de l’époque sont de véritables objets d’apparat qui reflètent à la fois le pouvoir du commanditaire et, par leur beauté et la richesse du travail, son goût pour les arts ainsi que sa culture humaniste.
En 1998, le Metropolitan Museum à New York avait célébré le talent des armuriers de la famille Negroli et la passion, à la Renaissance, pour les parures guerrières « à l’antique ». En 2003, une ambitieuse exposition réalisée par le Musée d’art et d’histoire de Genève a révélé au grand public la splendeur des ornements maniéristes enrichissant les armures produites par les ateliers du nord de l’Italie à partir des années 1530.
Le Musée de l’Armée ambitionne de combler cette lacune par une exposition dédiée à la production et la décoration des armures de luxe en France au XVIe siècle, qui ouvrira au printemps 2011. Le thème choisi se situe au carrefour de plusieurs disciplines : les arts du métal, mais aussi les arts graphiques ou encore l’histoire sociale d’une corporation peu connue.
La nuance est importante, et contient toute la complexité du problème : contrairement aux ateliers italiens ou germaniques contemporains, dont les lieux de production, les grands maîtres, les œuvres majeures et parfois les commanditaires sont nettement identifiés, l’armurerie française du XVIe siècle souffre d’un anonymat général dû principalement à l’absence de poinçon insculpé par les auteurs sur leurs productions. Les sources archivistiques ont pourtant livré depuis longtemps des listes d’artisans parisiens, tourangeaux ou lyonnais ayant œuvré dans les arts difficiles du battage des pièces d’armures et de leur décoration. Nous connaissons également des dynasties d’habiles maîtres étrangers (souvent identifiés au moment où ils sollicitent leurs « lettres de naturalité ») qui ont quitté la Lombardie, les Flandres ou les états germaniques pour s’établir en France.
Les caractéristiques typologiques mêmes de l’armure française ne nous sont pas inconnues, particulièrement à partir du milieu du XVIe siècle, alors qu’elles se dégagent des modèles italiens jusque-là prédominants. Enfin, l’étude de leur très reconnaissable décor est, comme nous le verrons, facilité par l’abondance et la richesse des fonds de modèles graphiques. Pierre Verlet a retrouvé l’acte du paiement versé en 1572 à Marie de Fourcroy, veuve de l’orfèvre.
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La question de l’attribution de ces œuvres, comme celle de leur origine, devient particulièrement irritante lorsqu’elle touche des réalisations aussi prestigieuses que les armures à décor repoussé destinées à des commanditaires royaux ou princiers qui comptent sans doute parmi les pièces les plus exceptionnelles jamais produites dans le domaine des arts du métal.
L’érudition du XIXe siècle accordait traditionnellement aux plus spectaculaires de ces œuvres la paternité de Benvenuto Cellini ou de Jules Romain, sans que les documents ou le style permettent d’étayer ces attributions flatteuses. On a dans un second temps souligné la parenté de leur ornementation avec les réalisations de « l’école de Fontainebleau », dont la galerie François Ier de Rosso Fiorentino et Primatice est à la fois le manifeste et le modèle. Le baron Alexandre de Cosson, dans ses notices sur les objets de la collection de Maurice de Talleyrand-Périgord, duc de Dino, publiées dès 1901, a relevé les principales caractéristiques formelles des armures réalisées dans le goût français qu’il comparait avec certaines pièces du cabinet d’armes du duc : le travail au repoussé de l’acier, en faible relief mais très finement ciselé, donne l’illusion de la profondeur par de subtiles variations du modelé, à la façon de l’art des médailleurs, alors que les ateliers lombards contemporains produisaient des pièces au relief plus prononcé s’apparentant davantage à l’art du sculpteur.
Le répertoire décoratif de scènes à l’antique enserrées dans un réseau complexe de cuirs et de rubans, accotées de figures d’atlantes, de termes ou de captifs, enrichies de guirlandes, de trophées, de chutes de fruits et de mascarons, est en effet commun aux deux écoles, mais il est traité, par les ateliers français, avec une netteté et une élégance du dessin des figures, une finesse du modelé, des effets de perspective et des compositions qui hissent ces témoignages de l’art des batteurs d’armures à la hauteur des grandes pièces d’orfèvrerie. Cosson avait également noté les similitudes stylistiques entre les pièces du Louvre, celles de la collection Dino (conservées aujourd’hui au Metropolitan Museum) et des armures des collections de Vienne, de Dresde ou de Stockholm.
La mise en évidence d’une « école française » dans l’art de l’armure à décor maniériste tient beaucoup à l’existence d’un fonds de 170 dessins d’ornement pour des équipements défensifs conservés à la Staatliche Graphische Sammlung à Munich, issus du cabinet de l’électeur Palatin Carl Theodor et transférés de Mannheim à Munich au moment de l’accession de ce dernier au titre de duc de Bavière à la fin du XVIIIe siècle.
Ces dessins, traditionnellement considérés par l’érudition allemande comme l’œuvre d’Hans Müelich, à qui sont attribués de nombreux projets d’enrichissements d’armes, ont été publiés en 1865 puis en 1889 par Jakob von Hefner-Alteneck et ont pu alors être mis directement en relation avec les armures ornées « dans le goût français », dont ils semblent bien constituer des études préparatoires. La contribution la plus décisive sur cet ensemble reste celle de Bruno Thomas, conservateur de la Hofjagd- und Rüstkammer de Vienne.
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Une première série de dessins semble avoir été réalisée dès le règne de François Ier. Elle inclut des détails décoratifs des lambris de la galerie de Fontainebleau, l’esquisse d’une barde équestre portant le chiffre du souverain et deux fragments d’un harnois (deux lames de gorgerin) apparentés à l’armure que porte François Ier sur un portrait équestre de Jean Clouet conservé aux Offices à Florence et dont des variantes figurent dans les collections du musée Condé à Chantilly et au département des Arts Graphiques du Musée du Louvre.
Un deuxième ensemble de projets concerne deux grands harnois destinés à Henri II, l’un qualifié par Thomas d’armure « aux emblèmes », grâce à la riche ornementation emblématique des 6 pièces défensives dessinées, et l’autre, presque complet, représenté respectivement par 25 feuilles d’études pour une armure de cavalier et 46 pour la barde équestre. Cet ensemble spectaculaire dit « aux serpents », du fait des reptiles mêlés aux rubans qui cernent les cartouches, correspond à une armure dont ne subsistent aujourd’hui que de rares vestiges : trois plaques de barde, conservées au Musée national de la Renaissance-Château d’Écouen et au Philadelphia Museum of Art, et un chanfrein que détenait autrefois le Musée de l’Armée, perdu pendant la Seconde Guerre mondiale mais connu par des photographies.
Les feuilles de Munich, légèrement plus grandes que nature, sont d’autant plus précieuses qu’elles révèlent les différentes étapes de conception des décors repoussés et de leur adaptation aux formes complexes des pièces défensives. Les mêmes ornements sont ainsi traités sur des feuilles différentes dans des techniques variées : un « premier jet » à la pierre noire et à la plume, une mise au net à la plume et au lavis gris, puis une copie très détaillée à la sanguine précisant les modulations de la ciselure et le traitement mat des fonds, sans doute destinée au repousseur chargé de transcrire ces décors sur les plaques d’acier. Sur ces dessins, dont le répertoire ornemental dérive directement des modèles bellifontains, se déploient principalement des cartouches et des médaillons historiés de scènes et de figures, inscrits dans un réseau de cuirs et de rubans.
L’esthétique de cet ensemble, dérivée du harnois à décors de cartouches et de cuirs que porte François Ier sur le portrait de Jean Clouet mentionnés plus haut, est comparable à celle de l’armure dite d’Henri II du Musée du Louvre, des garnitures de selle et du chanfrein appartenant aux collections du Musée des beaux-arts de Lyon, et de la bourguignotte dite « médicéenne » aujourd’hui au Metropolitan Museum (ancienne collection Dino).
Enfin, le troisième groupe de dessins distingué par Thomas correspond à une série d’armures à l’ornementation sensiblement différente, constituée essentiellement de rinceaux peuplés. Thomas a reconnu des projets et de nombreuses variantes pour trois harnois principaux : l’armure dite d’Henri II du Metropolitan Museum, celle de Maximilien II de la Rüstkammer de Vienne et un ensemble disparu, « l’armure aux lions » du duc d’Anjou (futur Henri III) dont ne subsiste que la défense de tête au Musée de l’Armée. Cette pièce a pu être identifiée grâce à un petit dessin au crayon de François Clouet (Paris, Bibliothèque nationale de France), montrant le duc revêtu d’une demi-armure du même type.
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Le groupe comprend également cinq dessins qui présentent quelques similitudes, quoique moins directes, avec l’armure « à Mars et à la Victoire » qui aurait appartenu à Charles IX (Paris, Musée de l’Armée). Les rapprochements entre ces différentes études laissent à penser que les armures en question proviennent du même atelier, vraisemblablement localisé en France, ou au moins que leur décor repoussé a été conçu par la même équipe d’ornemanistes. Les étapes de conception de ces enrichissements étant en outre identiques à celles des décors des armures « aux emblèmes » et « aux serpents » d’Henri II - première pensée à la pierre noire, mise au net à la plume et au lavis très élégamment traitée, puis tracé très cerné et précis à la sanguine, destiné au repousseur -, on peut estimer qu’il s’agit de la même équipe qui est intervenue sur les deux harnois à cuirs et cartouches destinés à Henri II et sur les armures à décors de rinceaux peuplés.
Incontournable pour l’étude du fonds munichois qu’il a intégralement publié, Thomas a cependant installé la thèse selon laquelle Delaune aurait été le principal voire l’unique auteur des modèles d’ornement utilisés par les armuriers français dans la seconde moitié du XVIe siècle. Ce foisonnant matériel graphique reprend en effet de nombreux motifs gravés par Delaune, ou du moins est issu d’un corpus disparu ayant à la fois nourri l’œuvre de nos ornemanistes et celle du graveur. Toutefois, ces témoignages de l’activité d’un atelier où ont vraisemblablement œuvré, pendant quelque quinze ans, des dizaines de dessinateurs, ne peuvent être attribués au seul Delaune.
Quelque dix ans avant la série d’articles de Thomas, la question de la paternité et des lieux de création de ces armures « dans le goût français » avait été rendu encore plus complexe par la publication en 1945, sous la plume des érudits suédois Cederström et Steneberg, d’une étude consacrée à l’écu en cartouche du château de Skokloster. Ils comparèrent le décor de cette pièce prestigieuse à celui d’une armure alors conservée au sein des collections du Livrustkammaren à Stockholm et mentionnée dans les comptes des dépenses du roi de Suède Erik XIV en 1562. Ces archives inédites ont révélé que le souverain avait commandé trois armures et trois bardes de cheval dont la livraison s’était avérée problématique : après avoir reçu en 1562, soit un an après son avènement, une première armure, le monarque avait demandé à son fournisseur l’exécution de deux armures supplémentaires et d’une somptueuse barde équestre, dans la perspective d’une union avec Elisabeth Ire d’Angleterre dont il avait sollicité la main.
Embarqués par mer, les deux armures, l’armurier et ses aides furent capturés en septembre 1565 par les Danois, alors en guerre contre les Suédois, et l’artisan dut attendre plusieurs mois avant de revoir sa ville natale. Ces œuvres, dont la célèbre « armure d’Hercule » et sa barde équestre complète, sont ornées de grotesques et de rinceaux peuplés, sur lesquels se détachent des médaillons cernés de cuirs enroulés.
Les comptes du roi Erik XIV publiés par Cederström et Steneberg révélaient surtout le nom de leur auteur, l’armurier et orfèvre anversois Eliseus Libaerts, dont l’œuvre est par ailleurs restée inconnue. La redécouverte de ce maître, actif dans une ville qui n’a pas la réputation d’avoir été un grand centre armurier, a encore compliqué l’analyse de la production armurière française de luxe au XVIe siècle. Libaerts a en effet largement utilisé des dessins ou des estampes français, dont certains ont sans doute également servi de source à Delaune pour ses propres gravures.
Les larges médaillons où s’inscrivent les travaux d’Hercule, sur la barde et l’armure de cavalier conservées à Dresde, sont inspirés d’un cycle d’estampes édité en 1563 par Cornelis Cort, d’après des compositions peintes par Frans Floris une quinzaine d’années auparavant. En revanche, les modèles ornementaux flamands que le maître anversois aurait pu logiquement privilégier, comme ceux fournis par ses contemporains Cornelis Bos ou Cornelis Floris, ne semblent l’avoir inspiré que de façon marginale, pour le traitement des réseaux de cuirs ou les proportions importantes données aux figures et à certains éléments décoratifs qui se détachent sur le fond d’acier.
Si aucun des dessins du fonds de Munich - en considérant qu’ils proviennent d’une grande officine parisienne - ne peut être directement mis en relation avec les réalisations de Libaerts, certains motifs leur sont pourtant communs et ont de plus été gravés, peut-être a posteriori, par Delaune. C’est le cas de deux cartouches qui ornent la dossière de l’armure dite « aux serpents » d’Henri II dans lesquelles figurent des divinités féminines jetant au feu des armes, image qui se retrouve sur le troussequin de la selle de l’armure d’Erik XIV conservée à Stockholm.
Quoique nourrie des études de Thomas, l’érudition dans le domaine de l’armure française est restée très prudente sur la question des lieux de création et sur celle de l’identification des sources graphiques. La plupart des catalogues qui traitent de ces objets mentionnent à la fois, dans une prudente rhétorique, Libaerts, Delaune, le fonds de dessins de Munich et les commandes d’Henri II, sans trancher réellement sur ce qui reviendrait à l’un ou l’autre des astres composant cette nébuleuse. De plus, le vide laissé par l’anonymat des batteurs d’armures français a entraîné la tentation de l’occuper avec le seul nom de maître à qui on pouvait attribuer des œuvres comparables. Le harnois de Maximilien II est ainsi mentionné dans le catalogue de la Rüstkammer de Vienne comme ayant été réalisé par Libaerts, tandis que l’armure qui aurait appartenu à Henri II conservée au Metropolitan Museum est considérée comme issue d’un atelier français.
L'École Supérieure d'Art et de Design (anciennement l'École Régionale des Beaux-Arts de Saint-Étienne) a fait ses cartons pour la Cité du design. La petite histoire retiendra qu'elle a déménagé l'année du 150e anniversaire de sa fondation. 1859 marque en fait l'année de construction du bâtiment mais des cours existaient à Saint-Étienne depuis bien plus longtemps. "La naissance de notre École, enfant de l'amour de l'Art, se fit en douce et sans savoir comment", écrivait dans les années 50 un de ses anciens élèves, le sculpteur forézien Joanny Durand.
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